YUKON - LEGISLATIVES DU 3 NOVEMBRE

À suivre dans le Grand Nord : une élection territoriale charnière

Bataille politique inédite : nouveau découpage électoral et course ouverte

Le 3 novembre 2025, les électeurs du Yukon se rendront aux urnes pour élire 21 députés, soit deux de plus qu’en 2021. Une commission des frontières a divisé plusieurs circonscriptions, notamment Whistlebend en deux, et recomposé le Mont Lorne–Southern Lakes. Cette refonte doit mieux refléter la croissance démographique de Whitehorse et porter à 13 le nombre de sièges urbains contre huit ruraux. Pour la première fois depuis 2008, le territoire comptera donc 21 circonscriptions. Le scrutin propose aussi un plébiscite sur la réforme du mode de scrutin qui pourrait remplacer le système uninominal majoritaire à un tour par un vote par ordre de préférence. Les électeurs se prononceront sur l’idée d’exiger qu’un candidat obtienne plus de 50 % des voix pour l’emporter, ce qui modifierait durablement la représentativité de l’Assemblée législative.

L’élection promet d’être serrée. La dissolution de l’assemblée a été annoncée le 2 octobre par le premier ministre Mike Pemberton, qui dirige le Parti libéral depuis juin et qui court pour la première fois après avoir remplacé Ranj Pillai. Les libéraux, au pouvoir depuis 2016, ne présentent qu’un seul député sortant, le président Jeremy Harper, après que tous les autres ministres ont choisi de ne pas se représenter. Selon une analyse du professeur Ken Coates rapportée par la presse canadienne, l’absence de ministres sortants signifie que quel que soit le résultat, un « nouveau visage » gouvernera le Yukon. Les libéraux manquent de candidats dans trois circonscriptions, ce qui pourrait entraîner des luttes à deux entre le Parti du Yukon et le NPD dans Copperbelt North, Klondike et Kluane. Cette absence de candidatures est perçue comme un signe de fragilité, certains y voyant un vote de non?confiance à l’égard du gouvernement sortant.

Le Parti du Yukon dirigé par Currie Dixon et le Nouveau Parti démocratique (NPD) de Kate White présentent chacun une équipe quasi complète. Dans son article « Three?way race », la Presse canadienne note que les deux partis comptent des candidats dans 20 circonscriptions sur 21. Certains candidats sont des figures expérimentées tandis que d’autres, issus des Premières Nations, incarnent le renouvellement. CHON?FM souligne que six candidats du Parti du Yukon sont issus de nations autochtones telles que les Tr’ondëk Hwëch’in, la Première Nation de Little Salmon?Carmacks et la Ta’an Kwäch’än. Le NPD présente également des figures autochtones, dont l’ancienne conseillère de la White River First Nation John VanderMeer, la conseillère Linda Moen (Kwanlin Dün) et Josie O’Brien (Conseil Ross River Dena). Ces candidatures traduisent le poids croissant des Premières Nations dans la vie politique et posent la question de la représentation et du partage du pouvoir.

Le scrutin se déroule dans un climat particulier. L’augmentation du coût de la vie, la crise du logement et la crise sanitaire persistent. L’économie territoriale dépend encore largement de secteurs cycliques comme le tourisme et l’industrie minière, mais elle est confrontée à des coûts de transport élevés et à la dépendance au sud pour de nombreux biens. Cette élection du « Grand Nord » repose donc sur des enjeux fondamentaux pour 40 000 habitants en quête d’équilibre entre développement économique, équité sociale et préservation de l’environnement.

En tout, 61 candidats se présentent : 18 libéraux, 21 candidats du Parti du Yukon, 21 du NPD et un indépendant dans Southern Lakes. Cette pluralité reflète un renouveau, avec des personnalités variées, des artistes comme Matthew Lien et des leaders communautaires comme Rose Sellars. Plusieurs candidats proviennent des Premières Nations, signalant l’importance croissante de ce leadership. L’absence de libéraux dans Copperbelt North, Klondike et Kluane entraînera des duels YP?NPD. Ces candidatures illustrent la diversité du territoire. Élections Yukon propose des bulletins spéciaux, le vote par correspondance et des journées de vote anticipé les 26 et 27 octobre pour favoriser la participation; les électeurs doivent s’inscrire avant le 21 octobre et peuvent déposer un bulletin spécial jusqu’au 31 octobre avant la journée électorale du 3 novembre.

