ESPAGNE - NECROLOGIE

José Luis Olivas, une trajectoire de la droite valencienne

Le 13 octobre 1952 naissait José Luis Olivas Martínez à Motilla del Palancar dans la province de Cuenca, une terre castillane austère qui a fourni à la périphérie levantine de l'Espagne une part significative de ses élites administratives et économiques durant la seconde moitié du vingtième siècle. Cette date inaugurale nous place d'emblée au cœur de la dictature franquiste, dans une Espagne qui entame timidement sa sortie de l'autarcie pour s'ouvrir aux technocrates de l'Opus Dei et aux plans de développement qui allaient bouleverser la démographie nationale. Le parcours de cet homme, qui s'est achevé le 29 novembre 2025 à l'âge de 73 ans, ne saurait se réduire à la simple chronologie d'une existence individuelle tant il épouse, avec une fidélité presque paradigmatique, les soubresauts, les mutations et les crises de la droite espagnole contemporaine. Il convient d'analyser cette vie non comme une suite d'anecdotes, mais comme le reflet d'une évolution politique majeure, celle qui a conduit une génération de notables de la transition démocratique vers l'hégémonie institutionnelle avant de sombrer dans le discrédit judiciaire.

L'enfance de José Luis Olivas s'inscrit dans ce mouvement de fond qui vide les campagnes de la meseta castillane au profit du littoral méditerranéen dynamique. Sa famille s'installe à Valence, ville de commerces et de prétoires, où le jeune homme entame des études de droit. C'est là, dans les amphithéâtres de l'Université de Valence, puis à la Complutense de Madrid, que se forge sa conscience politique. Nous sommes à la fin des années soixante-dix, une période charnière où les structures du Mouvement national se délitent pour laisser place à une effervescence démocratique encore fragile. Le choix de l'engagement politique de José Luis Olivas est révélateur des clivages de l'époque. Il ne choisit pas la rupture radicale de la gauche, ni la nostalgie du bunker franquiste, mais la voie médiane, celle de l'Union du Centre Démocratique.

Ce premier engagement au sein de l'UCD, le parti d'Adolfo Suárez, est fondamental pour comprendre la psychologie politique du personnage. Il s'agit d'une droite qui se veut gestionnaire, modérée, cherchant à moderniser l'Espagne sans heurter les intérêts traditionnels. En 1977, il participe activement à la fondation du parti à Valence et devient conseiller municipal en 1979 lors des premières élections locales démocratiques. Cependant, l'effondrement spectaculaire de l'UCD au début des années quatre-vingt, laminée par ses dissensions internes et la victoire socialiste de 1982, oblige cette famille politique à se recomposer. C'est ici que s'opère la première mutation majeure de l'itinéraire d'Olivas : le passage du centrisme instrumental à l'Alliance Populaire, qui deviendra plus tard le Parti Populaire. Ce ralliement n'est pas anodin ; il marque l'intégration des cadres centristes dans la grande maison commune de la droite conservatrice espagnole, un processus de fusion des droites que nous avons souvent observé dans l'histoire politique européenne.

La décennie quatre-vingt-dix voit l'ascension méthodique de José Luis Olivas au sein de l'appareil régional valencien. Il incarne alors une figure indispensable à tout système de pouvoir : le numéro deux, l'homme de l'ombre, le technicien du droit et des finances qui sécurise les arrières du leader charismatique. Ce leader, c'est Eduardo Zaplana, dont la conquête de la Généralité valencienne en 1995 marque le début d'une hégémonie conservatrice qui durera vingt ans. Olivas devient conseiller à l'Économie et aux Finances, puis premier vice-président du gouvernement régional en 1999. Durant ces années, il est l'architecte silencieux d'une politique économique fondée sur l'urbanisme débridé, les grands événements et la tertiarisation accélérée de l'économie régionale. C'est l'époque où Valence se rêve en Californie de l'Europe, dopée par les fonds structurels européens et une spéculation immobilière qui semble alors sans limite.

L'année 2002 constitue le sommet paradoxal de sa carrière politique. Lorsque Eduardo Zaplana est appelé à Madrid par José María Aznar pour devenir ministre du Travail, le mécanisme de succession automatique désigne José Luis Olivas comme président de la Généralité valencienne. Son mandat, qui s'étend de juillet 2002 à juin 2003, est par essence un mandat de transition, une parenthèse institutionnelle destinée à préparer le terrain pour le candidat suivant, Francisco Camps. Durant ces onze mois, Olivas gère les affaires courantes avec la prudence du juriste, évitant les vagues, maintenant la cohésion d'un parti déjà traversé par des luttes de clans féroces entre les partisans de Zaplana et ceux de la direction nationale. Il est alors le gardien du temple, l'homme de confiance qui assure la continuité de l'État régional.

