CAMEROUN - PRESIDENTIELLE DU 12 OCTOBRE

Les douze visages de la présidentielle

Les ténors face au mythe de la continuité

Le 12 octobre 2025, les Camerounais choisiront leur président parmi douze candidats. Quatre visages dominent la campagne et cristallisent la fracture entre maintien du statu quo et désir de changement : Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, Bello Bouba Maigari, qui a été ministre avant de rejoindre l’opposition, Issa Tchiroma Bakary, ancien porte?parole du gouvernement, et Cabral Libii, figure de la nouvelle génération. Leur duel se déroule sur fond de crise anglophone et de lassitude sociale. Certains proposent la stabilité et la continuité des grands chantiers, d’autres promettent la réconciliation et un fédéralisme rénové. L’électorat, majoritairement jeune, s’interroge : peut?on maintenir la paix sans changer un système accusé de corruption ?

Paul Biya, 92 ans, sollicite un huitième mandat. Sa profession de foi reprend le slogan « Grandeur et espérance » et promet d’accélérer les infrastructures, de lutter contre la faim et de garantir éducation et soins. La collecte de 135,7 millions FCFA dans la Mifi illustre la puissance financière du RDPC. Il a aboli la limitation des mandats en 2008 et bénéficie du soutien des chefs traditionnels et des élites. Ses partisans valorisent la stabilité et l’achèvement des projets, tandis que ses détracteurs pointent une économie stagnante et une crise anglophone non résolue. Son règne a aussi été marqué par des réélections controversées et des répressions d’émeutes, ce qui nourrit le scepticisme d’une partie de l’électorat. Biya mise sur l’éclatement de l’opposition et sur l’abstention pour prolonger son règne.

Bello Bouba Maigari, 76 ans, dirige l’Union nationale pour la démocratie et le progrès. Après avoir soutenu le RDPC pendant trois décennies, il s’en est éloigné en 2025 et propose aujourd’hui un dialogue avec les séparatistes, un statut spécial pour le Nord?Ouest et la modernisation de la Ring Road. Il défend un fédéralisme asymétrique pour apaiser les tensions. Son expérience attire certains, mais sa conversion tardive suscite des doutes.

Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre et fondateur du Front pour le salut national, se présente comme le porte?parole de la rupture. Son « Manifeste de transition » propose une Commission vérité, justice et réconciliation pour pacifier la crise anglophone, un audit des finances publiques, une industrialisation avec des zones économiques spéciales et une réforme constitutionnelle. Il promet l’éducation et la santé gratuites et insiste sur la transformation des ressources naturelles en emplois. Ses adversaires rappellent qu’il n’avait pas réduit le chômage lorsqu’il était ministre. Tchiroma mise sur sa rhétorique nationaliste et sur l’aspiration à la justice pour fédérer un électorat lassé.

Cabral Libii, 44 ans, incarne la jeunesse et préside le Parti camerounais pour la reconstruction nationale. Il propose de récupérer 11 700 milliards CFA de la société Glencore, de doter chaque commune de 2 milliards pour les infrastructures et de délivrer des titres fonciers gratuits. Il souhaite créer 25 régions communautaires bilingues et affirme que Paul Biya peut être battu. Des analyses soulignent que son modèle de fédéralisme communautaire est mal compris et que sa communication souffre d’incohérences. La concurrence d’autres jeunes candidats et l’absence de réseaux en zone rurale compliquent sa stratégie. Il compte mobiliser la jeunesse urbaine et la diaspora.

Ces quatre ténors résument l’essence de la présidentielle : le président sortant joue la carte de la stabilité et de la puissance financière ; Bello Bouba offre une transition fédéraliste tardive ; Tchiroma promet vérité, audit et industrialisation ; Libii incarne l’espoir d’une alternance centrée sur les communes. Le pays se souvient des slogans des « grandes ambitions » puis de « la force de l’expérience » mais se demande si ces promesses ont été tenues. L’issue dépendra de la participation et de la capacité des opposants à dépasser leurs divisions. Le 12 octobre 2025, le Cameroun décidera s’il poursuit la continuité ou s’engage dans une nouvelle voie. La vie chère et le chômage alimentent aussi la colère des électeurs.

