TANZANIE - ELECTIONS DU 29 OCTOBRE

La bataille des urnes et des idées

L’ère des femmes et des chiffres record

La Tanzanie s’apprête à vivre le 29 octobre 2025 l’une des élections présidentielles les plus emblématiques de son histoire. La date est fixée au terme d’un processus de nominations et de recours qui a débuté en août et la campagne s’est déroulée sous le regard attentif des médias et des observateurs internationaux. Plus de 37 millions d’électeurs sont inscrits, soit une hausse d’un quart par rapport à 2020. La Commission électorale indépendante explique cette augmentation par l’intégration des registres de Zanzibar, la croissance démographique et l’ouverture de milliers de bureaux de vote. Un redécoupage a donné naissance à de nouvelles circonscriptions afin d’adapter la représentation aux zones densément peuplées.

Mais c’est surtout la place des femmes qui confère à ce scrutin un caractère inédit. Trois d’entre elles briguent la magistrature suprême : la présidente sortante Samia Suluhu Hassan du Chama Cha Mapinduzi, Mwajuma Noty Mirambo de l’Union Democratic Movement et Saum Rashid du United Democratic Party. Dix autres femmes figurent sur des tickets pour la vice?présidence. Cette émergence résulte d’années de plaidoyer pour l’égalité et des engagements panafricains. L’accession de Samia à la tête de l’État en 2021 a renforcé cette dynamique en montrant que le plafond de verre pouvait être brisé, et les partis rivalisent désormais d’initiatives pour nommer des femmes à des postes stratégiques.

Le calendrier électoral, plus transparent que par le passé, constitue un autre élément structurant. La campagne officielle s’est ouverte fin août et elle a été encadrée par des règles sur le financement et l’accès équitable aux médias. Le jour du scrutin a été déclaré férié pour encourager la participation et l’INEC a publié de nouvelles consignes permettant à ceux dont la photo est absente des registres de voter avec leur carte d’identité ou leur permis de conduire. Les numéros erronés ne seront plus un motif de rejet. Ces assouplissements visent à empêcher l’exclusion de milliers de citoyens pour des irrégularités administratives et à renforcer la confiance dans le processus.

La dimension internationale du scrutin s’exprime par la présence de missions d’observation. La Communauté d’Afrique de l’Est a dépêché une équipe dirigée par l’ancienne vice?présidente ougandaise Speciosa Kazibwe pour évaluer la régularité sans s’ingérer. D’autres délégations venues d’Afrique australe et des organisations civiques tanzaniennes surveillent également le vote, signe de la confiance que suscite l’évolution démocratique du pays. Sur l’archipel de Zanzibar, la commission électorale locale a coordonné avec l’INEC la production et la distribution des bulletins et misé sur des imprimeries locales afin de réduire les coûts et de sécuriser le matériel.

Les médias tanzaniens sont conscients de leur rôle de vigie. Des éditorialistes rappellent que les journalistes doivent être éducateurs, modérateurs et gardiens de la paix. Face à la prolifération de fausses informations, ils s’efforcent de fournir des données fiables et équilibrées et de questionner les candidats sur leurs programmes. La presse a relayé les appels des organisations religieuses à préserver l’unité et à éviter la haine. Les enjeux sont d’autant plus élevés que dix régions concentrent plus de la moitié des électeurs et qu’en 2020 l’abstention avait dépassé 49 %. Les jeunes leaders et les associations multiplient les initiatives pour convaincre la population de se rendre aux urnes et rappellent que cette élection représente un baromètre pour la Communauté d’Afrique de l’Est.

La tenue simultanée des élections législatives et municipales donnera une dimension supplémentaire à cette journée décisive. Beaucoup y voient une opportunité pour la Tanzanie de consolider son statut de modèle de démocratie dans la sous?région. La pression exercée par les réseaux sociaux, l’essor des mouvements de femmes et de jeunes et l’aspiration à une gouvernance plus transparente placent les acteurs politiques face à des attentes fortes. L’opposition promet de contester les irrégularités par des voies légales tandis que le pouvoir mise sur la stabilité. Quel que soit le résultat, le scrutin de 2025 influera durablement sur l’économie, la gouvernance et la place de la Tanzanie en Afrique. Les citoyens s’y préparent avec une mobilisation.

