IRAK - LEGISLATIVES DU 11 NOVEMBRE

Urnes de la dernière chance : les coalitions irakiennes à l’épreuve

Entre chaos et espoir : le poids de l’histoire électorale

L’histoire électorale de l’Irak depuis la chute de Saddam Hussein est une chronique d’espoirs et de déceptions qui éclaire le scrutin du 11 novembre 2025. En janvier 2005, sous occupation américaine, les Irakiens ont voté pour la première fois librement et ont élu une Assemblée nationale dominée par l’Alliance irakienne unifiée, majoritairement chiite, qui a ensuite rédigé la Constitution. Les élections de 2010 et 2014 se sont déroulées dans un climat de violence avec l’insurrection d’Al-Qaïda puis l’essor de l’organisation État islamique, mais elles ont maintenu la dynamique d’un Parlement multipartite. En 2018, l’alliance inédite entre Moqtada al-Sadr et des partis laïques a remporté la majorité relative, sur fond de ras-le-bol contre la corruption et les influences étrangères. Les manifestations de 2019 ont néanmoins révélé l’ampleur de la colère populaire et ont conduit à des élections anticipées en 2021 pour apaiser la contestation. Ce scrutin a été marqué par la percée des sadristes, qui ont obtenu soixante-treize sièges, avant de boycotter le Parlement un an plus tard et de provoquer la montée du Cadre de coordination, une coalition chiite pro-iranienne. La succession de scrutins a montré que les équilibres se renouvellent sans cesse, mais que les lignes de fracture confessionnelles et régionales demeurent.

Au lendemain des élections de 2021, le premier ministre Mustafa al-Kadhimi a laissé place à Mohammed Chia al-Soudani, issu du Cadre de coordination, après plusieurs mois de tractations. Son gouvernement a fixé la date du vote de 2025 et a promis un processus transparent. Les autorités rappellent que la Constitution impose une nouvelle législature avant le 8 janvier 2026, ce qui confère au calendrier électoral une importance constitutionnelle. Les tentatives de réformes institutionnelles, telles que l’adoption du vote électronique et des cartes biométriques lors du scrutin précédent, visent à limiter les fraudes et les manipulations qui ont entaché les précédents cycles. La Commission électorale indépendante (IHEC) affirme avoir mis à jour les logiciels et renforcé la formation de ses agents, tandis que des missions d’observation, notamment de l’ONU, sont attendues. La participation populaire reste néanmoins incertaine après des années d’abstention et de désillusion.

Le contexte sécuritaire continue d’influencer la compétition politique. Si l’État islamique a perdu ses bastions, ses cellules actives dans le nord et l’ouest demeurent une menace. Les attentats sporadiques et les tensions entre milices rivales rappellent la fragilité de l’ordre public. Les années précédentes ont également été marquées par des assassinats de militants, des enlèvements et des intimidations visant des candidats indépendants. La perspective d’un scrutin organisé en novembre, alors que les températures se font plus clémentes, répond à des impératifs logistiques et sécuritaires. Les autorités prévoient un vote spécial deux jours plus tôt pour les forces de sécurité, afin de libérer des troupes pour la protection des bureaux de vote le jour du scrutin général.

La société irakienne est divisée entre la lassitude et l’espoir. Une génération de jeunes, connectée et éduquée, aspire à des emplois, à des services et à un État de droit. Les manifestations de 2019 ont créé un espace politique pour des mouvements civils qui contestent la domination des partis religieux. Des réseaux d’activistes réclament l’abolition des quotas confessionnels et l’édification d’un État citoyen. Dans les provinces sunnites, encore meurtries par la guerre, les déplacés cherchent la restitution de leurs terres et l’aide à la reconstruction. Au Kurdistan, les querelles entre les deux grands partis et les débats sur la part des revenus pétroliers accentuent l’incertitude. Les élections de 2025 constituent ainsi un test décisif pour savoir si l’Irak peut dépasser la politique de partage des postes et se diriger vers un système fondé sur la compétence et la représentation inclusive. L’héritage des cycles précédents montre que chaque vote est un moment charnière qui peut ouvrir une brèche dans le système ou réaffirmer les mêmes équilibres. Les électeurs se préparent à choisir entre continuité et changement, en pesant l’expérience du passé et l’espoir d’un avenir meilleur. Le prochain scrutin est donc un moment crucial pour la jeune démocratie irakienne.

