SURINAME - NECROLOGIE
Ronald Venetiaan, un professeur pour la république

18 juin 1936, Paramaribo : Ronald Runaldo Venetiaan naît dans une ville coloniale où l’école est l’outil premier de l’ascension. L’enfant montre tôt un goût ferme pour la précision, les chiffres et la grammaire. Les années d’adolescence s’écoulent entre salles de classe et bibliothèques, avec l’idée que la discipline personnelle peut ouvrir des portes dans un pays encore dépendant des décisions de La Haye.
À l’été 1955, il part pour les Pays Bas. Comme tant de jeunes de Paramaribo, il choisit l’université de Leyde, lieu où se forme une élite studieuse de la diaspora. Il y étudie les mathématiques et la physique, obtient en 1964 un doctorandus, et se forge un habitus de travail qui restera le sien : patience, méthode, sobriété. Il suit aussi les débats sur l’autonomie sans se détourner de la science.
De retour à Paramaribo, il enseigne les sciences au secondaire, professeur rigoureux et pédagogue attentif. Sa réputation se construit dans la durée. Il épouse Liesbeth Vanenburg, travailleuse sociale engagée, qui deviendra plus tard une première dame respectée. Le couple aura quatre enfants. Le foyer vit au rythme des préparations de cours et des conversations sur l’école et la bonne tenue des affaires publiques. Sous les pseudonymes Vene puis Krumanty, il publie des poèmes en sranan et en néerlandais.
La politique vient par l’éducation. En 1973, Henck Arron l’appelle au ministère de l’Éducation et du Développement populaire. La mission est claire : former des cadres et préparer l’indépendance annoncée. Le 25 novembre 1975, le Suriname devient État souverain. Puis, en février 1980, un groupe de sous officiers renverse le gouvernement. Le nouveau pouvoir militaire bouscule les équilibres. Le ministre retourne à l’enseignement tandis que la vie publique s’endurcit.
Le pays traverse alors une décennie rude. La presse est muselée et des opposants sont tués. À partir de 1986, une guerre de l’intérieur déchire l’Est, déracinant des milliers d’habitants. Des cessez le feu en 1989 puis un accord de paix en août 1992 ferment la séquence de violence. Les organisations régionales veillent et la fatigue s’installe. À mesure que l’emprise militaire s’érode, les civils reprennent place, et l’enseignement redevient le terrain d’action privilégié de Venetiaan.
En 1991, le Nouveau Front l’emporte et le Parlement élit Ronald Venetiaan président. Il prend la tête d’un État endetté, avec une inflation vive et une armée encore trop présente. Sa méthode est graduelle. Il assainit des comptes, rétablit des procédures, réinsère le pays dans des cadres internationaux. Il cherche un équilibre entre rigueur budgétaire et filets sociaux. Les résultats restent fragiles mais la courbe cesse de se dégrader. L’accord de 1992 est mis en œuvre et l’État consolide son autorité dans l’intérieur du pays.
L’alternance de 1996 interrompt ce premier cycle. Jules Wijdenbosch s’installe à la présidence avec des projets visibles, mais aussi des déficits croissants. Les prix s’affolent, la monnaie s’effrite, les manifestations se multiplient. Au tournant de 1999 et 2000, la rue impose des élections anticipées. Le Nouveau Front revient et Venetiaan retrouve la magistrature suprême en août 2000. Il resserre la dépense et remet de l’ordre dans les instruments de politique économique.
La réforme monétaire de janvier 2004 marque ce second mandat. Le florin cède la place au dollar surinamais au taux d’un pour mille. Le geste est technique et symbolique. Il traduit une volonté de rebâtir des repères stables et d’ordonner les prix. Dans le même temps, l’exécutif maintient un cap sobre. Les liens régionaux se renforcent au sein de la CARICOM. En 2005, il est reconduit pour un troisième mandat par un Parlement de coalitions.
Cette stabilité demeure relative, tant l’économie dépend de cycles de matières premières et d’un appareil productif limité. Le pouvoir s’attache toutefois à préserver l’essentiel : une monnaie lisible, un cadre institutionnel prévisible, une administration qui fonctionne. Le président conserve ses réflexes d’enseignant : horaires fixes, lecture attentive des dossiers, goût pour les notes claires. On le dit austère. Il répond que la politesse et l’exactitude constituent déjà un programme.
La justice plane sur toute la période. Les violences du passé exigent des réponses et divisent la société. Les procédures avancent lentement puis reculent avant de progresser à nouveau. Dans ce climat, Venetiaan rappelle la primauté du droit et refuse la confusion entre force politique et impunité. En 2010, lorsque les urnes portent à nouveau au pouvoir l’ancien chef militaire, il se retire sans fracas, fidèle aux règles. Il aura dirigé quinze années en deux séquences, durée record dans l’histoire du pays.
