KOWEIT - ANNIVERSAIRE
Mishal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, un gardien de l’ordre au crépuscule du pouvoir

Mishal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah naquit le 27 septembre 1940, au cœur du Koweït encore marqué par la tradition bédouine et la lente transformation provoquée par l’émergence des revenus pétroliers. Il fête aujourd'hui ses 85 ans.
Ce contexte est essentiel pour comprendre l’homme qu’il devint, héritier d’une dynastie enracinée dans l’histoire du Golfe et témoin des bouleversements qui allaient faire de l’émirat un acteur central des équilibres régionaux et internationaux.
Son enfance fut façonnée par une éducation princière, mais également par une immersion dans les coutumes et valeurs de son peuple. Il reçut son enseignement au Koweït avant de poursuivre sa formation au Royaume-Uni, comme beaucoup de membres de la famille régnante, afin de lier tradition et modernité. Cette double influence marqua profondément sa personnalité : un attachement indéfectible aux fondements tribaux et religieux, associé à une conscience de l’importance des institutions modernes et de la diplomatie internationale.
Sa jeunesse s’inscrivit dans une époque où le Koweït commençait à tirer pleinement parti de son pétrole. La manne économique bouleversa la société, transformant les structures sociales et accentuant le rôle du pouvoir central. Très tôt, Mishal Al-Ahmad se distingua par une inclinaison pour les affaires de sécurité et de défense, domaine qui devint le fil conducteur de sa carrière.
En 1960, il intégra le ministère de l’Intérieur. Cet engagement ouvrit la voie à une longue trajectoire administrative et sécuritaire. Son rôle s’affirma au fil des années dans les services de renseignement et les affaires de sécurité intérieure. Cette spécialisation en fit l’un des piliers du maintien de l’ordre dans un pays à la fois fragile par sa taille et exposé par sa richesse. Durant les décennies qui suivirent, il participa activement à l’édification d’appareils sécuritaires solides, chargés de protéger le Koweït contre les menaces extérieures et les tensions régionales.
Les années 1980 et 1990 furent marquées par les convulsions du Moyen-Orient, entre la guerre Iran-Irak et l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990. Mishal Al-Ahmad, en sa qualité de responsable sécuritaire de premier plan, joua un rôle discret mais crucial. Il participa à l’organisation de la résistance intérieure, soutenant la légitimité de l’émir exilé et assurant la continuité des réseaux de renseignement. Le traumatisme de cette occupation renforça sa conviction que la survie du pays passait par une vigilance permanente et une politique sécuritaire ferme.
Après la libération du Koweït en 1991, son influence ne cessa de croître. Il contribua à restructurer les forces de sécurité, à moderniser les appareils de renseignement et à restaurer l’autorité de l’État. Sa proximité avec plusieurs émirs successifs, en particulier Sabah Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, confirma son statut d’homme de confiance au sein de la dynastie.
En 2004, il fut nommé vice-président de la Garde nationale, une institution qu’il contribua à renforcer et à transformer en véritable rempart pour la stabilité du pays. Cette fonction l’éloignait de la lumière médiatique mais lui donnait une influence stratégique décisive. Pendant seize ans, il exerça un magistère discret, consolidant les forces armées et cultivant des relations solides avec les alliés régionaux et occidentaux.
Sa vie privée demeura marquée par la discrétion. Comme beaucoup de membres de la famille Al-Sabah, il conserva un profil réservé, préférant le service de l’État à la notoriété publique. Marié et père, il transmit à ses enfants le sens de la responsabilité et de la fidélité aux traditions de la dynastie. Cette retenue personnelle renforça son image d’homme d’ordre, entièrement tourné vers la stabilité de son pays.
Le tournant majeur de sa carrière intervint en octobre 2020, à la mort de l’émir Sabah Al-Ahmad. Le nouvel émir, Nawaf Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, désigna Mishal comme prince héritier. Ce choix surprit par son caractère tardif : âgé de 80 ans, il incarnait une génération ancienne, mais il apparaissait aussi comme un garant de continuité et d’expérience. Sa nomination fut approuvée par l’Assemblée nationale, marquant l’adhésion du système politique à sa stature.