Dans ce territoire où la population équivaut à celle d’une petite ville et où l’isolement amplifie chaque décision, la perspective d’un découpage unique suscite un enthousiasme mêlé d’incertitude.

Le portefeuille familial au cœur de la campagne : loger et nourrir les Yukonnais

Au-delà des programmes, la vie quotidienne des Yukonnais est marquée par l’isolement. Dans les villages éloignés, il faut parcourir de longues distances pour trouver une épicerie ou un centre de soins, et chaque litre de carburant importé se répercute dans le prix des aliments et de l’électricité. L’inflation et la fin des subventions liées à la pandémie aggravent la situation. De nombreuses familles cumulent des emplois saisonniers et complètent leurs revenus par la chasse ou la pêche. Les partis promettent de geler les tarifs, subventionner le transport et soutenir des circuits alimentaires locaux pour alléger ces fardeaux.

La cherté de la vie apparaît comme le premier sujet d’inquiétude. Dans une analyse de CHON?FM, le journaliste Stuart Bonell rappelle que les libéraux articulent leur programme autour de cinq piliers : le logement, la santé, l’accessibilité financière, la réconciliation et l’économie. Mike Pemberton promet de « s’assurer que chaque Yukonnais dispose d’un toit » et de renforcer les programmes de soins afin de réduire les temps d’attente. Sa vision économique repose sur la diversification, le soutien aux petites entreprises et la mise en œuvre d’une stratégie de réconciliation susceptible de stimuler les partenariats avec les Premières Nations. La proposition phare en matière d’infrastructure est la construction de logements abordables financés par un partenariat public?privé.

Face à lui, Currie Dixon déclare vouloir soulager les ménages en s’attaquant aux tarifs de l’électricité. Selon CHON?FM, le Parti du Yukon s’engage à annuler la hausse prévue de 34 % des tarifs de la Yukon Energy Corporation. Il promet également de construire davantage de logements, de renforcer les services publics et d’assurer la sécurité publique. Le parti insiste sur la nécessité de réduire la taille de la bureaucratie et de contrôler les dépenses publiques. Dans l’analyse de la Presse canadienne, l’ancien professeur Ken Coates souligne que le parti est particulièrement préoccupé par l’ampleur de la fonction publique territoriale et par le budget, tout en se présentant comme l’option du changement.

Le NPD, quant à lui, met l’accent sur l’accessibilité des soins de santé et l’alimentation des enfants. Kate White propose une « garantie de médecin de famille » qui viserait à assurer un médecin à plus de 10 000 Yukonnais, dont 4 000 sont actuellement sur liste d’attente. Sur le plan de la vie quotidienne, le NPD veut travailler avec la direction de l’éducation des Premières Nations du Yukon pour rétablir le programme de nutrition en milieu rural et généraliser les programmes alimentaires scolaires afin que chaque enfant ait accès à des repas sains. Ces mesures visent à lutter contre l’insécurité alimentaire, particulièrement aiguë dans les régions isolées du territoire.

La question du logement est omniprésente. La hausse des loyers et la pénurie de lots dans certaines localités ont provoqué des difficultés, obligeant certains habitants à vivre en camping ou dans des logements surpeuplés. La plateforme libérale prévoit d’encourager les municipalités à libérer des terrains, d’investir dans des logements sociaux et de subventionner la construction par des incitatifs fiscaux. Le Parti du Yukon propose de faciliter l’accès aux lots ruraux pour attirer de nouveaux foyers en dehors de Whitehorse et de stimuler la construction de logements modulaires. Le NPD défend de son côté l’établissement d’une agence publique du logement chargée de coordonner la construction de logements abordables et de réglementer plus strictement les loyers. Tous reconnaissent que les coûts sont liés à l’éloignement et aux conditions climatiques, mais divergent sur les moyens et le rôle de l’État.

Derrière ces propositions se profile l’incertitude économique nationale. Ken Coates met en garde contre des promesses financières irréalistes, rappelant que le gouvernement fédéral réduit ses dépenses et que les transferts vers le Yukon risquent de diminuer. Les partis devront donc faire preuve de prudence budgétaire. L’économie minière reste un moteur important, mais elle est soumise aux fluctuations des prix et à une réglementation environnementale renforcée. L’industrie touristique, frappée par la pandémie puis par les incendies de forêt, est en convalescence. Les électeurs attendent des solutions pragmatiques pour réduire les coûts et protéger leur pouvoir d’achat.
Bref.