 

Forces et coalitions : les acteurs politiques se positionnent

Le champ politique qui se forme pour les élections de 2025 est un labyrinthe de coalitions et de partis reflétant les clivages confessionnels et régionaux. Dans le camp chiite, la nouvelle Alliance pour la reconstruction et le développement, dirigée par le premier ministre Mohammed Chia al-Soudani, fédère plusieurs formations du Cadre de coordination et cherche à se présenter comme un mouvement pragmatique centré sur la relance économique et la reconstruction des infrastructures. Son principal rival demeure la Coalition de l’État de droit conduite par l’ancien premier ministre Nouri al-Maliki, qui regroupe onze partis et conserve un socle électoral fidèle dans les provinces du sud. Le courant d’Ammar al-Hakim, rebaptisé Forces de l’État national, tente de jouer la carte de la modération et de la réforme, tandis que la liste Badr de Hadi al-Amiri mise sur sa structure politico-militaire. On retrouve également Abchir Ya Irak de Hamam Hamoudi et al-Asas d’Ali al-Mandlawi, plus petites mais susceptibles de capter des voix tribales. Ces coalitions partagent un discours axé sur la stabilité et l’amélioration des services publics, mais divergent sur le rôle de l’Iran, la place des milices et l’ouverture aux réformes.

Du côté sunnite, l’alliance Siyada de Khamis al-Khanjar, qui avait dominé en 2021, s’est fissurée. Mohammed al-Halboussi, président du Parlement, a fondé Taqaddum pour consolider ses positions dans Al-Anbar et Salaheddine; il prône un État fort, la reconstruction des zones détruites et l’intégration de communautés marginalisées. D’autres listes, comme Azm de Muthanna al-Samarrai et Hasm al-Watani de Thabet Saïd, comptent sur des réseaux tribaux pour peser dans les provinces du nord et de l’ouest. L’enjeu pour ces formations est de négocier des alliances post-électorales qui leur garantissent des postes ministériels et des budgets pour leurs régions. Les minorités religieuses et ethniques, telles que les chrétiens, les yazidis et les sabéens, disposent de quotas et présentent des listes indépendantes ou affiliées à de grands blocs pour défendre leurs droits.

Le paysage kurde reste dominé par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Masoud Barzani, qui détient les gouvernorats d’Erbil et de Dohouk et aspire à consolider ses trente et un sièges actuels. L’Union patriotique du Kurdistan (UPK) de Bafel Talabani, influente à Souleimanieh et à Kirkouk, présente une liste forte de cent cinquante-six candidats et revendique un programme visant à garantir la part constitutionnelle du Kurdistan dans le budget fédéral, à unifier les forces de sécurité et à assurer le paiement des salaires régionaux. Le Mouvement de la nouvelle génération, dirigé par l’homme d’affaires Shaswar Abdelwahid, séduit les jeunes urbains en dénonçant la corruption des élites traditionnelles. Au-delà des partis traditionnels, plusieurs coalitions civiles, comme al-Badil d’Adnane al-Zarfi et l’Alliance démocratique civile, plaident pour l’abolition du système des quotas, la séparation des pouvoirs et une société laïque.

Chaque bloc défend un programme spécifique. L’Alliance pour la reconstruction promet des investissements massifs dans les infrastructures, la réforme du système éducatif et la création d’emplois par des partenariats publics-privés. L’État de droit insiste sur la sécurité et la centralisation, tandis que les Forces de l’État national mettent l’accent sur l’indépendance des décisions nationales. Les partis sunnites conditionnent leur soutien à la reconstruction de leurs provinces et à la réintégration des déplacés. Les Kurdes réclament un partage équitable des revenus pétroliers, la résolution des différends territoriaux et l’application intégrale de la Constitution de 2005. Les coalitions civiles défendent l’égalité des sexes et la lutte contre la corruption. Dans ce décor foisonnant, les électeurs devront arbitrer entre stabilité et changement, proximité communautaire et programme national. Les alliances post-électorales, souvent imprévisibles, seront cruciales pour la formation du gouvernement, car aucune coalition ne semble en mesure d’obtenir une majorité absolue. Les observateurs s’attendent à des négociations prolongées, avec des concessions sur les postes ministériels et les budgets régionaux. Malgré la complexité du paysage, l’émergence de mouvements civils et de candidats indépendants pourrait fragmenter le vote et forcer les grands blocs à composer avec des voix nouvelles.

