OMAN - ANNIVERSAIRE
Haitham ben Tariq, la patience et la règle

Né le 11 octobre 1955 à Mascate, dans un Oman encore discret et agreste, Haitham ben Tariq grandit au cœur de la dynastie Al Saïd, branche héritière d’une longue histoire de ports, d’oasis et de routes de mer. Il célèbre aujourd'hui ses 70 ans.
Fils de Tariq ben Taimur, petit?fils du sultan Taimur ben Faysal, et de Shawana bint Hamud Al Busaidiya, il reçoit très tôt une éducation faite d’exigence, de réserve et de curiosité pour le monde, marquée par l’islam ibadite et l’attachement aux continuités qui structurent la société omanaise. Enfant, il observe les lenteurs du pays et les gestes de modernisation qui se déploient après 1970, quand Mascate commence à se relier au monde par des routes, des écoles et des ports rénovés. Sa scolarité s’ouvre au dehors, d’abord au Liban, puis au Royaume?Uni, où il suit à Oxford le Foreign Service Programme et s’initie aux métiers de la diplomatie. Cette formation renforce une disposition de fond : privilégier la méthode, la patience, les liens tissés dans la durée, et tenir pour principes la stabilité et l’ouverture maîtrisée.
Dans la vie privée, l’homme se construit en cercles retenus. Il épouse en 1989 Ahad bint Abdallah Al Busaidiya, dont la discrétion active accompagne depuis son parcours. Le foyer s’ancre dans une sobriété réfléchie, attentive aux arts et aux engagements sociaux. Quatre enfants y grandissent, garantissant la continuité de la maison : Theyazin, Bilarab, puis les princesses Thuraya et Omaima. Le goût ancien du sport traverse cette intimité et rejoint le pays tout entier : au début des années 1980, Haitham accompagne l’essor institutionnel du football omanais et y voit un langage commun, capable de relier générations et provinces. Loin des effets, il préfère une sociabilité sobre, l’écoute plutôt que l’éclat, et la lecture attentive des dossiers avant toute décision.
Sa carrière d’État commence par la diplomatie, école exigeante des nuances. Sous?secrétaire aux Affaires politiques en 1986, puis secrétaire général du ministère en 1994, il apprend les rythmes des négociations, l’art de dire peu et d’obtenir l’essentiel, la valeur des relais tissés avec les chancelleries voisines et lointaines. Cette expérience s’enracine dans une doctrine patiente, demeurée constante depuis : offrir à chacun un canal de dialogue, éviter les alignements rigides, et tenir la parole comme une ressource rare. En 2002, son itinéraire bifurque vers la culture et le patrimoine. Pendant dix?huit ans, il veille sur forts, bibliothèques, sites archéologiques et mémoires portuaires. Il promeut les inventaires, les restaurations, les musées, convaincu qu’un pays qui expose ses racines se tient mieux dans le présent. Ce long ministère lui donne l’habitude de marcher au long cours, de composer avec les lenteurs administratives, d’associer spécialistes et artisans, de penser l’ouverture touristique sans détisser les tissus sociaux.
Le 11 janvier 2020, la succession s’opère en quelques heures. Après la mort du sultan Qâbous, la famille ouvre la lettre désignant l’hoir, et Haitham prête serment. La continuité est proclamée, non pas immobile, mais réformeuse. Dans un premier geste, il réorganise la machine gouvernementale : des portefeuilles longtemps concentrés au sommet sont confiés à des ministres de plein exercice, et les structures sont rationalisées. Un ministre des Finances préside aux comptes, un ministre des Affaires étrangères porte la voix du pays, la Banque centrale gagne en autonomie opérationnelle ; l’ensemble desserre la personnalisation du pouvoir et renforce les procédures. Par décrets, l’action publique est clarifiée et les entités réorganisées, avec un souci constant de lisibilité pour les agents et pour les investisseurs.
En janvier 2021, une réforme constitutionnelle historique introduit la fonction de prince héritier selon une primogéniture masculine, fixe des mécanismes de contrôle de l’action gouvernementale et affirme quelques principes d’État de droit. L’aîné, Theyazin, devient prince héritier. Ce choix apaise les incertitudes sur la suite et donne aux marchés comme aux administrations un horizon institutionnel. En parallèle, l’agenda Vision 2040, dont Haitham a présidé la conception, devient boussole des politiques publiques : diversifier l’économie, élever les compétences, ouvrir des secteurs, améliorer la gouvernance. La chronologie des plans quinquennaux s’aligne sur cette perspective, tandis que la communication officielle insiste sur la transformation structurelle plus que sur les annonces saisissantes.
