CALIFORNIE - USA - ANNIVERSAIRE
Gavin Newsom, De San Francisco à Sacramento, la longue durée d’un pouvoir californien

10 octobre 1967 : né à San Francisco, Gavin Christopher Newsom arrive dans un monde où le droit, le capital et la politique tissent des parentés de longue durée. Il célèbre aujourd'hui ses 58 ans.
Son père, William A. Newsom III, avocat puis juge d’appel, gravit les échelons auprès de gouverneurs démocrates et administre des intérêts de la famille Getty. Sa mère, Tessa, tient la maisonnée à bout de bras, enchaîne des emplois et inculque l’obligation de persévérer. L’enfance se déroule entre la ville, le Golden Gate et Marin County. La dyslexie, diagnostiquée tôt, impose un détour : lire autrement, mémoriser par images, développer une mémoire orale. Cette contrainte devient un ressort. Elle façonne un style direct, des notes visuelles, et une attention durable aux inégalités d’apprentissage.
Les années de lycée à Redwood High School donnent une ossature. Le sport, baseball et basket, organise l’énergie, apprend la coordination et l’endurance. L’université suit à Santa Clara, formation jésuite, rigueur méthodologique, réseaux d’anciens. En 1989, il obtient son diplôme de science politique. Les premiers emplois sont commerciaux : prospection, vente, immobilier. Très vite, l’envie d’entreprendre domine. Avec des partenaires, dont Billy Getty, il ouvre une boutique de vin dans San Francisco. Le projet devient PlumpJack, ensemble de caves, restaurants, hôtels et domaines viticoles. Cette base économique apporte revenus, réseau d’investisseurs, et une école de gestion quotidienne : recruter, lire un bilan, arbitrer des coûts, parler au client.
Par la ville arrive la politique. En 1996, le maire Willie Brown le nomme à la commission du stationnement et de la circulation. En 1997, une vacance au conseil des superviseurs s’ouvre ; Newsom y siège, puis gagne l’élection en 1998 et les suivantes. Il se bâtit un profil de libéral assumé sur le sociétal, et d’orthodoxe sur la tenue des comptes. Surtout, il lance Care Not Cash : réduire l’allocation en espèces versée aux adultes sans abri pour la convertir en hébergement et services. La mesure, approuvée en 2002, change l’architecture locale de l’aide. Elle cristallise l’opposition. Pour les uns, un levier vers le logement accompagné ; pour d’autres, une pénalisation d’existences fragiles. Le débat forge sa stature.
Élu maire fin 2003, il prête serment en janvier 2004. Quelques semaines plus tard, il ordonne l’émission de licences de mariage pour les couples de même sexe. San Francisco devient le théâtre d’un moment fondateur de la cause égalitaire. Les tribunaux invalident ensuite les unions, mais l’épisode marque durablement la scène nationale. La mairie, c’est aussi la voirie, le logement, les transports et les finances à l’heure des bulles et des crises. Il gère la police dans une ville sous tension sociale, négocie avec les syndicats, cherche des recettes. Sa réélection en 2007 confirme une coalition urbaine qui tolère les angles et cherche des résultats visibles.
La vie privée affleure au grand jour. Un mariage en 2001 se conclut par un divorce en 2006. En 2007, une relation inappropriée avec l’épouse d’un collaborateur provoque une crise publique ; il présente des excuses et entame un traitement pour sa consommation d’alcool. En 2008, il épouse Jennifer Siebel, réalisatrice et militante, avec laquelle il aura quatre enfants. Cette expérience intime, jointe à la dyslexie assumée, nourrit un plaidoyer pour une école attentive aux spécificités et pour des politiques familiales lisibles. Elle rappelle aussi la fragilité d’un pouvoir exposé.
En 2009, il sonde la course au poste de gouverneur, puis choisit la vice?gouvernance. Élu en 2010, réélu ensuite, il occupe de 2011 à 2019 une fonction discrète, mais riche en leviers. Administrateur des systèmes universitaires, il s’aguerrit aux budgets et à la régulation. Il pousse la numérisation de l’État, promeut des démarches en ligne, plaide pour des procédures simplifiées pour les entreprises et les citoyens. Il soutient la légalisation du cannabis par voie référendaire et travaille la question des plateformes numériques de service public. Cette huitaine d’années politise sa patience et l’aguerrit aux rapports de force administratifs.
