PAYS-BAS - LEGISLATIVES DU 29 OCTOBRE
Une campagne éclatée : panorama des programmes et incertitudes

Programmes opposés dans une société fragmentée
La campagne électorale de 2025 s’ouvre dans un climat de fracture politique. Après la chute du cabinet dirigé par Dick Schoof, les partis dévoilent des programmes montrant des choix de société antagonistes. Le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders incarne la droite radicale. Il propose une asielstop de quatre ans, la fermeture des centres d’asile et le renvoi des demandeurs d’asile. Il promet de dénoncer la Convention de Genève, de restreindre les aides sociales aux étrangers et d’imposer un contrôle plus strict sur les frontières intérieures. Il veut renforcer les effectifs de police et réduire le rôle de l’Union européenne au strict minimum.
La nouvelle alliance GroenLinks-PvdA dirigée par Frans Timmermans mêle écologie et justice sociale. Elle fait du logement sa priorité et veut bâtir sur des aéroports désaffectés et des friches industrielles. Elle propose de supprimer progressivement la déduction des intérêts hypothécaires, de limiter les loyers et d’instaurer un abonnement transport public à 59 € par mois. Pour financer ces mesures, les milliardaires et les entreprises polluantes seraient davantage taxés. Le parti envisage aussi de rénover les logements et d’atteindre la neutralité carbone. Il soutient un objectif migratoire modéré et renforce la fiscalité écologique.
Le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD), mené par Dilan Ye?ilgöz, se positionne au centre droit en valorisant l’initiative individuelle et la prospérité économique. Son programme promet de maintenir la déduction des intérêts hypothécaires, de réduire les impôts sur les entreprises et de rendre les prestations sociales moins généreuses afin d’inciter au travail. Le VVD souhaite augmenter le budget de la défense à 3,5 % du PIB, étudie un retour de la conscription et prône une politique migratoire plus stricte mais coordonnée avec l’Europe.
Le Nieuw Sociaal Contract (NSC) d’Eddy van Hijum mise sur la fiabilité. Il veut simplifier le système d’aides via un impôt et des prestations universelles, augmenter le salaire minimum à 18 € et rémunérer les stages. Le parti propose de limiter l’immigration à 50 000 personnes par an, instaurer un service militaire inspiré de la Suède et créer une Cour constitutionnelle pour protéger les droits des citoyens. D66, mené par Rob Jetten, défend une réforme démocratique ambitieuse participative, veut élargir la Chambre des députés et instaurer des forums citoyens sur le climat et la santé.
La BoerBurgerBeweging (BBB) de Caroline van der Plas défend les intérêts ruraux et fustige la « folie climatique ». Elle veut une politique d’asile stricte, abroger la taxe CO? et accorder un statut au limbourgeois. Le parti promeut la protection des traditions régionales et la suppression des cours turcs ou arabes. Le CDA, dirigé par Henri Bontenbal, se présente comme un pivot entre gauche et droite. Il propose de supprimer la déduction des intérêts hypothécaires, d’instaurer une contribution progressive à la défense, de créer un service civique pour la jeunesse et de reconnaître un État palestinien sous conditions.
Le Socialistische Partij (SP) veut nationaliser l’énergie et les transports, construire logements abordables et porter le salaire minimum à 18 €. Il réclame un plafond de fortune à 50 millions et réduire le budget militaire. La ChristenUnie (CU) met l’accent sur la famille : elle propose une allocation de 4 500 € par enfant et un service civique universel. Denk se concentre sur l’égalité et la lutte contre la discrimination. Le SGP prône des valeurs bibliques conservatrices et le Forum voor Democratie (FvD) veut quitter l’Union européenne et abolir les restrictions climatiques.
La PvdD défend la cause animale et climatique : elle veut des murs de verre dans les abattoirs, consacrer 5 % du PIB au climat et instaurer un congé pour les personnes trans. Volt, parti paneuropéen, vise la neutralité carbone d’ici 2040, un revenu de base universel et une armée européenne de 250 000 soldats et soutient aussi une union énergétique européenne. JA21, à la droite du VVD, veut réduire la bureaucratie, instaurer des référendums, un impôt unique sur les sociétés et investir dans la défense. Ces programmes témoignent d’un pays où chaque parti cherche une niche idéologique plutôt qu’un compromis collectif.
Les sondages et l’électorat mouvant
Les Néerlandais entrent dans la dernière ligne droite d’une campagne dominée par les enquêtes d’opinion. La Peilingwijzer, qui agrège les sondages d’Ipsos I&O et Verian, rappelle que les sondages ne sont pas des prédictions et qu’une large part de l’électorat reste indécise. Au 21 octobre 2025, elle crédite le PVV de 29 à 35 sièges, l’alliance GroenLinks-PvdA de 22 à 26, le CDA de 22 à 26 et le VVD de 12 à 16. Le reste se partage entre NSC, D66, BBB et Volt, tous oscillant autour de 10 sièges. Cette fragmentation confirme la fin du bipartisme historique.