 

Un système électoral révisé : règles, quotas et logistique du vote

La loi électorale adoptée en 2023 a modifié en profondeur le mode de scrutin pour les législatives de 2025. Le système est désormais fondé sur la méthode de Sainte-Laguë avec un diviseur de 1,7, ce qui favorise une répartition plus proportionnelle des sièges entre les listes et réduit les écarts entre grandes et petites formations. Le Parlement comportera trois cent vingt-neuf sièges, dont au moins vingt-cinq pour cent sont réservés aux femmes. Neuf sièges sont attribués aux minorités : chrétiens, sabéens, yazidis, shabaks et Kurdes faylis. L’Irak est divisé en dix-huit circonscriptions correspondant aux gouvernorats, et les voix des électeurs sont comptabilisées au niveau provincial. Les coalitions doivent présenter des listes de candidats biométriquement enregistrés, et l’IHEC vérifie les qualifications juridiques, la bonne conduite et l’absence de liens avec des organisations interdites. La campagne électorale, selon le règlement de l’IHEC, débute environ six semaines avant le vote général et doit s’achever vingt-quatre heures avant le vote spécial. Les candidats ne peuvent utiliser les ressources de l’État ni faire de promesses d’emplois ou de récompenses matérielles. Toute propagande est interdite dans un rayon de cent mètres autour des bureaux de vote et sur les bâtiments publics et religieux.

La Commission a déployé plus de mille équipes de surveillance pour enregistrer les violations et a prévu une échelle de sanctions allant de cinq cent mille à cinquante millions de dinars irakiens, voire la disqualification en cas de fraude grave. Des exemples récents montrent que certains candidats ont été sanctionnés pour avoir commencé leur campagne trop tôt ou pour avoir affiché des slogans dans des zones interdites. Les autorités locales peuvent retirer les cautionnements financiers des contrevenants et soumettre leurs dossiers à l’IHEC. Le recours aux cartes biométriques et aux scanners électroniques, introduit en 2021, est renforcé pour éviter les doublons et les votes multiples. Les bureaux de vote compteront des machines de lecture optique et des urnes transparentes, et un dépouillement manuel partiel pourra être ordonné en cas de contestation. Les électeurs doivent avoir dix-huit ans, être de nationalité irakienne et figurer dans le registre électoral.

Le calendrier électoral est serré. La campagne devrait débuter à la fin de septembre 2025, le vote spécial se tiendra le 9 novembre pour les forces de sécurité, les personnes déplacées et certains détenus, et le vote général aura lieu le 11 novembre. Les résultats préliminaires seront annoncés dans les vingt-quatre heures; les partis disposeront de soixante-douze heures pour déposer des plaintes. La Commission judiciaire électorale examinera les recours et pourra ordonner un recomptage partiel. Les résultats définitifs seront transmis à la Cour suprême qui homologuera l’élection. Selon les chiffres de l’IHEC, plus de 7700 candidats se sont enregistrés, dont environ 2250 femmes, et la province de Bagdad concentre le plus grand nombre de prétendants. La logistique du vote est massive : plus de trente-neuf mille bureaux seront ouverts à travers le pays, et des centres spécifiques accueilleront les votes des forces de sécurité et des personnes déplacées. Chaque centre sera surveillé par des caméras, et des forces de sécurité se répartiront les tâches pour protéger les files d’attente et les bulletins. Un plan de sécurité intégré a été élaboré avec l’armée, la police, le renseignement et les Unités de mobilisation populaire pour prévenir les attaques et garantir la neutralité. Les électeurs recevront un reçu imprimé de leur vote qu’ils déposeront dans une urne physique, ce qui permettra de comparer les résultats électroniques et physiques en cas de contentieux. Les observateurs de l’ONU, de la Ligue arabe et d’ONG locales seront présents. Les restrictions à la campagne et la modernisation des procédures devraient réduire les risques d’irrégularités; toutefois, la capacité des institutions à appliquer ces règles reste sujette à caution. Plusieurs observateurs soulignent que les lois sont souvent violées par des partis puissants et que les sanctions ne sont pas appliquées avec rigueur. Malgré ces défis, la réforme du système vise à renforcer la confiance et à encourager la participation des électeurs qui, lors des derniers scrutins, se sont souvent abstenus faute de confiance dans les institutions.

