SLOVAQUIE - ANNIVERSAIRE

Peter Pellegrini, un président entre continuités et ruptures

Né le 6 octobre 1975 à Banská Bystrica, dans l’ancienne Tchécoslovaquie, Peter Pellegrini grandit au centre du pays dans un environnement où l’industrie, l’école et l’administration structurent la vie quotidienne ordinaire et stable. Il célèbre aujourd'hui ses 50 ans.

Il appartient à une génération qui a pleinement connu la fin du socialisme d’État, la séparation tchécoslovaque et l’adhésion de la Slovaquie à l’Union européenne. Sa famille revendique un ancrage local et une mémoire de la mobilité européenne, avec un arrière grand père venu d’Italie pour travailler sur les chantiers ferroviaires de la région.

Ses études le conduisent naturellement vers l’économie. Il fréquente l’Université Matej Bel de Banská Bystrica, puis la Faculté d’économie de l’Université technique de Košice, où il se spécialise en banque, investissement et finance. Au sortir de l’université, il exerce comme économiste et comme conseiller parlementaire auprès d’un élu chargé des questions économiques et de privatisation. Il y apprend les rythmes d’assemblée, la rédaction de dossiers, l’art de traduire des contraintes budgétaires en décisions publiques.

Son entrée à la Chambre date de juillet 2006, sous l’étiquette de Smer sociale démocratie. Il s’installe dans les commissions de la santé, du budget et de la sécurité, où se négocient des compromis qui tiennent l’État social slovaque. Le travail est régulier et patient, fondé sur l’écoute et la discipline de groupe. Réélu en 2010, il franchit en avril 2012 une étape décisive en devenant secrétaire d’État au ministère des finances. Le portefeuille, central après la crise financière, lui donne accès au cœur de l’État et aux négociations européennes. Son profil s’affirme alors comme celui d’un gestionnaire attentif aux procédures et aux équilibres.

Le 3 juillet 2014, il est nommé ministre de l’éducation, des sciences, de la recherche et des sports. Le 25 novembre 2014, à la suite d’une démission, il est élu président du Conseil national, charge qu’il conserve jusqu’au 23 mars 2016. Cette présidence l’installe comme garant des formes parlementaires, arbitre des débats et gardien des rituels institutionnels. En 2015, il reçoit en outre la mission de digital champion, porte parole national des politiques de société numérique; la fonction, légère en apparence mais utile pour porter un agenda de numérisation, prolonge sa sensibilité aux questions de modernisation de l’État.

Le 23 mars 2016, il devient vice premier ministre pour l’investissement et l’informatisation. La création de ce poste traduit les priorités du temps: coordonner l’usage des fonds européens et conduire l’e?gouvernement. Il travaille à l’interopérabilité des registres, à la simplification des démarches, à l’ouverture de services en ligne et à l’instauration de guichets uniques. La fonction, discrète mais stratégique, exige continuité, méthode et négociation avec Bruxelles. Elle conforte un positionnement de responsable technique au service d’un cap politique.

La crise ouverte par l’assassinat du journaliste Ján Kuciak et de Martina Kušnírová en février 2018 conduit Robert Fico à démissionner le 15 mars 2018. Peter Pellegrini est proposé pour lui succéder. Après un ajustement de cabinet, il obtient la confiance parlementaire et entre en fonctions le 22 mars 2018. Il dirige un exécutif de stabilisation, soucieux de rétablir une normalité institutionnelle. Il assume l’intérim du ministère de l’intérieur en avril 2018, puis celui des finances en avril et mai 2019, avant d’assurer brièvement la santé à partir de décembre 2019.

Les élections législatives du 29 février 2020 renvoient son gouvernement dans l’opposition. Le cycle ouvert en 2006 se referme et une rivalité ancienne avec Robert Fico se dénoue. En juin 2020, il quitte Smer et fonde Hlas sociale démocratie, la Voix, enregistrée à l’automne. La nouvelle formation capte un électorat attaché à la protection sociale et à l’ordre public, et se présente comme une social démocratie pragmatique. À la Chambre, le groupe se structure autour d’un agenda de redistribution, d’infrastructures et de services publics.

