HISTOIRE D UN JOUR - 21 AOUT 1991
Lettonie, le retour de la liberté

Le 21 août 1991, la Lettonie inscrivit de nouveau son nom dans le concert des nations libres en adoptant une loi constitutionnelle rétablissant son indépendance. Cette décision, attendue depuis un demi-siècle, mettait fin à une parenthèse imposée par la force, celle de l’annexion soviétique de 1940. Pour comprendre la portée de ce geste, il faut remonter en arrière, dans le temps long de l’histoire, là où s’enracinent les tensions, les dépendances et les résistances qui structurèrent la destinée de ce pays balte.
La Lettonie, comme ses voisines lituanienne et estonienne, avait accédé à l’indépendance au sortir de la Première Guerre mondiale, en 1918, profitant de l’effondrement des empires russe et allemand. Pendant deux décennies, Riga connut l’affirmation de son identité politique et culturelle, un élan stoppé net par le pacte germano-soviétique de 1939. Dans son protocole secret, il plaçait la Lettonie dans la sphère d’influence de Moscou. En juin 1940, l’Armée rouge entra sur le territoire et, sous contrainte, la Lettonie fut intégrée à l’Union soviétique. Cet épisode, qualifié d’annexion illégale par les autorités lettones et contesté par de nombreux États occidentaux, marqua l’effacement brutal d’une souveraineté chèrement acquise.
La Seconde Guerre mondiale ne fit qu’accentuer le drame. Entre occupations allemande et soviétique, la population vécut des années de violence, de déportations et d’exil. Après 1945, la Lettonie fut replacée dans le giron soviétique, devenant une république socialiste parmi d’autres, surveillée par Moscou et traversée par des flux de population russophones venus s’y installer. Mais derrière l’apparence de normalisation imposée, subsistait une mémoire vive de l’indépendance perdue. Des générations de Lettons transmirent en silence le souvenir de la liberté d’avant-guerre, nourrissant une conscience nationale qui devait refaire surface.
Il fallut attendre les années 1980 pour que les fissures de l’empire soviétique rendent possible une renaissance politique. Les réformes initiées par Mikhaïl Gorbatchev, la glasnost et la perestroïka, ouvrirent des espaces d’expression. En Lettonie, cela prit la forme d’un puissant mouvement de revendication nationale. Dès 1988, le Front populaire de Lettonie se constitua et réclama des droits accrus, puis le retour à l’indépendance. Des manifestations massives mobilisèrent la population, culminant en août 1989 dans la « Voie balte », chaîne humaine reliant Vilnius, Riga et Tallinn sur plus de 600 kilomètres, symbole éclatant d’une solidarité et d’une volonté communes.
L’année 1990 fut un tournant. En mai, le Soviet suprême de Lettonie adopta une déclaration de restauration de l’indépendance, affirmant la continuité juridique de l’État de 1918. Cependant, la mise en œuvre de cette décision se heurta aux pressions de Moscou, qui tenta de maintenir son emprise. L’armée soviétique multiplia les démonstrations de force, tandis que les institutions lettones avançaient prudemment. Le pays se trouvait dans une situation intermédiaire, revendiquant l’indépendance sans pouvoir encore l’exercer pleinement.
C’est l’échec du putsch d’août 1991 à Moscou qui fit basculer la situation. Du 19 au 21 août, un groupe de conservateurs soviétiques tenta de renverser Gorbatchev pour sauver l’Union. Mais la résistance menée à Moscou par Boris Eltsine et la mobilisation populaire eurent raison des putschistes. Le centre impérial vacillait, offrant une fenêtre historique aux nations périphériques. C’est dans ce contexte que le Parlement letton adopta, le 21 août 1991, une loi constitutionnelle rétablissant sans ambiguïté l’indépendance de l’État. Par ce geste, la Lettonie réaffirmait la continuité de son existence nationale, rompant définitivement avec la tutelle soviétique.
Les suites furent rapides. La reconnaissance internationale afflua, d’abord des pays nordiques, puis de l’ensemble de la communauté mondiale. L’URSS elle-même finit par reconnaître la souveraineté lettone avant de s’effondrer en décembre 1991. La Lettonie engagea alors un processus de reconstruction institutionnelle, rétablissant ses symboles nationaux, adoptant une constitution et réorientant sa politique vers l’Europe et l’Occident. Ce chemin fut semé de difficultés économiques et sociales, liées à la transition du système planifié à l’économie de marché. Mais la dynamique était lancée : retrouver la place d’un État souverain et indépendant.
L’indépendance retrouvée ne signifiait pas seulement la sortie du giron soviétique. Elle impliquait aussi de repenser la nation dans un contexte marqué par la présence importante de populations russophones, héritage de la période soviétique. Cette question identitaire, sensible et parfois conflictuelle, marqua les premières années de la transition. La Lettonie dut élaborer des politiques de citoyenneté et de langue pour affirmer son caractère national tout en intégrant les communautés présentes. Le défi fut considérable, mais il constitua une part essentielle du travail de restauration de l’État.
À plus long terme, l’ancrage européen et atlantique devint l’objectif majeur. Dès les années 1990, Riga chercha à rejoindre l’Union européenne et l’OTAN, ce qu’elle obtint en 2004. Ces adhésions consolidèrent son indépendance en inscrivant le pays dans des structures collectives de sécurité et de coopération. Elles scellèrent symboliquement l’éloignement définitif de l’ancien empire soviétique et l’intégration dans un espace géopolitique nouveau.
