PARAGUAY - ANNIVERSAIRE

Santiago Pena, la stabilité et l'ouverture

16 novembre 1978. Né à Asunción, capitale enclavée au cœur de l’Amérique du Sud, Santiago Peña Palacios grandit dans un Paraguay marqué par la sortie progressive de l’autoritarisme, la continuité d’un parti d’État et une économie dépendante de l’agriculture et de l’hydroélectricité. Il célèbre aujourd'hui ses 47 ans.

Dans les écoles de la capitale il se passionne pour les chiffres, croyant que les comptes publics, les prix et les taux expliquent mieux la marche d’un pays que les discours passionnés. Cette inclination pour l’ordre et la mesure deviendra une signature, au point d’informer sa compréhension de l’histoire nationale, faite de cycles lents, de prudence fiscale et de liens sociaux structurés par les réseaux du pouvoir.

Son adolescence bascule vers l’âge adulte plus vite que prévu. Il devient père à dix sept ans et épouse en 1997 Leticia Ocampos, qui deviendra architecte puis première dame. Le couple aura deux enfants, Gonzalo et Constanza. Cette vie familiale commencée très tôt impose une discipline, un pragmatisme et une hiérarchie des priorités. Travailler, étudier, pourvoir aux besoins précède l’ambition publique. Plus tard, il dira que cette contrainte précoce l’a vacciné contre les promesses faciles et l’a attaché à la valeur d’un diplôme, d’un salaire stable et d’un budget tenu.

Étudiant à l’Universidad Católica Nuestra Señora de la Asunción, il choisit l’économie. Il y apprend la comptabilité nationale, la politique monétaire, le budget, et contemple la position du Paraguay dans la région. Vient ensuite New York et un master en administration publique à Columbia qui lui offre une méthode comparative et un réseau international. Il découvre la culture des indicateurs, des évaluations et des réformes graduelles qui caractérise une génération technocratique latino américaine.

De retour au pays au tournant des années 2000, il intègre la Banque centrale du Paraguay. Dans les salles où se pilotent les opérations de marché ouvert il apprend la patience des petits ajustements et la force d’une communication mesurée. Le cycle du soja, les recettes hydrauliques, la demande brésilienne imposent leurs humeurs. L’objectif de stabilité des prix commande la prudence. L’économiste se forge une réputation de méthodique, proche des données et peu porté sur l’improvisation.

Il quitte ensuite Asunción pour Washington et rejoint le Fonds monétaire international. Le travail sur des économies africaines l’initie aux contraintes universelles des finances publiques: recettes trop faibles, attentes sociales trop fortes, dettes qui enserrent l’action de l’État. Cette expérience l’éloigne des querelles locales et lui apprend à comparer. En 2012, il revient à Asunción comme directeur à la Banque centrale. Il défend une orthodoxie tranquille, convaincu que la prévisibilité monétaire et la clarté budgétaire sont des biens publics.

La politique l’appelle en janvier 2015 quand le président Horacio Cartes le nomme ministre des Finances. À trente six ans il devient le visage d’une modernisation administrative qui se veut austère et efficace. Il promeut un meilleur recouvrement, un budget réaliste, l’émission d’obligations en monnaie locale, et des partenariats pour financer routes et ponts. Les conférences de presse ressemblent à des cours de finances publiques, chiffres à l’appui. La promesse centrale est claire: dépenser mieux avant de dépenser plus, et faire des comptes l’instrument d’une confiance retrouvée.

Mais pour durer il faut aussi un ancrage partisan. Longtemps membre du Parti libéral radical authentique, Peña rejoint en 2016 le Parti Colorado, colonne vertébrale de la politique paraguayenne depuis des décennies. Le geste fait polémique chez les libéraux qui y voient opportunisme. Lui invoque un réalisme assumé: pour gouverner il faut s’inscrire dans la majorité. En 2017, il tente la primaire présidentielle du parti, soutenu par l’entourage de Cartes, et échoue face à Mario Abdo Benítez. L’échec le renvoie au secteur privé et au conseil, sans rompre avec le cercle qui l’a promu.

L’heure revient en 2023. Dans une région fatiguée des alternances spectaculaires, le Paraguay réclame stabilité, ordre et services. Peña mène campagne en économiste rassurant. Il met en avant la création d’emplois, la sécurité publique, la santé et l’éducation comme priorités d’un État recentré. La question extérieure s’invite dans le débat: faut il préserver le lien diplomatique avec Taïwan, rare en Amérique du Sud, au risque de fermer la porte commerciale chinoise, ou bien le rompre pour élargir les marchés? Sa réponse ménage la tradition et l’ouverture, en misant sur le cadre régional pour explorer des voies commerciales.

Le scrutin d’avril 2023 le place nettement en tête. Il devance une opposition dispersée et confirme la longévité du Parti Colorado. Le 15 août 2023, il prête serment à Asunción. La cérémonie réaffirme l’attachement aux alliances, au commerce et à la stabilité. Elle souligne aussi une contrainte politique interne: l’influence du mentor Horacio Cartes, homme d’affaires puissant et chef du parti, dont le poids nourrit des interrogations sur l’autonomie du nouveau président. Peña sait que sa légitimité se jouera dans sa capacité à faire de la croissance une coalition et à prouver que l’appareil ne gouverne pas à sa place.

