HISTOIRE D UN JOUR - 16 SEPTEMBRE 1975
Un oiseau de paradis prend son envol

La Papouasie-Nouvelle-Guinée a proclamé officiellement son indépendance de l’Australie le 16 septembre 1975. Cet acte fondateur, devenu la fête nationale du pays, marque une rupture décisive dans l’histoire d’un territoire longtemps soumis à des logiques extérieures et désormais appelé à tracer sa propre voie. Mais pour comprendre l’ampleur de cette indépendance, il faut revenir en arrière, plonger dans la profondeur du temps long, dans ces strates où se mêlent traditions ancestrales, colonisation, guerres et enjeux géopolitiques.
La Papouasie-Nouvelle-Guinée est un territoire unique par sa diversité. Plus de huit cents langues y sont parlées, et autant de cultures coexistent dans un espace fragmenté entre montagnes abruptes, vallées enclavées et îles disséminées. Avant l’arrivée des puissances coloniales, ces sociétés fonctionnaient de manière autonome, organisées en clans et chefferies, avec des échanges et parfois des rivalités. L’arrivée des Européens, d’abord les navigateurs portugais et espagnols, puis les Allemands, les Britanniques et enfin les Australiens, bouleversa ces équilibres. À la fin du XIXe siècle, la partie nord fut placée sous protectorat allemand, tandis que la partie sud, appelée Papouasie, fut administrée par le Royaume-Uni avant d’être transférée à l’Australie en 1906. Après la Première Guerre mondiale, l’Australie reçut également un mandat de la Société des Nations sur l’ancienne Nouvelle-Guinée allemande, élargissant son contrôle sur l’ensemble du territoire.
Ce double héritage colonial, britannique et allemand, placé sous tutelle australienne, façonna les premières structures politiques et administratives. L’Australie exerça un rôle prépondérant, mais à la différence d’autres empires, elle ne s’engagea pas dans une colonisation de peuplement massive. Le territoire resta en grande partie rural, marqué par des traditions locales puissantes et une faible intégration économique. La Seconde Guerre mondiale fut un tournant. Le sol papouasien devint un champ de bataille crucial entre Japonais et Alliés. La terrible campagne de Kokoda en 1942 révéla au monde l’importance stratégique de la région et cimenta les liens entre les populations locales et l’Australie. Les Papous, mobilisés comme porteurs et combattants, firent preuve d’une loyauté et d’une endurance saluées par les vétérans australiens.
Après 1945, l’Australie poursuivit son administration, mais le vent de la décolonisation soufflait déjà sur le monde. Sous la pression internationale, notamment des Nations unies, et avec l’évolution des aspirations locales, l’idée d’indépendance commença à prendre forme. Dans les années 1960, la Papouasie-Nouvelle-Guinée entra dans une période de transition politique. Des réformes introduisirent des conseils locaux élus, puis une assemblée nationale en 1964. L’ascension de leaders autochtones, tels que Michael Somare, allait donner un visage à cette marche vers l’autonomie. Somare, charismatique et habile, fondateur du Pangu Pati, se fit le porte-parole de la volonté d’émancipation. À travers ses discours, il affirmait que le pays devait se préparer à gouverner lui-même, tout en maintenant des liens forts avec l’Australie.
L’indépendance ne fut pas immédiate ni facile. Le territoire était confronté à de nombreux défis : infrastructures limitées, manque de cadres formés, tensions entre provinces. L’île de Bougainville, riche en cuivre, exprimait déjà des velléités séparatistes. Mais malgré ces obstacles, le processus progressa rapidement. En 1972, Michael Somare devint le premier ministre en chef d’un gouvernement de transition. Les négociations avec Canberra aboutirent à un calendrier clair. Le 16 septembre 1975, à Port Moresby, le drapeau australien fut abaissé et remplacé par celui de la nouvelle nation, aux couleurs noir, rouge et jaune, frappé de l’oiseau de paradis et de la Croix du Sud. Michael Somare devint le premier Premier ministre de la Papouasie-Nouvelle-Guinée indépendante.