Les réalités budgétaires imposent des choix. La contraction des prix du pétrole et la hausse de la dette publique exigent une consolidation. En avril 2021, l’introduction de la taxe sur la valeur ajoutée marque une inflexion majeure dans un Golfe attaché au non?impôt. Les subventions sont réexaminées, la masse salariale contenue, des programmes d’emploi ciblés pour les jeunes s’installent, et la réforme de l’administration se combine à la lutte contre les rentes inefficaces. L’Oman Investment Authority reprend l’actionnaire public et recompose des conglomérats ; des introductions en bourse réveillent la place de Mascate et offrent de nouvelles valeurs aux épargnants ; les zones franches et les corridors logistiques cherchent à attirer des industries d’aval, de l’énergie aux matériaux. Le message est constant : diversifier sans brusquer, assainir sans casser, diffuser les gains de productivité.
Au dehors, la méthode reste celle de l’équilibre. Oman préserve une proximité dialoguée avec l’Iran, une relation pragmatique avec l’Arabie saoudite et les Émirats, des liens éprouvés avec la Grande?Bretagne et les États?Unis, et un ancrage dans l’océan Indien qui l’attache à l’Inde et au Pakistan. Mascate accueille ou facilite des pourparlers difficiles, accompagne les tentatives de désescalade entre puissances, soutient les négociations yéménites entre Riyad et le mouvement houthi. La diplomatie omanaise agit comme une ingénierie de canaux : elle ouvre, elle tient, elle offre des sorties. Cette discrétion efficace, héritée des années Qâbous, reste la signature du règne, et Haitham s’y conforme avec constance, laissant aux ministres la parole visible et au palais la capacité d’arbitrage.
Le territoire rappelle ses contraintes. En octobre 2021, le cyclone Shaheen frappe le nord du pays, éprouvant les villes de la Batinah et des quartiers de Mascate. La réponse mobilise la protection civile, répare les infrastructures, renforce les normes de construction et la cartographie des zones à risque. La politique publique intègre désormais le climat comme paramètre central, du littoral à l’aridité des plateaux. Ce souci d’anticipation se lit aussi dans l’eau, l’énergie, la sécurité des ports et des gazoducs, et dans la modernisation prudente des réseaux électriques.
Dans l’économie réelle, les effets s’observent par touches. L’« omanisation » des emplois change d’étage : elle articule formation, certification et progression salariale plutôt que quotas bruts. Les guichets d’investissement fusionnent, les permis industriels s’accélèrent, les entreprises publiques adoptent des objectifs financés et des audits réguliers. Les marchés financiers s’animent avec de grandes mises en vente d’actifs, les ports de Duqm et de Sohar affinent leurs stratégies, et les PME trouvent place dans une chaîne de sous?traitance qui commence à s’épaissir. Les politiques de logement et de protection sociale cherchent à accompagner cette transition pour éviter que la rigueur budgétaire ne heurte trop vivement les ménages modestes. Ainsi s’installe une forme de compromis : l’État dépense moins, mais il garantit mieux les filets, il finance moins le courant, mais il finance davantage l’apprentissage.
Sur le plan institutionnel, le Conseil d’Oman voit ses procédures clarifiées, l’évaluation des programmes devient plus systématique, et l’Exécutif élargit progressivement la responsabilité de ses ministres. La monarchie demeure le centre, mais la délégation gagne en épaisseur. Le prince héritier incarne cette continuité ordonnée : ses apparitions publiques se concentrent sur la jeunesse, la culture, le sport et l’entrepreneuriat, tandis que la figure royale conserve la médiation et la stratégie. Tout concourt à stabiliser une succession appelée à ne plus surprendre.
Les routes extérieures restent nerveuses. La sécurité du détroit d’Ormuz et les tensions de la mer Rouge imposent une vigilance technique : radars, escortes, doctrines de convoiement, partage d’information avec des marines partenaires. Oman y promeut la liberté de navigation, protège ses terminaux, entretient des liens militaires discrets et multiplie les exercices. La géographie est destin : à la jointure de la Perse et de l’Arabie, au contact des routes indiennes, le sultanat vit de sa stabilité autant qu’il la cultive. Chaque visite officielle, chaque forum économique, chaque accord logistique raconte la même stratégie : faire d’un petit État un lieu fiable dans un environnement agité.
Au terme de ces premières années, la physionomie du règne se lit avec clarté. Haitham ben Tariq gouverne par la structure plus que par l’effet, par la patience réglée plus que par la rupture. Réformer la succession, dépersonnaliser certains leviers, assainir les finances, diversifier sans fragiliser, tenir les conversations difficiles, protéger les territoires contre le climat, soutenir une jeunesse nombreuse : tels sont ses axes. L’homme ne surjoue pas l’autorité ; il en organise les mécanismes. Il n’exhibe pas l’ambition ; il en maintient l’itinéraire. Tout indique que cette chronique continuera à un rythme mesuré, au gré des prix de l’énergie, des détentes régionales, des aléas climatiques et des capacités d’investissement. Ainsi une vie, commencée en 1955 dans une capitale encore resserrée, tient aujourd’hui le gouvernail d’un État qui a choisi la tempérance comme force et la règle comme horizon. Rien n’y promet l’éclat, mais tout y exige constance, prudence, et une science des rythmes qui sied aux déserts maritimes omanais.