Durant le règne de Nawaf, dont la santé déclinante limita rapidement l’exercice effectif du pouvoir, Mishal assuma de plus en plus de responsabilités. Il prit part à la gestion des affaires de l’État, jouant un rôle actif dans les arbitrages politiques et dans les relations avec les grandes puissances régionales. Son expérience sécuritaire lui donna une autorité naturelle sur les dossiers sensibles, tandis que sa réputation de fermeté inspirait confiance à une partie de l’opinion publique.
En décembre 2023, après le décès de l’émir Nawaf, Mishal Al-Ahmad devint officiellement émir du Koweït. À 83 ans, il incarnait la continuité de la dynastie mais aussi une volonté de réaffirmer l’autorité de l’État. Ses premiers mois de règne furent marqués par des décisions fermes. Il dissout l’Assemblée nationale à plusieurs reprises, dénonçant des blocages institutionnels et appelant à de nouvelles élections. Cette attitude illustrait sa vision d’un pouvoir fort, capable de transcender les querelles partisanes.
Son règne s’ancra dans un contexte régional tendu. La rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran, les bouleversements du Golfe, la guerre à Gaza et la recomposition des équilibres internationaux placèrent le Koweït dans une position délicate. Mishal Al-Ahmad s’efforça de maintenir une diplomatie d’équilibre, fidèle à la tradition koweïtienne de médiation, tout en affirmant une posture sécuritaire ferme. Il renforça les liens avec les États-Unis et les puissances occidentales, sans négliger les relations avec ses voisins du Golfe.
Son approche intérieure se distingua par un mélange d’autorité et de prudence. Conscient des tensions sociales et de la montée des aspirations populaires, il chercha à préserver le contrat social basé sur la redistribution des revenus pétroliers et la relative ouverture du système politique. Toutefois, ses décisions de dissoudre le Parlement ou de restreindre certaines libertés furent perçues comme des signes de raidissement. Dans un contexte où la société koweïtienne évoluait, marquée par une jeunesse plus instruite et plus connectée au monde, ce choix traduisait la volonté de maintenir un contrôle serré sur les institutions.
Au fil de ses années au pouvoir, il développa aussi un discours insistant sur la nécessité de préserver l’unité nationale, face aux divisions tribales ou confessionnelles qui pouvaient fragiliser le pays. Sa vision reposait sur l’idée que le Koweït devait rester soudé autour de la dynastie régnante pour affronter les pressions extérieures et intérieures. Il tenta ainsi de se poser en arbitre, garant des équilibres entre les différentes composantes de la société.
Au-delà de ses fonctions politiques, Mishal Al-Ahmad incarna aussi l’héritage d’une génération formée à l’ombre des grands bouleversements du XXe siècle. Son existence couvrait l’indépendance du Koweït en 1961, les chocs pétroliers des années 1970, l’invasion de 1990, et la succession des crises régionales. Chacun de ces événements forgea sa conviction que la survie de son pays dépendait d’un État fort, vigilant et capable de s’adapter aux tempêtes de l’histoire.
Dans ses relations avec l’étranger, il conserva une approche pragmatique. La diplomatie koweïtienne resta fidèle à sa tradition de médiation et de neutralité, mais sous sa direction, le pays afficha plus de fermeté pour défendre ses intérêts. Les négociations énergétiques, les alliances militaires, et les partenariats économiques furent guidés par cette volonté de garantir la sécurité et la prospérité de l’émirat. Sa proximité avec les grandes puissances, en particulier les États-Unis, illustrait ce choix stratégique.
La mémoire collective retiendra de Mishal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah un homme d’ordre, formé par des décennies de service dans les arcanes sécuritaires, et devenu émir dans le crépuscule de sa vie. Son règne, quoique tardif, marqua une étape importante de la dynastie, en affirmant la continuité du pouvoir et la résilience de l’État koweïtien face aux crises. En lui se reflète l’histoire d’un petit pays riche, tiraillé entre ouverture politique et autorité, entre modernité et traditions, entre pressions extérieures et volonté d’indépendance.
Ainsi, de son enfance dans un Koweït encore marqué par les rythmes tribaux jusqu’à son accession tardive au trône, Mishal Al-Ahmad incarna une trajectoire singulière : celle d’un homme discret, mais central, dont le destin se confond avec celui d’une nation fragile et résolue. Son parcours illustre combien le pouvoir dans le Golfe reste une affaire de continuité dynastique et de gestion délicate des équilibres sociaux et géopolitiques.