 

Candidats et visions : entre continuité et rupture

La campagne présidentielle de 2025 confronte des visions radicalement différentes. Samia Suluhu Hassan, première femme à diriger la Tanzanie, sollicite un mandat au suffrage direct sous la bannière du parti au pouvoir et met en avant la continuité. Elle valorise la stabilité macroéconomique, la poursuite des grands chantiers d’infrastructures et l’industrialisation pour créer des emplois. Ses discours insistent sur la paix et l’unité et sur la nécessité de former la jeunesse pour qu’elle profite des technologies émergentes. Son gouvernement affirme avoir réduit l’inflation à environ 3 %, créé des milliers d’emplois à l’étranger et attiré des investissements. Ses détracteurs jugent que l’ampleur de ses promesses, notamment l’attribution de millions de tracteurs, dépasse les capacités budgétaires d’un pays où beaucoup manquent encore d’eau potable et d’écoles.

L’opposition, fragmentée, propose des alternatives. Wilson Elias Mulumbe, de l’ADC, veut abolir la taxe routière, créer un fonds pour indemniser les victimes d’accidents, forer des puits et installer des usines de dessalement pour résoudre la crise de l’eau. Il prône l’interdiction des importations de riz pour relancer l’agriculture et l’augmentation des salaires des enseignants. Mulumbe met aussi l’accent sur l’amélioration des salaires dans la fonction publique et la transparence. Il promet également de réformer l’administration et de rendre les budgets publics accessibles. Il se présente comme un réformateur économique et institutionnel mais adopte un discours conservateur sur les questions de société.

La candidate du Civic United Front, Gombo Samandito Gombo, défend la gratuité de la santé et de l’éducation, un vaste plan d’emplois pour les jeunes et l’adoption d’une nouvelle constitution. Elle promet de dissoudre l’agence anticorruption actuelle et de créer un organisme indépendant doté de pouvoirs d’enquête. Elle milite pour la limitation des mandats et la transparence. Elle affirme qu’une nouvelle constitution établirait des contre?pouvoirs plus forts et renforcerait la protection des droits fondamentaux. Ses adversaires rétorquent que ces mesures seraient difficiles à financer.

D’autres prétendants se concentrent sur des propositions classiques : diversification de l’économie, réduction de la pauvreté et amélioration des services publics. Plusieurs colistières mettent en avant l’inclusion des femmes et des jeunes et la protection de l’environnement. À Zanzibar, la seule femme candidate, Leila Khamis, souhaite moderniser la pêche en haute mer, fournir des bateaux modernes aux pêcheurs et accorder des prêts sans intérêt aux entrepreneures. Elle évoque également la construction d’hôpitaux et d’écoles et vante le potentiel de l’économie bleue. Le président sortant Hussein Mwinyi demande un nouveau mandat pour poursuivre ses investissements dans les routes et les ports de l’archipel.

La campagne est parfois dominée par des promesses extravagantes qui suscitent l’ironie. Coaster Kibonde, du Chama Cha Makini, promet de donner cinq hectares à chaque jeune adulte et de garder Samia comme conseillère. Said Soud Said, de l’Alliance for African Farmers Party, veut légaliser la culture du cannabis et interdire les lits larges au nom de la natalité. Devotha Minja, colistière du People’s Liberation Party, jure qu’elle fera baisser le prix du riz à un niveau dérisoire. Ces annonces spectaculaires reflètent la tentation du sensationnalisme et soulignent le mécontentement d’une partie de la population.

Au?delà des personnalités et des slogans, deux visions s’affrontent. Le CCM et sa candidate misent sur l’expérience et la stabilité, mettant en avant des réalisations économiques et des investissements lourds. Les adversaires, bien que divisés, prônent une rupture : abolition de certaines taxes, gratuité des services publics, réforme constitutionnelle et lutte plus ferme contre la corruption. La nouveauté de ce scrutin tient aussi à la présence inédite de plusieurs femmes à des postes de tête et à l’émergence de figures issues de la société civile. Le vote mettra en jeu le choix entre la continuité d’un parti au pouvoir depuis l’indépendance et l’aspiration au changement portée par une génération qui réclame plus de transparence, d’égalité et d’opportunités. Cette dynamique ouvre un espace de débat sur l’avenir de la Tanzanie, entre modèle developmentaliste et expérimentations sociales inédites pour les citoyens. La parité progresse en politique.