Le 30 septembre 2023, des élections anticipées ont lieu. Smer arrive premier, Progressistes Slovaquie second, Hlas troisième. Peter Pellegrini opte pour une coalition avec Smer et le Parti national slovaque. Le 25 octobre 2023, il est élu à nouveau président du Conseil national. La majorité engage des réformes pénales et institutionnelles qui polarisent fortement la société. Le président de la Chambre occupe une position charnière: il organise les débats, veille aux procédures et incarne une stabilité de la forme et une continuité de l’État.

Le 19 janvier 2024, il officialise sa candidature à l’élection présidentielle. Lors de la campagne présidentielle, il s’appuie sur le soutien de la coalition et sur une image d’homme d’institutions, la commission électorale valide des résultats sans incident. Il prononce à l’automne 2024 un discours aux Nations unies, insistant sur le multilatéralisme et la stabilité. Le 23 mars, l’ancien ministre des affaires étrangères Ivan Kor?ok arrive en tête du premier tour, sans majorité absolue. Le 6 avril, Peter Pellegrini l’emporte au second tour avec 53,12 pour cent des suffrages, à l’issue d’une participation. Le 15 juin 2024, il prête serment et devient le sixième président de la Slovaquie. La fonction présidentielle n’initie pas les lois, mais elle nomme des juges constitutionnels, peut contrôler la constitutionnalité des lois et renvoyer des textes pour une nouvelle lecture.

Ses premiers mois au palais présidentiel s’inscrivent dans une Europe troublée par la guerre en Ukraine et travaillée par des débats sur l’État de droit. Il confirme l’ancrage du pays dans l’Union européenne et l’Alliance atlantique, insiste sur la sécurité et sur une rhétorique de paix, et soutient l’attention aux conséquences sociales des politiques économiques. Il réserve ses interventions aux enjeux de constitutionnalité, aux nominations et aux moments de représentation internationale, notamment aux sommets européens, aux assemblées régionales et aux enceintes multilatérales.

La vie privée du chef de l’État reste discrète. Célibataire, amateur de marche et de paysages de moyenne montagne, il possède un chien et soigne l’image d’un serviteur de l’État. Cette réserve correspond à une culture politique slovaco centre européenne, où l’on valorise la tenue des formes, la sobriété du langage et la prévisibilité des décisions. Son récit familial insiste sur le travail, la mobilité et la loyauté à l’égard des institutions.

La perspective braudélienne met en lumière une continuité essentielle: l’attention donnée aux infrastructures immatérielles qui soutiennent l’État. L’expérience acquise à l’informatisation, à la coordination des fonds européens et aux arbitrages budgétaires alimente une vision de l’action publique comme service régulier, orienté vers l’usager. Registres fiables, identités numériques, interopérabilité, guichets uniques et délais maîtrisés forment un horizon administratif qui structure silencieusement la confiance des citoyens.

La crise de 2018 a laissé des cicatrices dans la confiance civique. Au pouvoir, Peter Pellegrini a cherché à contenir la défiance, à normaliser la relation entre exécutif, Parlement et autorités indépendantes, et à maintenir l’équilibre entre redistribution et prudence budgétaire. Ses critiques lui reprochent d’avoir incarné une continuité; ses partisans saluent la stabilité. L’élection de 2024 a confirmé ce diagnostic partagé: une société fracturée recherche moins une rupture qu’une gestion calme des conflits partisans les plus vifs.

Reste l’épreuve du temps. Le président doit nommer, signer, renvoyer, alerter et représenter. Il lui revient de ménager une relation de travail avec un gouvernement issu d’une coalition, de garder le lien avec un Parlement traversé par la confrontation, et de préserver la crédibilité internationale de la Slovaquie. Les dossiers européens exigent une diplomatie précise et sans emphase; les dossiers sociaux appellent une vigilance sur les inégalités régionales; les dossiers de sécurité supposent une lecture lucide des menaces et des alliances.

La trajectoire de Peter Pellegrini résume enfin l’architecture institutionnelle slovaque. Député pendant deux législatures, secrétaire d’État aux finances, ministre de l’éducation, président du Parlement, vice premier ministre pour l’investissement et l’informatisation, chef du gouvernement, président de la République, il a parcouru tous les étages du régime. Ce cumul d’expériences compose un lexique politique fait de budget, de procédure et d’équilibre. Il nourrit une présidence de retenue, qui entend garantir la stabilité et la prévisibilité institutionnelles.