Pourtant, c'est au sortir de cette brève présidence que se joue le véritable drame de sa vie publique, un drame qui illustre la dangereuse porosité entre le pouvoir politique et la puissance financière dans l'Espagne du début du vingt et unième siècle. En quittant le Palau de la Generalitat, José Luis Olivas ne prend pas sa retraite ; il est propulsé à la tête de Bancaja, la caisse d'épargne de Valence, puis de la banque de Valence. Ce glissement, que l'on pourrait qualifier de pantouflage institutionnalisé, révèle une caractéristique structurelle du modèle espagnol de l'époque : la colonisation des caisses d'épargne par les partis politiques. Ces institutions, théoriquement à but non lucratif et vouées au développement social, sont devenues les bras armés des gouvernements régionaux pour financer des projets pharaoniques et des réseaux clientélistes.

Sous la présidence d'Olivas, Bancaja s'engage frénétiquement dans le financement du secteur immobilier, alors même que les premiers signes de surchauffe apparaissent. La gestion d'Olivas à la tête de cette entité financière n'est plus celle du technocrate prudent des années quatre-vingt-dix, mais celle d'un baron local qui confond les bilans bancaires avec les impératifs politiques de son parti. La volonté de créer un géant bancaire capable de rivaliser avec les grandes banques commerciales conduit à la fusion froide de Bancaja avec la Caja Madrid, dirigée par une autre figure tutélaire du Parti Populaire, Rodrigo Rato. De cette union naît Bankia, un colosse aux pieds d'argile dont l'introduction en bourse deviendra le symbole de la faillite du système financier espagnol.

La chute de José Luis Olivas est indissociable de la crise financière de 2008 et de ses répercussions tardives. Lorsque la bulle immobilière éclate, elle emporte avec elle la solvabilité des caisses d'épargne. La nationalisation de Bankia en 2012 et la découverte d'un trou financier abyssal exposent au grand jour les pratiques d'une élite qui s'est crue intouchable. L'ancien président de la Généralité se retrouve alors happé par une spirale judiciaire qui va déconstruire, pièce par pièce, sa respectabilité bourgeoise. Les enquêtes révèlent non seulement une gestion déloyale, mais aussi des enrichissements personnels douteux, des factures fausses et des conflits d'intérêts flagrants.

L'affaire Bankia, pour laquelle il est condamné, n'est que la partie émergée de l'iceberg. D'autres dossiers, comme celui d'Emarsa ou les affaires de fraude fiscale liées à l'entrepreneur Vicente Cotino, viennent noircir le tableau. Ce n'est plus seulement l'incompétence d'un gestionnaire qui est sanctionnée, mais la moralité d'un homme public. La condamnation à la prison ferme marque une rupture symbolique forte. Voir un ancien président de communauté autonome, figure éminente de l'establishment, franchir les portes d'un pénitencier constitue une image saisissante de la fin d'un cycle politique. Elle signifie que l'impunité, longtemps garantie par l'entrelacement des réseaux d'influence, a fini par céder sous la pression d'une société civile indignée et d'une justice qui tente de réaffirmer son indépendance.

Il est fascinant d'observer comment la trajectoire de José Luis Olivas résume les contradictions de la droite espagnole. Il fut d'abord l'homme de la transition, incarnant cette droite civilisée qui acceptait le jeu démocratique après quarante ans de dictature. Il fut ensuite l'homme du miracle économique valencien, cette période d'euphorie où la croissance semblait perpétuelle et où le bétonnage du littoral tenait lieu de stratégie industrielle. Il fut enfin l'homme de la débâcle, celui par qui le scandale arrive, incarnant la corruption systémique et la gestion désastreuse des deniers publics. Son parcours nous renseigne sur la difficulté des partis de gouvernement à ériger des murailles étanches entre la sphère publique et les intérêts privés.

L'analyse de sa vie privée, que nous avons volontairement laissée en arrière-plan pour privilégier la dimension publique, confirme cette imbrication. Ses relations amicales, ses réseaux de sociabilité, tout le ramenait à ce cercle restreint où se prenaient les décisions politiques et économiques. Il n'y avait pas de distinction claire entre le citoyen Olivas et le dirigeant Olivas ; tout était politique, tout était influence. C'est peut-être là que réside la tragédie de cette génération politique : avoir cru que la légitimité électorale conférait une sorte de blanc-seing moral et juridique absolu.