Les électeurs, de plus en plus volatils, comparent les programmes en ligne et changent souvent d’avis dans les dernières semaines. Le vote stratégique prend de l’importance : nombre d’électeurs de centre droit hésitent entre VVD, NSC et BBB, tandis que ceux de gauche oscillent entre GroenLinks-PvdA et D66. Les débats télévisés ont mis en avant le ton modéré de Timmermans et le discours sécuritaire de Wilders, polarisation qui accentue la personnalisation de la campagne.
Les instituts soulignent aussi la montée de la participation. Plus de 80 % des électeurs disent vouloir voter, mais les jeunes restent les plus imprévisibles. Volt et PvdD progressent dans cette catégorie, alors que les plus de 60 ans restent fidèles au CDA et au VVD. Le vote par correspondance, expérimenté pendant la pandémie, devient structurel et bénéficie surtout aux Néerlandais de l’étranger. Les données régionales montrent une polarisation croissante : l’ouest urbanisé vote plutôt pro-européen, le nord et l’est soutiennent les partis ruraux et anti-Bruxelles.
Dans les dernières semaines, la Peilingwijzer montre un léger reflux du PVV et une progression du CDA et du BBB, profitant des électeurs déçus du centre droit. GroenLinks-PvdA se stabilise grâce à Timmermans, perçu comme « compétent ». Le VVD paye la fatigue de l’après-Rutte et des années de libéralisme économique. Les petits partis comme Volt ou PvdD restent essentiels dans les coalitions futures. Les sondeurs rappellent que ces chiffres ne sont qu’une photographie du moment et peuvent encore évoluer.
Crise politique et coalitions introuvables
La chute du cabinet dirigé par Dick Schoof a déclenché l’élection anticipée du 29 octobre 2025. Ce gouvernement de droite, réunissant PVV, VVD, NSC et BBB, avait promis la politique d’asile la plus stricte de l’histoire : création d’un ministère de l’Asile, dérogation aux règles européennes et état d’urgence. Pour préserver l’unité, les quatre leaders, dont Geert Wilders et Dilan Ye?ilgöz, avaient renoncé à siéger directement au cabinet, une innovation destinée à éviter les conflits personnels.
La crise est née d’un désaccord sur la limitation du regroupement familial des réfugiés. Le PVV exigeait une interdiction temporaire, le VVD et le NSC refusaient d’aller aussi loin. Face à l’impasse, le ministre de l’Asile a démissionné, provoquant l’effondrement de la coalition. Les partis se sont mutuellement accusés de trahison politique. L’opposition a dénoncé un « gouvernement de crise permanent ».
Depuis, les scénarios de coalition paraissent tous fragiles. Une alliance de droite pure (VVD-NSC-BBB) aurait à peine la majorité, tandis qu’une coalition de gauche ( GroenLinks-PvdA avec D66 et Volt ) manquerait de soutien en dehors des grandes villes. Les dirigeants cherchent une « majorité de valeurs » plutôt qu’arithmétique, mais le système proportionnel néerlandais rend chaque accord laborieux. Le roi Guillaume-Alexandre devra encore nommer plusieurs informateurs pour explorer les options.
Les Pays-Bas entrent ainsi dans une phase d’incertitude prolongée. La population exprime à la fois le désir d’ordre et de compromis. Mais les fractures entre urbains et ruraux, jeunes et retraités, progressistes et conservateurs rendent tout consensus précaire. La crise de confiance dans les institutions alimente l’idée d’une refondation du contrat social. Cette élection décidera de leur avenir.
Les grands enjeux de société
Au-delà des programmes et des coalitions, la campagne met en lumière les inquiétudes profondes d’un pays riche mais fragilisé par les crises successives. Le logement reste le sujet numéro un : les jeunes ménages ne peuvent plus acheter, les étudiants dorment parfois dans leurs voitures, et les villes moyennes voient fuir leurs habitants vers l’Allemagne ou la Belgique. La crise du pouvoir d’achat alimente le vote protestataire. Les travailleurs précaires et les indépendants demandent davantage de protection sociale et d’investissements publics.
La question écologique domine aussi les débats. La transition énergétique nécessite de nouveaux parcs éoliens et le raccourcissement des chaînes logistiques, mais les résistances locales ralentissent les projets. Le BBB parle de « tyrannie climatique », tandis que GroenLinks-PvdA y voit une opportunité économique. La fracture se dessine entre ceux qui peuvent investir dans l’isolation et ceux qui subissent les coûts des énergies.
La sécurité et l’identité nationale restent des thèmes majeurs. Les attentats isolés et les tensions géopolitiques en Ukraine et au Moyen-Orient renforcent les discours de fermeté. Wilders capitalise sur le sentiment d’insécurité, tandis que le centre plaide pour une défense européenne renforcée. Les questions d’immigration, de religion et de valeurs reviennent dans les cafés et les réseaux sociaux, où les échanges sont souvent violents.
Enfin, la crise de représentation politique plane sur tout le pays. La multiplication des partis révèle une fatigue civique et un désir de renouvellement. Les Pays-Bas, longtemps modèle de compromis, cherchent désormais un nouvel équilibre entre efficacité et pluralisme. Quel que soit le résultat du 29 octobre, la formation du prochain gouvernement sera longue et délicate, symbole d’une démocratie où le dialogue reste une vertu mais a perdu sa simplicité.