 

Réformateurs et souverainistes : audits, souveraineté et justice

Un deuxième groupe réunit des candidats porteurs de réformes de fond. Akere Muna du parti UNIVERS, Serge Espoir Matomba du PURS, Pierre Kwemo de l’UMS et Jacques Bougha Hagbe du MCNC s’adressent à des électeurs qui réclament un État transparent, souverain et solidaire. Ils estiment que le renouveau passe par un audit des finances publiques, l’autonomie monétaire et la participation citoyenne. Malgré une couverture médiatique limitée et des moyens modestes, leurs propositions interrogent la nature de l’État et la place du Cameroun dans la zone franc.

Akere Muna, ancien bâtonnier, construit sa campagne autour de huit piliers : gouvernance démocratique, relance économique, droits de la diaspora, réforme de l’éducation, santé pour tous, justice sociale et droits humains, sécurité, culture et tourisme. Fin août 2025, il a dévoilé un plan d’urgence pour ses cent premiers jours : recenser les besoins des 360 communes en eau, écoles et routes, faciliter la pluri?nationalité et mener un audit indépendant des finances publiques. Il plaide pour un dialogue national inclusif et la séparation des pouvoirs. Muna affirme que la transparence est la condition du changement et appelle la diaspora et les classes moyennes à investir dans le pays.

Serge Espoir Matomba, leader du PURS, adopte un discours souverainiste. Il souhaite quitter le franc CFA et construire une économie de justice sociale. Il propose la gratuité des actes de naissance et des cartes d’identité, la baisse du ciment à 2 000 FCFA, la construction de logements à 3 millions de francs, la garantie de trois repas par jour et l’accès gratuit à l’éducation et à la santé. Il insiste sur la valorisation des cultures locales et sur la réconciliation entre anglophones et francophones. Ses partisans saluent son engagement social tandis que ses détracteurs doutent de la faisabilité de ces mesures. Matomba compte sur l’essor du panafricanisme pour attirer les jeunes.

Pierre Kwemo, maire de Bafang et président de l’UMS, organise sa vision autour de quatre axes. La justice sociale prône une redistribution équitable des richesses et un accès universel à la santé, à l’éducation et au logement. La démocratie réelle exige des réformes institutionnelles et un organe indépendant chargé des élections. L’autonomie économique repose sur la protection de l’industrie locale, tandis que la solidarité nationale vise un développement équilibré et une décentralisation effective. Kwemo estime que paix et justice sont indissociables et que l’avenir passe par la rénovation des institutions et par l’investissement dans l’éducation et l’innovation. Il reste cependant peu médiatisé.

Jacques Bougha Hagbe, économiste formé à Cornell, porte un projet radical. Il veut créer une monnaie nationale et une banque centrale populaire, transformer les entreprises publiques en sociétés où chaque citoyen serait actionnaire et fonder un fonds pour racheter les grandes entreprises. Il imagine 58 aéroports et promeut les véhicules électriques. Il demande qu’un Conseil suprême indépendant supervise les élections et que des partenariats public?privé financent la santé universelle. Ses propositions audacieuses suscitent scepticisme et curiosité. Beaucoup doutent de leur réalisme, mais certains saluent le courage de rompre avec le modèle actuel. Bougha s’adresse aux citoyens aspirant à une souveraineté monétaire et à une démocratie participative. Ces projets ambitieux suscitent de vifs débats. Certains économistes craignent qu’une sortie trop rapide du franc CFA entraîne une inflation incontrôlable, tandis que la transformation des entreprises publiques en sociétés populaires exigerait un consensus politique inédit. Néanmoins, Muna, Matomba, Kwemo et Bougha ont déjà imposé les thèmes de l’audit, de la souveraineté monétaire et de la justice sociale dans la campagne.

En mettant en avant l’audit des finances, la sortie de la zone CFA, la démocratie participative et la justice sociale, ces réformateurs introduisent des thèmes nouveaux dans la campagne. Ils ont en commun une méfiance envers l’extractivisme et un appel à la redistribution. Leur manque de ressources limite leur portée, mais leurs idées pourraient influencer l’agenda du prochain quinquennat. Ces candidats soulignent que la justice sociale et la souveraineté sont indispensables au développement durable vraiment.