Le 21 août est aujourd’hui célébré en Lettonie comme une journée de liberté retrouvée. Ce n’est pas une simple fête nationale parmi d’autres, mais un rappel des décennies d’occupation, de silence contraint et de luttes persévérantes. Chaque commémoration met en avant la résilience d’un peuple qui, malgré la domination étrangère, n’a pas perdu le fil de sa mémoire. L’événement illustre combien l’histoire d’une nation peut être suspendue, interrompue, mais rarement effacée.
En retraçant ce parcours, on comprend que la restauration de l’indépendance lettone en 1991 n’est pas seulement un fait politique conjoncturel lié à l’effondrement de l’URSS. C’est un moment où le temps long rejoint l’événement : une continuité nationale préservée malgré les ruptures, un retour de l’État sur la scène internationale après des décennies d’absence imposée. Le 21 août 1991 marque ainsi la victoire d’une mémoire collective sur l’oubli forcé, et la réaffirmation d’une souveraineté comme un bien inaliénable.
Aujourd’hui encore, face aux tensions géopolitiques qui traversent l’Europe de l’Est, la mémoire de 1991 garde toute son actualité. Elle rappelle que l’indépendance n’est jamais définitivement acquise, qu’elle doit être défendue, nourrie et consolidée. La Lettonie, forte de son histoire, continue d’inscrire son destin dans cette vigilance. Le 21 août demeure la date où la liberté, un temps confisquée, a retrouvé son foyer national.
L’indépendance lettone, retrouvée en 1991, a aussi profondément marqué les générations qui l’ont vécue. Pour beaucoup de citoyens, ce fut un passage de l’ombre à la lumière, de la dépendance au choix libre des orientations collectives. Les témoignages de l’époque évoquent l’émotion de voir flotter à nouveau le drapeau rouge et blanc sur les bâtiments officiels, d’entendre l’hymne national, de sentir que la voix du peuple comptait de nouveau. Cet éveil citoyen a renforcé la légitimité des institutions et ouvert la voie à une culture démocratique encore en construction.
Ce basculement ne fut pas sans douleur. Les années 1990 apportèrent leur lot de désillusions. La transition économique provoqua une chute brutale du niveau de vie, l’apparition d’inégalités sociales et une émigration importante vers l’Ouest. Nombre de familles se retrouvèrent confrontées à la précarité, après avoir espéré que l’indépendance apporterait immédiatement la prospérité. Mais malgré ces difficultés, la conviction que la liberté valait ce prix l’emporta. La société lettone accepta de traverser cette période de turbulence en gardant le cap.
Par ailleurs, la restauration de l’indépendance réactiva une réflexion sur la place de la culture et de la langue dans la vie nationale. Le letton, relégué sous l’ère soviétique par la russification, retrouva sa centralité. Des réformes scolaires, médiatiques et administratives affirmèrent ce choix. La littérature, la musique et les arts visuels furent mobilisés comme vecteurs d’une identité collective réaffirmée. Les institutions culturelles, longtemps sous contrôle soviétique, furent reconfigurées pour servir un projet national.
La politique étrangère lettone s’orienta, dès les premières années, vers un double objectif : sécuriser la souveraineté face à la Russie et intégrer les grandes organisations occidentales. Les dirigeants de Riga multiplièrent les initiatives diplomatiques, cherchant à obtenir le soutien de Washington, de Bruxelles et des capitales européennes. La reconnaissance rapide de l’indépendance lettone en 1991 s’explique par cette diplomatie active, mais aussi par la volonté des puissances occidentales d’affaiblir le bloc soviétique finissant. La Lettonie sut tirer parti de ce contexte pour accélérer son insertion internationale.
Dans le champ intérieur, la restauration de la démocratie fut un chantier fondamental. Le système multipartite se remit en place, les élections libres furent organisées, et un Parlement élu au suffrage universel redevint l’organe central de la vie politique. Les débats, parfois houleux, portèrent sur l’équilibre entre stabilité et réformes, sur le rythme de la libéralisation économique, sur les relations avec les minorités. Ces discussions, loin de fragiliser le pays, montrèrent que la démocratie lettone reprenait vie, avec toutes ses tensions mais aussi toute sa vitalité.
En définitive, le 21 août 1991 apparaît comme une date de convergence : l’histoire longue d’une nation attachée à sa liberté rejoignait les circonstances exceptionnelles de l’effondrement soviétique. Ce jour fut à la fois la fin d’une tutelle et le commencement d’une nouvelle ère. La Lettonie, comme ses voisines baltes, démontra que la volonté populaire pouvait briser les structures les plus solides lorsqu’elles reposaient sur la contrainte et non sur le consentement.
La portée symbolique de cette date dépasse les frontières lettones. Elle s’inscrit dans une histoire européenne plus vaste, celle de la chute des empires et de la résurgence des nations. Elle témoigne du rôle déterminant joué par les petites nations dans les bouleversements mondiaux. Enfin, elle rappelle que la liberté, même retardée, peut toujours renaître lorsque les peuples persistent à la réclamer.