Les premiers mois apportent une embellie économique. La saison agricole est favorable, les prévisions de croissance s’améliorent, l’inflation reste contenue. Le gouvernement met en avant la discipline budgétaire, la relance de projets logistiques et la volonté d’attirer des investissements. Mais la politique ne se réduit pas aux agrégats. La qualité des services publics, la gouvernance des entreprises d’État, la lutte contre la corruption et la professionnalisation des forces de sécurité deviennent des tests plus délicats. Il faut des procédures, des contrôles et des carrières administratives stables pour donner corps aux promesses.

La diplomatie prend une place singulière pour un pays enclavé. Peña réaffirme le lien avec Taïwan au nom de la démocratie et d’une histoire partagée. Dans le même temps, il soutient que des accords commerciaux avec la Chine peuvent être explorés par la voie régionale, sans rupture de principe et sans marchandage diplomatique. Cette ligne répond au besoin d’ouvrir des débouchés aux exportations agricoles tout en conservant une position différenciée en Amérique du Sud. Il travaille aussi à resserrer les liens avec les États Unis et l’Union européenne, et à synchroniser le Paraguay avec les normes logistiques du bassin du Paraná.

La vie privée demeure un ressort de sa communication. Mari et père depuis l’adolescence, il présente souvent sa trajectoire familiale comme école de responsabilité. Leticia Ocampos, devenue première dame, privilégie des actions en faveur de l’enfance, de l’éducation et de la santé. Le couple adopte une visibilité maîtrisée, sans ostentation. Dans un pays conservateur où la respectabilité domestique compte, cette image de normalité sert un récit présidentiel où la compétence technique s’allie à la régularité des mœurs.

L’organisation de l’action publique suit une méthode héritée des banques centrales. Peña plaide la numérisation des procédures, la transparence des appels d’offres, la réduction des délais de paiement de l’État, la prévisibilité fiscale. Il réclame des données de qualité pour piloter et évaluer. Les réformes privilégiées sont incrémentales: assainir plutôt que bouleverser, corriger plutôt que refonder. Sur la sécurité, il affirme la nécessité d’un État présent sur le territoire et mieux équipé, conscient que la légitimité se construit d’abord par la protection des citoyens.

Rien de tout cela ne s’opère hors du jeu partisan. Le Parti Colorado, mosaïque d’intérêts, impose des négociations constantes. Gouverner, c’est composer avec des gouverneurs, des parlementaires, des élus locaux attachés à des équilibres anciens. Les critiques soulignent la concentration du pouvoir et l’ombre persistante des réseaux d’affaires. Les défenseurs du président répliquent par les chiffres: une économie qui progresse, une inflation maîtrisée, des projets d’infrastructure remis en marche. Peña cherche à transformer ces signaux conjoncturels en acquis institutionnels.

Dans cet édifice, la relation avec les marchés extérieurs joue un rôle d’amplificateur. Ouvrir des débouchés vers l’Asie, sécuriser des financements multilatéraux, améliorer les normes sanitaires et logistiques, voilà qui conditionne l’avenir des exportations. Le président parle de corridors et de ports, de chaînes de valeur régionales, d’énergie propre issue des barrages. Il veut convertir des avantages géographiques et hydrauliques en atouts industriels. Sa pensée reste prudente: d’abord stabiliser, ensuite diversifier, enfin monter en gamme.

Cette trajectoire révèle un homme façonné par des institutions plus que par la rue. Son autorité vient d’une expertise, d’un langage de chiffres, d’une liturgie administrative qui affirme que l’État gagne à tenir parole. La biographie politique de Peña s’écrit comme un passage du bureau d’études à la scène publique. Elle commence dans une famille formée tôt, se prolonge à l’université et au FMI, passe par un ministère et par un ralliement partisan, connaît une défaite, puis une victoire. Elle se mesure au réalisme d’un pays contraint et aux attentes d’une classe moyenne qui veut davantage de services.

Le Paraguay de son mandat reste soumis à des constantes de longue durée. Pays sans mer, dépendant des fleuves, il vit au rythme de ses récoltes et des barrages. Pays de parti dominant, il négocie sans cesse entre continuité et responsabilité. Peña a choisi d’habiter ces constantes plutôt que de leur résister frontalement. Son pari tient en deux mots, stabilité et ouverture. Stabilité interne des règles budgétaires et de la monnaie. Ouverture externe par le commerce, l’investissement, et une diplomatie qui ajoute des options sans en sacrifier d’anciennes.

Au bout du compte, sa présidence se juge à des indicateurs concrets et à un climat politique. Si la croissance se double d’emplois décents, si les services publics gagnent en fiabilité, si la justice avance, son pari paraîtra tenu. Sinon, la rhétorique de la modernisation semblera un vernis sur la vieille architecture partisane. À mi parcours, la balance reste ouverte et l’histoire longue continue, patiente, à peser sur les ambitions individuelles. Seuls les faits trancheront.