L’élection de 2018 l’installe à Sacramento. Gouverneur, il imprime d’emblée deux marqueurs. D’abord, un moratoire sur la peine de mort, suspension des exécutions et fermeture de la chambre d’exécution. Ensuite, un cap climatique : en 2035, plus de vente de voitures neuves à moteur exclusivement thermique. Entre les deux, une même logique de longue durée : lier l’éthique et l’économie politique d’un État continental. Les incendies géants, la sécheresse et les vents dessinent le coût du dérèglement et les contraintes d’un réseau électrique en transition. Le gouverneur arbitre entre obligations écologiques, exigences industrielles et réalités sociales.
Puis vient la pandémie. Le 19 mars 2020, la Californie ordonne le confinement à l’échelle de l’État. Il s’agit de contenir l’afflux vers les hôpitaux. L’épisode est fondateur et clivant. La gestion évolue au fil des vagues, des données et des pressions locales. Une soirée sans masque dans un restaurant de Napa devient symbole des contradictions du moment. Au sortir de la crise aiguë, un rappel électoral est déclenché en 2021 ; il y survit nettement. Dans la foulée, il soutient l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution californienne, creuse l’écart avec les États restrictifs, et se pose en pôle alternatif sur les politiques de santé publique.
Réélu en 2022, il concentre l’effort sur l’itinérance, le logement et le travail. Projet Roomkey puis Homekey permettent d’acheter et de convertir des hôtels ou des immeubles en logements accompagnés. Les résultats varient selon les villes, freinés par le foncier, les procédures et les manques en santé mentale. Sur l’offre, l’État pousse la densification près des axes de transport, facilite les logements accessoires et contraint les communes récalcitrantes à planifier. Sur les salaires, une loi porte le minimum des employés de la restauration rapide à vingt dollars de l’heure et crée un conseil sectoriel. Le signal social est fort ; le débat économique reste vif.
La sécurité et le civisme nourrissent d’autres chantiers. Il signe une loi augmentant la fiscalité sur les ventes d’armes et limitant leur port dans de nombreux lieux, tout en appelant à un amendement constitutionnel de sécurité des armes. L’objectif est de hausser l’âge d’achat, d’instaurer un délai et de généraliser les vérifications. La stratégie est à long terme : bâtir une coalition d’États, faire vivre des contentieux, politiser les statistiques. Parallèlement, il intervient dans les débats scolaires, défend l’enseignement des sciences et des lettres, s’oppose aux interdictions de livres, et soutient la santé reproductive. Le gouverneur se campe en contre?modèle d’une droite agressive.
La scène nationale, il l’occupe ouvertement. En 2023, un débat télévisé l’oppose au gouverneur de Floride. Deux récits s’affrontent : taxes, criminalité, école, immigration, santé. Newsom défend l’État?laboratoire et son poids économique, répond à l’argumentaire conservateur, et teste sa capacité à ferrailler sous les projecteurs nationaux. Ses déplacements, ses fonds levés pour son camp, ses campagnes publicitaires hors de Californie entretiennent l’hypothèse d’une ambition ultérieure. Il répond que le calendrier appartient aux circonstances. En attendant, il gouverne, additionne des chantiers et accepte l’évaluation continue d’un électorat exigeant.
Reste la profondeur des contraintes. La Californie demeure à la fois riche et chère, innovante et inégalitaire. Les cycles boursiers influencent les recettes ; la sécheresse et les incendies pèsent sur les budgets ; l’habitat reste tendu. Gouverner consiste à arbitrer entre urgence et horizon. Newsom s’y emploie avec un mélange de gestes symboliques et de pilotage technico?administratif. L’itinéraire de l’enfant dyslexique devenu gouverneur dessine une constance : croire qu’un État peut organiser la mobilité sociale, encadrer les marchés, protéger des droits et planifier une transition. Sa trajectoire, faite de heurts et d’accumulations, s’inscrit dans la longue durée d’un pouvoir californien qui façonne, depuis la baie, une partie du récit américain.
Sur l’énergie et les infrastructures, il affronte les séquelles des feux et des faillites. Après la crise de l’opérateur historique, l’État renforce le fonds d’indemnisation des incendies et durcit les normes sur les lignes et la végétation. La modernisation du réseau, l’essor des bornes de recharge et l’intégration du solaire et de l’éolien exigent investissements et réforme des permis. Côté mobilité, la grande vitesse accumule retards et surcoûts, mais le gouverneur maintient le cap sur un premier tronçon. En urbanisme, la facilitation des lotissements en parcelles divisées et des logements accessoires vise à créer, près des transports, une offre mesurable. Les résistances locales persistent, l’arbitrage de l’État se fait plus ferme.