Dialogue avec les Premières Nations et protection de l’environnement : enjeux de souveraineté et de justice

Les enjeux autochtones et environnementaux occupent une place centrale dans cette élection. Les débats autour du programme de forum environnemental organisé par CPAWS Yukon et la Yukon Conservation Society ont permis à des candidats de débattre de leurs visions. Le chef du Parti du Yukon, Currie Dixon, y a rappelé son expérience d’ancien ministre de l’Environnement et du Développement économique et sa volonté de trouver un équilibre entre la protection de la nature et la modernité économique. Il s’est dit partisan d’un modèle où le Yukon prospère grâce à des secteurs tels que l’exploitation minière, le tourisme et l’énergie renouvelable. Il a également insisté sur l’achèvement, en collaboration avec les Premières Nations, de la refonte de la législation minière et sur la création d’un parc national dans le bassin de la rivière Peel géré conjointement par le gouvernement fédéral, les Premières Nations Na-Cho Nyäk Dun et le Conseil tribal Gwich’in.

La candidate néo-démocrate Lane Tredger a livré une critique incisive des gouvernements qui s’opposent aux Premières Nations devant les tribunaux. Elle souligne que, sans environnement sain, il n’y a ni futur ni économie, et que la réconciliation doit se traduire par une véritable collaboration. Pour elle, la priorité est l’achèvement des plans d’aménagement du territoire prévus dans l’Accord-cadre définitif de 1993. Elle rappelle qu’en plusieurs décennies, seules quelques régions disposent d’un tel plan et que l’absence de plan cause des litiges récurrents, comme l’a montré le différend sur le bassin de la rivière Peel. La NPD propose donc de mener à terme ces plans, de respecter leurs orientations et d’éviter les modifications unilatérales qui débouchent sur des poursuites judiciaires. Elle critique également les dépenses publiques engagées par le gouvernement pour contester ces plans plutôt que pour financer la conservation.

Du côté libéral, Jon Weller, candidat à Mountainview et spécialiste de la conservation, estime que le gouvernement sortant a déjà accompli des progrès en matière de protection du territoire et qu’il convient de renforcer cette base. Il propose de moderniser les lois sur les mines et la faune pour qu’elles respectent mieux les droits issus de traités et de mettre à jour la Loi sur les parcs et la certitude foncière. Il souhaite aussi accélérer les plans d’aménagement du territoire, développer des mécanismes de financement à long terme pour la conservation et travailler de concert avec les Premières Nations pour créer de nouvelles aires protégées. Le candidat reconnaît toutefois que la capacité de certaines Premières Nations à participer aux plans doit être renforcée et que l’alignement des priorités nécessite un dialogue constant.

Les questions autochtones dépassent les seuls aspects environnementaux. En août, CHON?FM rapportait que la plupart des ministres libéraux sortants, dont l’ancien premier ministre Sandy Silver et le ministre de l’Économie Ranj Pillai, ne brigueront pas de nouveau mandat. Ce renouvellement ouvre la voie à une représentativité accrue des Premières Nations. Le même média relate la cérémonie de dédicace d’un centre de bien-être familial par le Conseil des Premières Nations du Yukon, soulignant l’importance d’offrir un espace sécurisé aux familles et l’hommage rendu à l’activiste Shirley Adamson. D’autres reportages, comme la marche « Sisters in Spirit », montrent que la lutte contre la violence faite aux femmes autochtones demeure un enjeu majeur. L’élection est donc l’occasion d’exiger des engagements concrets en matière de justice sociale, de services de santé culturelle et de programmes de bien-être.

Enfin, l’élection comporte un vote consultatif sur la réforme du mode de scrutin. Les électeurs doivent dire s’ils souhaitent passer du système majoritaire uninominal à un vote préférentiel. Bien que non contraignante, cette consultation reflète les attentes de nombreux citoyens en matière de représentation, notamment des communautés autochtones et des régions rurales. Elle pourrait ouvrir la voie à un système plus inclusif et favoriser l’émergence de nouvelles forces politiques.

De nombreux intervenants ont souligné que l’ampleur des feux de forêt et des inondations accroît l’anxiété et nécessite un renforcement des services de santé mentale et de soutien communautaire, que certains jugent absent.