 

Jeunesse, femmes et diversité : fédéralisme, inclusion et renouveau

Le troisième groupe est constitué de profils qui incarnent la relève et l’inclusion. Joshua Osih du SDF, Samuel Hiram Iyodi du FDC, Tomaino Ndam Njoya de l’UDC et Ateki Seka Caxton du PAL parlent aux jeunes, aux femmes et aux groupes marginalisés. Dans un pays où l’âge médian est bas et où les inégalités de genre persistent, ils proposent de concilier fédéralisme, justice sociale et modernité. Ce chapitre examine leurs programmes et les défis qu’ils affrontent face aux machines politiques établies.

Joshua Osih a été député et maire avant de prendre la tête du SDF. Sa plateforme « Sauver le Cameroun » prône la justice, la solidarité et la dignité. Il défend une décentralisation réelle : les régions devraient gérer l’éducation, la santé et les affaires locales plutôt que de dépendre des ministres de Yaoundé. Ses partisans soulignent qu’il prône un fédéralisme qui redonne du pouvoir aux collectivités, qu’il est ouvert au dialogue avec tous les acteurs politiques et qu’il est bilingue. Osih met en avant son expérience d’entrepreneur pour comprendre les besoins des entreprises et affirme pouvoir réconcilier les communautés. Son manque de moyens financiers et la concurrence d’autres candidats limitent toutefois sa visibilité.

Samuel Hiram Iyodi, 38 ans, est l’un des plus jeunes postulants. Son programme « Libérons le 237 » comprend douze points : sortir du franc CFA, réduire le nombre de ministres et créer une autorité anticorruption puissante. Il veut garantir à chacun un avocat, transformer les prisons en unités de production et organiser une conférence nationale en 2026 pour définir la forme de l’État. Il prône l’industrialisation et l’interdiction d’exporter des matières premières sans transformation. Il promet deux millions d’emplois, des allocations familiales à la naissance et des soins gratuits pour les femmes enceintes et les enfants. Il propose un calendrier scolaire et soutient la double nationalité. Sa jeunesse séduit certains électeurs, mais ses objectifs sont jugés ambitieux.

Tomaino Ndam Njoya, maire de Foumban et présidente de l’UDC, est la seule femme candidate. Elle milite pour les droits des femmes et des populations rurales et veut donner la parole aux groupes marginalisés en mariant tradition et modernité. En campagne, elle promet l’égalité des chances, la réduction du gouvernement à 17 ministères et l’accès des femmes à des portefeuilles souverains. Elle souhaite réviser le Code de la famille pour supprimer des termes discriminatoires et abolir la notion d’autochtonie. Elle défend les communautés Mbororo et réclame un accès équitable aux services publics. Ndam Njoya incarne un vote féministe et l’espoir d’une modernisation du statut des femmes.

Ateki Seka Caxton, militant civique et fondateur de NewSETA, affirme avoir formé plus de 10 000 jeunes à la citoyenneté. Sa vision repose sur trois verbes : réparer, restaurer et rebâtir. Il veut lutter contre la corruption en appliquant l’article 66, industrialiser l’économie et créer une fédération de dix États autonomes. Il propose de subventionner les produits de base, d’améliorer l’accès à l’électricité, à l’eau et aux soins, de promouvoir le tourisme et de sécuriser la façade maritime. Il encourage l’entrepreneuriat des jeunes et l’inclusion des personnes handicapées. En septembre, son parti a annoncé qu’il retirait sa candidature pour soutenir une figure unique de l’opposition. Ce sacrifice témoigne de son désir de mettre fin à plus de quarante ans de système, mais pourrait disperser ses soutiens. Caxton incarne une jeunesse prête à placer l’intérêt général en priorité.

Ces candidatures défendent un Cameroun fédéral, inclusif et orienté vers la justice sociale. Elles veulent rapprocher le pouvoir des citoyens, valoriser la diversité culturelle et promouvoir la parité et l’équité. En dépit de leur faible visibilité, ces candidats contribuent à renouveler l’offre politique et à défendre des causes longtemps marginalisées. Leur capacité à percer dépendra de leur alliance avec des forces plus établies et de leur aptitude à capter l’électorat urbain et connecté.