 

Enjeux et perspectives : sécurité, réformes et avenir post-électoral

Les élections de novembre 2025 ne sont pas seulement un exercice institutionnel : elles traduisent l’état des forces sociales, des aspirations et des rapports de puissance en Irak. Sur le plan économique, le pays reste dépendant du pétrole et éprouve des difficultés à diversifier ses sources de revenus. L’alliance de reconstruction conduite par Mohammed Chia al-Soudani promet d’investir les recettes pétrolières dans les infrastructures, de créer des emplois et de développer un corridor commercial reliant Bassora à la Turquie. Le gouvernement sortant espère moderniser le réseau électrique et lancer des programmes de logements. Pourtant, la corruption endémique et les lenteurs bureaucratiques demeurent des obstacles majeurs. Les jeunes diplômés, qui représentent une part croissante de l’électorat, exigent des réformes structurelles, un marché du travail ouvert et la fin du clientélisme. Les partis traditionnels auront du mal à convaincre sans proposer des politiques claires de diversification économique, de réduction de la dépendance au secteur public et de soutien aux petites et moyennes entreprises.

La sécurité constitue un second enjeu. Bien que l’État islamique ait perdu ses territoires, il conserve une capacité de nuisance. Les attentats de faible intensité dans les provinces de Kirkouk, de Salah ad-Dine et de Diyala rappellent que la menace n’est pas éradiquée. Les forces de sécurité irakiennes, aidées par les milices des Unités de mobilisation populaire, doivent sécuriser des milliers de centres de vote. Les autorités ont annoncé un dispositif renforcé, avec des checkpoints, des patrouilles et des drones de surveillance. Le ministère de l’Intérieur affirme que les forces de l’ordre resteront neutres et n’interviendront pas en faveur d’un parti, mais la méfiance vis-à-vis des milices fidèles à certaines formations chiites est forte. Par ailleurs, les tensions entre le PDK et l’UPK pourraient entraîner des affrontements dans le Kurdistan si la compétition électorale se transforme en bataille pour le pouvoir régional.

Sur le plan social, les divisions confessionnelles et ethniques se combinent à une nouvelle conscience citoyenne. Les provinces sunnites, ruinées par la guerre, réclament la restitution des terres et la réhabilitation des infrastructures. Les familles déplacées exigent le retour et l’indemnisation. Les Kurdes veulent garantir leur autonomie, sécuriser le paiement des salaires régionaux et régler la question des territoires disputés comme Kirkouk. Les minorités chrétiennes, yazidies et shabaks demandent des mesures concrètes pour leur sécurité et la restitution de leurs biens. Les femmes, qui représentent environ un tiers des candidats, espèrent que le quota de vingt-cinq pour cent se traduira par une représentation réelle et que leur rôle ne se limitera pas à des sièges symboliques. Des organisations féministes dénoncent les violences et les pressions qui découragent les candidates et appellent à un soutien institutionnel.

Enfin, les acteurs étrangers surveillent ces élections. L’Iran souhaite maintenir son influence via le Cadre de coordination et préserver les accords sécuritaires. Les États-Unis espèrent un gouvernement stable capable de préserver leur partenariat militaire et de contenir les milices pro-iraniennes. La Turquie et les pays du Golfe suivent l’évolution des projets économiques, notamment les pipelines et les accords d’exportation du pétrole. La formation d’un gouvernement pourrait prendre des mois, comme en 2010 et 2018, car aucun bloc ne devrait obtenir la majorité absolue. Les négociations post-électorales détermineront l’orientation stratégique du pays : rapprochement avec Téhéran, consolidation des relations avec Washington ou équilibre prudent entre plusieurs partenaires. La population, quant à elle, attend des réponses concrètes sur l’économie, les services et la sécurité. Si les urnes n’apportent pas de changement tangible, la rue pourrait de nouveau devenir l’arène principale du débat politique. Dans cet environnement incertain, le scrutin du 11 novembre 2025 se présente comme un carrefour entre stagnation et transformation. Les Irakiens auront l’opportunité de façonner leur avenir, mais les structures héritées et les ingérences extérieures compliqueront la tâche. L’issue dépendra de la capacité des forces politiques à dépasser les logiques de quota et de patronage pour construire un État capable de répondre aux attentes de ses citoyens. Quel que soit le résultat du vote, les Irakiens devront continuer à se mobiliser pour transformer les promesses en actions et inscrire la démocratie dans la durée.