 

Logistique, mobilisation et médias : les coulisses d’une élection géante

Loin des discours des candidats, l’organisation du scrutin tanzanien constitue un défi logistique colossal. La Commission électorale indépendante a inscrit plus de 37 millions d’électeurs et doit ouvrir près de cent mille bureaux, dont environ 97 000 sur le continent et 2 500 à Zanzibar. Pour gérer ce flux, elle forme des centaines de milliers d’agents chargés d’enregistrer, de guider et de compter les bulletins. Les partis recrutent eux aussi leurs délégués pour surveiller les opérations. L’acheminement de l’urne, des isoloirs et du matériel est une gageure : dans des districts comme Temeke ou Bagamoyo, les organisateurs louent des camions et des motos et sollicitent des entreprises pour financer le transport.

La participation reste l’enjeu majeur après une abstention de plus de 49 % en 2020. Les jeunes, souvent démobilisés, représentent pourtant une majorité du corps électoral. Pour les convaincre, des ONG, des associations estudiantines organisent des campagnes de sensibilisation. Des plateformes en ligne permettent de vérifier son lieu de vote et expliquent la procédure. Dans les universités et les marchés, des ateliers rappellent que l’abstention affaiblit la démocratie. Des influenceurs sur les réseaux sociaux produisent des vidéos pédagogiques, tandis que les sermons dans les mosquées et les homélies invitent les fidèles à accomplir leur devoir citoyen.

Les médias jouent un rôle central pour soutenir cette mobilisation et prévenir les dérives. Ils multiplient les émissions d’éducation civique, dévoilent les programmes et vérifient les rumeurs qui circulent sur les retards ou les fraudes. La Commission électorale diffuse des consignes détaillées : les électeurs dont la photo manque sur le registre pourront présenter leur carte d’identité ou leur permis de conduire ; les incohérences dans le numéro ne disqualifieront pas si les autres données correspondent ; les personnes affectées par la suppression ou la fusion de quartiers pourront voter dans leur zone d’origine. Des centres d’appel répondent aux questions. L’objectif est d’éviter que des milliers de citoyens soient écartés pour des erreurs administratives.

Cette élection se déroule par ailleurs dans un nouveau paysage territorial. Huit circonscriptions ont été créées et douze renommées afin d’adapter la représentation à l’évolution démographique. Les nouvelles entités – Kivule, Chamazi, Mtumba, Uyole, Bariadi Ville, Katoro, Chato Sud et Itwangi – modifient la cartographie électorale. Des réunions publiques et des annonces radio expliquent ces changements pour que les habitants sachent où voter. Certains critiquent le redécoupage, y voyant une manœuvre en faveur du parti au pouvoir ou une source de confusion dans des zones où l’information circule mal. L’enjeu pour l’administration est de convaincre que la réforme vise à rapprocher les élus des citoyens.

La sécurité est l’autre priorité des autorités. La police et la gendarmerie annoncent des déploiements importants pour sécuriser les bureaux et les centres de compilation. Les ministres promettent la neutralité des forces et interdisent le port d’armes à proximité des sites de vote. Des ONG de défense des droits de l’homme mettent en place des observatoires pour recueillir les signalements d’intimidation ou de violences. Les missions d’observation internationales viennent en renfort : la Communauté d’Afrique de l’Est a envoyé une soixantaine d’experts menés par l’ancienne vice?présidente ougandaise Speciosa Kazibwe pour évaluer la campagne, le vote et le dépouillement. D’autres organisations régionales et nationales participent au suivi et publieront des rapports qui devraient influencer la perception de la communauté internationale.

Sur l’archipel de Zanzibar, les autorités innovent. Pour la première fois, la commission locale a imprimé plus de 700 000 bulletins localement, réduisant les coûts et renforçant la confiance. Les bulletins ont été distribués plusieurs semaines avant le scrutin et les responsables ont coordonné avec l’INEC pour harmoniser le processus. Les électeurs de l’archipel se disent encouragés par cette modernisation. Les programmes axés sur l’économie bleue, portés par certains candidats, suscitent un enthousiasme particulier chez les pêcheurs et les femmes entrepreneurs. Sur l’ensemble du territoire, ces innovations logistiques et cette mobilisation montrent que l’élection de 2025 n’est pas seulement un duel de programmes mais aussi un test de la capacité de l’État à organiser un scrutin crédible et inclusif. De nouveaux défis demeurent cependant encore.