Cet instant symbolique, riche en émotions, fut vécu avec un mélange d’enthousiasme et d’appréhension. Enthousiasme, car une nation naissait, consciente de sa diversité et de son héritage. Appréhension, car l’avenir était incertain, face aux défis de l’unité nationale et du développement. L’Australie, tout en acceptant l’indépendance, resta un partenaire clé, fournissant aide financière et coopération technique. Les deux pays restèrent liés par l’histoire, la géographie et les échanges humains.
Dans les années qui suivirent, la Papouasie-Nouvelle-Guinée connut une trajectoire complexe. La démocratie parlementaire, héritée du modèle de Westminster, fut préservée, mais soumise à des instabilités politiques fréquentes. Les gouvernements se succédèrent, souvent renversés par des votes de défiance. L’économie resta largement dépendante de l’exploitation des ressources naturelles, notamment le cuivre, l’or, le pétrole et le gaz, suscitant à la fois des revenus importants et des tensions locales, en particulier sur l’île de Bougainville, qui entra dans une guerre civile dans les années 1980 et 1990. Ce conflit meurtrier montra les fragilités de l’État et la difficulté à concilier diversité culturelle et unité nationale.
Sur le plan international, l’indépendance donna à la Papouasie-Nouvelle-Guinée une voix propre. Le pays rejoignit les Nations unies en 1975 et participa activement au Forum des îles du Pacifique, cherchant à équilibrer ses relations entre l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les puissances émergentes d’Asie. La position stratégique du pays, entre l’océan Pacifique et l’Asie du Sud-Est, lui conféra un rôle croissant dans les équilibres régionaux.
Au fil des décennies, la célébration du 16 septembre devint un moment essentiel de cohésion nationale. Dans les villages reculés comme dans la capitale, des cérémonies, des danses traditionnelles et des levées de drapeaux rappellent chaque année ce jour fondateur. Cette fête nationale n’est pas seulement un rappel du passé, mais une projection vers l’avenir, un moment de réflexion sur les progrès réalisés et les défis encore à surmonter.
Pourtant, les défis restèrent considérables. La Papouasie-Nouvelle-Guinée fut confrontée à une croissance démographique rapide, à des inégalités sociales marquées, à des infrastructures insuffisantes et à la nécessité de préserver un environnement exceptionnel menacé par l’exploitation intensive des ressources. La corruption et les violences tribales pesèrent sur la stabilité politique, tandis que l’éducation et la santé demeuraient des priorités. Dans ce contexte, les dirigeants successifs cherchèrent à diversifier les partenariats économiques, se tournant vers la Chine, le Japon et l’Indonésie, tout en conservant l’Australie comme allié majeur. Cette diplomatie d’équilibre permit au pays de maintenir son indépendance dans un monde marqué par la rivalité des puissances.
Cinquante ans après, le 16 septembre est devenu un symbole profondément ancré. Les générations successives le vivent comme un héritage et une responsabilité. Les jeunes Papous, héritiers de la lutte pour l’indépendance, oscillent entre modernité et tradition. Dans les villes, l’accès aux réseaux mondiaux, à l’éducation et aux technologies dessine de nouvelles perspectives. Dans les campagnes, la continuité des coutumes et des solidarités locales rappelle la richesse d’une société plurielle. Ce contraste, parfois source de tensions, incarne aussi la vitalité de la nation.
En retraçant cette histoire, on comprend mieux pourquoi le 16 septembre 1975 est bien plus qu’une date. C’est l’aboutissement d’un long cheminement, commencé dans les replis montagneux et les rivages isolés, amplifié par les chocs de la colonisation et de la guerre, transformé par la volonté d’un peuple de s’assumer lui-même. L’indépendance de la Papouasie-Nouvelle-Guinée ne fut pas un simple transfert administratif, mais une affirmation de dignité, un choix de souveraineté et une invitation à construire un destin commun malgré les différences.
Aujourd’hui, cette journée reste une source de fierté et de débats. Elle rappelle que la liberté est toujours un projet en construction, fragile et exigeant, mais porteur d’espérance. La Papouasie-Nouvelle-Guinée continue de chercher son équilibre entre modernité et tradition, entre ouverture au monde et préservation de son identité. Le 16 septembre demeure ainsi une boussole, un point fixe autour duquel la nation se rassemble, consciente que son unité est sa force la plus précieuse.