Les dernières années de sa vie, marquées par les procès et la réprobation sociale, furent celles d'une solitude croissante. Le Parti Populaire, soucieux de sa survie électorale et engagé dans une difficile régénération, a progressivement effacé de sa mémoire officielle celui qui fut pourtant l'un de ses piliers. La mort de José Luis Olivas en novembre 2025 survient alors que l'Espagne a tourné la page de cette époque tumultueuse, bien que les cicatrices de la crise financière soient encore visibles dans le tissu social. Sa disparition ne provoque pas l'émotion nationale que suscitent les grands hommes d'État, mais elle force l'historien à une réflexion sur la nature du pouvoir en démocratie.

Comment un homme formé au droit, ayant servi l'État à de multiples niveaux, a-t-il pu dériver vers des pratiques aussi contraires à l'éthique publique ? La réponse ne se trouve pas uniquement dans la psychologie individuelle, mais dans l'analyse des structures d'opportunité offertes par le système politique espagnol des années deux mille. La concentration excessive des pouvoirs au niveau régional, l'absence de contre-pouvoirs efficaces au sein des caisses d'épargne et la complicité tacite entre les élites politiques et économiques ont créé un terreau favorable à ces dérives. José Luis Olivas n'était pas un accident de l'histoire ; il était le produit d'un système.

En observant la vie de José Luis Olivas, nous voyons se dessiner en filigrane l'histoire de la Communauté valencienne elle-même. Une région qui a cherché à affirmer son identité et sa puissance par une politique de prestige coûteuse, souvent au prix de la rigueur et de la transparence. L'ascension d'Olivas correspond à la montée en puissance de Valence sur la scène nationale ; sa chute correspond à l'effondrement du "modèle valencien" sous le poids de la dette et de la corruption. C'est une histoire de grandeur et de décadence, non pas au sens romantique du terme, mais au sens strictement politique et institutionnel.

Il est également nécessaire de replacer son action dans le cadre plus large des droites européennes. Le glissement vers un libéralisme économique décomplexé, mâtiné de conservatisme sociétal, est une tendance lourde de la période. Cependant, la spécificité du cas Olivas réside dans cette capture de l'outil bancaire par le politique, un trait plus archaïque qui rappelle les pratiques du caciquisme du dix-neuvième siècle, adaptées à l'ère du capitalisme financier globalisé. C'est ce mélange de modernité apparente et de pratiques traditionnelles de clientèle qui rend son profil si singulier et si représentatif d'une certaine culture politique méditerranéenne.

Au terme de cet itinéraire, que reste-t-il ? Il reste le souvenir d'une époque révolue, celle des majorités absolues et des inaugurations fastueuses. Il reste des infrastructures, parfois inutiles, financées par des entités bancaires aujourd'hui disparues ou absorbées. Il reste surtout une jurisprudence, car les procès qui ont jalonné la fin de sa vie ont contribué à redéfinir les frontières de la responsabilité pénale des dirigeants politiques. La mort de José Luis Olivas clôt définitivement ce chapitre. Elle nous rappelle que l'histoire politique n'est pas seulement faite d'idées et de programmes, mais aussi de chair et de sang, d'ambitions humaines et de faiblesses, et que les institutions, aussi solides paraissent-elles, ne valent que ce que valent les hommes qui les habitent. En ce sens, sa biographie est une leçon de choses politique, un avertissement sévère sur les dangers de la confusion des genres entre l'intérêt général et l'intérêt particulier. Son passage à la tête de la Généralité et de Bancaja restera comme un cas d'école pour les étudiants en sciences politiques, illustrant parfaitement les mécanismes de l'élite au pouvoir et les risques inhérents à l'absence de contrôle démocratique véritable.

La date du 29 novembre 2025 marque donc la fin biologique d'un homme, mais sa mort politique avait eu lieu bien avant, dans le silence feutré des conseils d'administration et le bruit médiatique des prétoires. C'est là toute la cruauté et la justice de l'histoire, qui ne retient des hommes publics que ce qu'ils ont apporté, en bien ou en mal, à la collectivité. José Luis Olivas, par son ascension et sa chute, aura incarné mieux que quiconque les lumières et les ombres de l'Espagne démocratique de ces trente dernières années.