Dans les coulisses des partis : stratégies, personnalités et émergence de nouvelles voix

Le paysage politique yukonnais est traditionnellement dominé par trois formations. Cette année, aucune nouvelle formation majeure n’a émergé, mais un candidat indépendant, Jim Harvey, se présente dans la circonscription de Southern Lakes. Les libéraux, longtemps considérés comme modérés et pro?affaires, doivent faire face à l’usure du pouvoir. Leur chef Mike Pemberton, sans siège à l’Assemblée législative, mise sur son image de gestionnaire pragmatique. Il insiste sur la continuité avec les réalisations de ses prédécesseurs et défend la stabilité gouvernementale pour mener à bien des projets à long terme. Cependant, l’absence de ministres sortants pourrait fragiliser la cohésion interne et compliquer la mise en œuvre du programme.

Le Parti du Yukon, conservateur, cherche à capitaliser sur la lassitude d’une partie de l’électorat. Currie Dixon, qui a pris la direction du parti en 2020 et a déjà servi comme ministre de l’Environnement et du Développement économique, se présente comme un défenseur de la transparence et de la réduction de la taille du gouvernement. L’article du Whitehorse Daily Star rapporte que les membres de son parti dénoncent un gouvernement libéral « fatigué, qui n’écoute plus » et qu’ils entendent remédier à l’état « chancelant » des systèmes de santé et d’éducation, au manque de logements et à l’accessibilité. L’objectif affiché est de redonner un poids politique au Yukon rural et de placer l’autonomie énergétique au cœur de la stratégie économique.

Le NPD, parti social-démocrate, se présente comme la voix des travailleurs et des citoyens marginalisés. Kate White, forte de son expérience de députée et de militante, cherche à élargir la base du parti. Ses candidats incluent de nombreux militants issus de la société civile et des Premières Nations, reflétant une volonté de diversité et d’inclusion. Le programme met l’accent sur la justice sociale, la santé publique et la transition énergétique. Au forum environnemental, Lane Tredger a rappelé que la réduction des émissions doit s’appliquer à l’industrie minière et que le NPD ne reçoit pas de dons de sociétés minières, soulignant ainsi son indépendance. Cette posture anti?corporatiste vise à séduire les électeurs sensibles à l’influence des entreprises sur la politique.

Au?delà des programmes, la dynamique de campagne est également influencée par le contexte socio?économique. Les électeurs de zones rurales, souvent confrontés à des services publics moins accessibles, pourraient se tourner vers le Parti du Yukon, qui promet de renforcer les liaisons routières et le soutien aux communautés éloignées. Les habitants de Whitehorse, confrontés à la crise du logement et aux embouteillages, pourraient être sensibles aux promesses de logements abordables des libéraux et aux programmes sociaux du NPD. La jeunesse, très mobilisée sur les questions climatiques, est courtisée par les trois partis qui rivalisent de projets écologiques, qu’il s’agisse du développement des énergies renouvelables, de la modernisation des lois minières ou de l’établissement de nouveaux parcs.

La campagne voit émerger une nouvelle génération de militants, dont des entrepreneurs et artistes qui apportent une énergie inédite.

Les observateurs estiment que la campagne sera marquée par des débats intenses sur la gouvernance et la transparence. Ken Coates prédit une élection « dramatique » où les visions d’avenir des trois partis seront scrutées. Le vote préférentiel pourrait favoriser les compromis et les alliances, notamment si aucun parti n’obtient une majorité claire. Dans un territoire où les gouvernements minoritaires sont fréquents, la collaboration entre partis pourrait à nouveau s’imposer, comme l’entente de confiance et d’appui signée en 2021 entre les libéraux et le NPD.

Au final, l’élection territoriale du Yukon ne se limite pas à une simple alternance politique. Elle teste la capacité des partis à concilier développement économique, justice sociale et protection de l’environnement dans un contexte de décentralisation et de décolonisation. Les électeurs auront à choisir entre la poursuite d’une gouvernance libérale en quête de renouvellement, un virage conservateur axé sur la réduction du gouvernement et l’affirmation des régions rurales, ou une transition progressiste prônant la réconciliation, la justice et la durabilité. Le résultat du scrutin ainsi que le verdict du plébiscite sur le mode de scrutin pourraient redessiner durablement le paysage politique du Grand Nord.