 

Sondages, pronostics et bataille des perceptions

La campagne ne se joue pas seulement sur les programmes : les sondages, les alliances et la mobilisation déterminent aussi l’issue. Un sondage relayé en août 2025 par ActuCameroun crédite Issa Tchiroma de 56,9 % des intentions de vote, Bello Bouba de 16,2 %, Cabral Libii de 12,6 %, Joshua Osih de 5,5 % et Akere Muna de 5,1 %. Selon l’ONG à l’origine de l’enquête, l’exclusion de Maurice Kamto aurait reporté ses voix sur Tchiroma. D’autres études mentionnées par CamerounWeb et Lebledparle créditent Tchiroma d’entre 39 % et 56 %, Bello Bouba autour de 14 % et Cabral Libii autour de 12 %. Bien que ces sondages reposent sur un échantillon de 417 personnes et manquent de transparence, ils ont un impact symbolique en plaçant un opposant en tête et en laissant penser qu’une alternance est possible si l’opposition s’unit.

Pourtant, l’unité est loin d’être acquise. Maurice Kamto a consulté plusieurs leaders dans l’espoir d’un consensus, mais il a finalement refusé de se désister pour l’un d’eux et a laissé ses partisans voter « en âme et conscience ». Cette posture a fragmenté l’opposition et laissé coexister cinq coalitions : l’Alliance politique pour le changement, l’Alliance pour la transition politique, l’Union pour le changement 2025, l’Alliance patriotique 58 et la stratégie autonome du SDF. Louison Essomba, politologue, prévient que seule une forte mobilisation citoyenne pourrait renverser l’hégémonie du RDPC. Faute d’unité, les chances de battre l’appareil au pouvoir demeurent faibles.

Le RDPC profite d’une machine financière et administrative considérable. La collecte de 135,7 millions FCFA dans la Mifi illustre le déséquilibre des moyens. Paul Biya bénéficie d’un réseau d’élites et de chefs traditionnels mobilisés depuis 2021. Les opposants doivent compter sur des dons modestes et affrontent des obstacles administratifs, ce qui décourage certains électeurs qui pensent que le scrutin est joué d’avance. Pour contrer cette tendance, plusieurs candidats appellent à voter massivement : Jacques Bougha Hagbe exhorte à « voter en masse pour gagner même avec fraude », Issa Tchiroma promet qu’il sera président dès le lendemain du vote, les partisans de Bello Bouba vantent son projet fédéraliste et Cabral Libii rappelle que le système peut être battu. L’objectif est d’augmenter la participation pour réduire l’avantage du RDPC.

Des éditorialistes rappellent que ces sondages ne sont pas des prédictions fiables : la véritable bataille se jouera sur le terrain et dépendra du taux de participation. En 2018, l’abstention de plus de la moitié des électeurs a favorisé le RDPC, et seule une mobilisation massive pourrait inverser la tendance. Des analystes proches du MRC estiment que, malgré son passé au gouvernement, Issa Tchiroma est aujourd’hui le mieux placé pour battre le parti au pouvoir si l’opposition parvient à se rassembler. D’autres médias appellent à un dialogue franc entre les candidats et à l’organisation d’une transition pacifique pour éviter la violence post?électorale.

Malgré ces appels, l’absence de sondages indépendants et la fragmentation de l’opposition incitent à la prudence. De nombreux médias reconnaissent que Paul Biya reste favori en raison de son appareil et de la division de ses adversaires. Les enquêtes favorables à Tchiroma reflètent davantage une aspiration à l’alternance qu’une tendance irréversible. Le vote du 12 octobre 2025 s’annonce comme un moment de vérité : soit le Cameroun prolonge une présidence quasi cinquantenaire, soit il ouvre une nouvelle page. Au?delà de la victoire, la réussite de cette élection sera jugée à l’aune de la paix post?électorale. La capacité des candidats à accepter le verdict des urnes et à préserver la cohésion sociale déterminera si le pays parvient à conjurer le spectre des violences politiques. Les observateurs, partagés entre scepticisme et espoir, scrutent un événement qui pourrait marquer l’histoire contemporaine du Cameroun.

https://www.epocinfo.fr/election.php?no=15027

À suivre.