 

Législatives et réformes : défis pour un nouvel équilibre

Le 29 octobre, les Tanzaniens renouvelleront aussi les 392 sièges de l’Assemblée nationale et éliront les conseillers municipaux. Ce rendez?vous parlementaire passe souvent sous le radar, alors qu’il déterminera la capacité du futur président à gouverner. La constitution prévoit que plus d’un tiers des sièges soient occupés par des députées nommées sur liste proportionnelle. La loi prévoit un quota de sièges réservés aux femmes pour améliorer leur représentation, et plusieurs partis alignent des colistières candidates à la fois à des postes de vice?présidente et de députée. Pour les formations émergentes, ces élections offrent l’occasion d’obtenir un ancrage institutionnel et de transformer la visibilité gagnée par les femmes et les jeunes en sièges concrets.

Pourtant, la campagne législative reste éclipsée par la présidentielle. Dans de nombreuses circonscriptions, les prétendants au Parlement ne proposent pas de programmes distincts et se contentent de suivre la caravane de leur leader. Cette discrétion nourrit la méfiance et l’abstention. Les promesses fantaisistes entendues lors des meetings nationaux, comme l’octroi de terres gratuites ou la réduction radicale du prix du riz, brouillent la frontière entre propositions sérieuses et slogans. Les ressources sont concentrées entre les mains des sortants et des autorités locales, et les nouveaux venus peinent à obtenir une visibilité médiatique. Des analystes redoutent que le futur Parlement ne se contente d’entériner les décisions de l’exécutif.

Le décor électoral a été remanié. L’INEC a créé huit nouvelles circonscriptions et en a renommé douze pour tenir compte de la croissance démographique et rapprocher les services publics des citoyens. Parmi les nouvelles circonscriptions figurent Kivule, Chamazi, Mtumba, Uyole, Bariadi Ville, Katoro, Chato Sud et Itwangi. Cette réforme porte le total à 272 circonscriptions et s’accompagne de la création de cinq nouveaux quartiers. Les autorités affirment qu’il s’agit d’équilibrer le poids électoral des régions. Des critiques y voient une manœuvre pour diluer l’opposition et augmenter les dépenses publiques sans garantie de meilleure représentativité. Des juristes soulignent que ces modifications devront s’accompagner d’une réforme de la fonction publique et d’un contrôle accru pour éviter la multiplication des postes.

Au?delà des questions de découpage, la société civile veut profiter de ce scrutin pour réactiver la réforme constitutionnelle. La Coalition des défenseurs des droits de l’homme propose que le nouveau Parlement réunisse les projets existants et confie à un comité d’experts indépendants le soin de rédiger un texte consensuel. Les partisans de cette refonte souhaitent renforcer la séparation des pouvoirs, limiter les mandats et garantir des droits fondamentaux plus étendus. Ils plaident aussi pour une lutte plus efficace contre la corruption et pour une plus grande autonomie des autorités locales. La constitution actuelle, héritée de l’ère du parti unique, est jugée obsolète face à un pays jeune et urbanisé.

La dynamique générationnelle pourrait également influencer la composition du Parlement. Le Chama Cha Mapinduzi, au pouvoir depuis l’indépendance, dispose d’un appareil organisationnel puissant et reste favori pour conserver la majorité. Cependant, l’arrivée de millions de nouveaux électeurs, l’essor des réseaux sociaux et l’émergence de candidats issus de la société civile donnent de l’espoir à l’opposition. Les indépendants et les petites formations misent sur le porte?à?porte et les campagnes numériques pour contourner les médias traditionnels et sensibiliser les citadins. Leur succès dépendra de la participation et de la capacité à nouer des alliances après le scrutin.

Plusieurs scénarios sont envisageables à l’issue du vote. Une victoire confortable du CCM prolongerait un modèle d’hégémonie qui réduit les contre?pouvoirs et limite la capacité de l’opposition à influencer la législation. Une Assemblée plus pluraliste obligerait le gouvernement à négocier et pourrait accélérer les réformes institutionnelles et la rédaction d’une nouvelle constitution. L’hypothèse d’une coalition, bien que peu probable, ouvrirait un espace de compromis sur la politique économique, l’équilibre des pouvoirs et la gouvernance locale. Quoi qu’il en soit, les élections législatives de 2025 constituent un test pour la démocratie tanzanienne. Elles diront si le pays est prêt à aller au?delà d’un modèle où l’alternance demeure lointaine pour expérimenter une gouvernance plus partagée.