L’homme privé reste d’une grande simplicité. Chez lui, on protège l’intimité, on privilégie les lectures et la famille. Sa compagne, fidèle à une conception exigeante du service public, refuse une rémunération rétroactive liée à sa fonction protocolaire. L’une de leurs filles devient mathématicienne, prolongeant le fil d’une maison où l’on croit au pouvoir des études. Les rituels familiaux rythment les saisons.
Parallèlement, il continue d’écrire. Ses poèmes restent discrets, parfois lus en scène, et disent la patience des fleuves et la lenteur des reconstructions. Cette face littéraire éclaire l’autre constante de son parcours : l’attention aux mots justes et à la retenue. Ce n’est pas l’emphase qui le guide, mais la recherche d’une voix mesurée capable de contenir les fièvres et d’offrir des repères à une société plurielle.
En 2012, il cède la direction de son parti et, en 2013, quitte la vie parlementaire. Il se retire et laisse place à une nouvelle génération. Il conseille encore à l’occasion. Il aime rappeler qu’un pays se construit par couches, par habitudes et par institutions plus que par éclats.
Son héritage s’ordonne en trois plans. Sur le plan politique, il a contribué à réinstaller durablement l’autorité civile après une décennie de coups et de guerre, avec un parlementarisme d’alliances et de compromis. Sur le plan économique, il a rétabli des garde fous et mené une stabilisation monétaire qui offrit des années de lisibilité aux ménages et aux entreprises. Sur le plan moral, il a incarné une manière de gouverner faite de sobriété et de respect des formes.
Il n’a pas bâti de cathédrales, mais il a retendu des fils. Il n’a pas promis la lune, mais il a réparé des cadres. Dans un pays mosaïque, où cohabitent langues, confessions et mémoires, cette patience vaut doctrine. Elle tient à sa formation de mathématicien et à la conviction que l’on ne change durablement qu’en procédant par étapes vérifiables. Là où d’autres recherchent le panache, il choisit la répétition du geste exact.
Les honneurs suivent avec parcimonie. On le voit recevoir des décorations, participer à des sommets et appuyer le rayonnement discret d’un petit État qui sait se faire entendre au delà de sa taille. Mais ce n’est pas dans les fastes qu’il souhaitait être jugé. Il préférait que l’on observe la tenue d’un budget, la régularité d’une paie, la remise en état d’une école de l’intérieur et la civilité d’un débat parlementaire.
Le 5 novembre 2025, à Paramaribo, la nouvelle de sa mort à l'âge de 89 ans se propage rapidement. Les messages évoquent un serviteur de l’État, un professeur resté fidèle à sa vocation et un homme de parole. Les uns rappellent la discipline budgétaire du début des années 2000. D’autres soulignent la fin négociée de la guerre de l’intérieur. Beaucoup citent surtout un style : économie de mots, exactitude des propositions, respect scrupuleux des formes.
À l’échelle longue, son nom se place entre deux ruptures qui ont marqué la mémoire nationale. D’un côté, les années de contrainte, les coups, la censure et la peur. De l’autre, les expérimentations et les crises d’un temps de mondialisation. Entre ces pôles, il aura tenu une ligne de modestie active, convaincu que la dignité publique commence par la tenue des institutions et l’exemple des dirigeants.
On mesure son apport moins par des slogans que par des continuités retrouvées : des examens tenus aux dates prévues, des salaires versés, des règles du jeu électoral respectées et des transitions acceptées. Ce sont des biens communs discrets mais rares. Ils demandent du temps, un effort collectif et des concessions. Ils furent sa spécialité. Au terme d’une vie de service, il reste l’image d’un homme pour qui le pouvoir était un devoir et d’un professeur pour la République.
Sa diplomatie fut mesurée. Il chercha des appuis techniques plutôt que des coups d’éclat, privilégia la coopération régionale dans des enceintes multilatérales où un État peut peser par la prévisibilité de sa parole. Les relations avec les Pays Bas, parfois tendues au gré des débats mémoriels et des conditionnalités d’aide, retrouvèrent des canaux de travail. Au sein de la CARICOM, il insista sur la libre circulation d’étudiants et sur la sécurité, thèmes concrets pour un pays aux frontières poreuses.
Son œuvre en éducation fut continue. Il soutint la formation d’enseignants, la remise en état d’établissements de l’intérieur, la mise à jour de manuels, et des incitations à poursuivre des études scientifiques. Il défendit l’idée simple que l’égalité passe d’abord par la salle de classe, avec des examens tenus à l’heure, des programmes clairs et des professeurs respectés. Cette fidélité au terrain scolaire donna cohérence à sa manière de gouverner, dans la durée et sans effets de manche.