ETATS UNIS - ANNIVERSAIRE
Jim Pillen, l'incarnation du conservatisme des grandes plaines

Né le 31 décembre 1955, Jim Pillen s'inscrit dès son premier souffle dans la rigueur hivernale du comté de Platte, au cœur de cet immense territoire agricole que constitue le Nebraska. Il fête aujourd'hui ses 70 ans.
Sa venue au monde, à la veille d'une nouvelle année, semble préfigurer une existence marquée par la transition entre un monde rural traditionnel, rythmé par les saisons et le labeur manuel, et l'émergence d'une modernité agro-industrielle dont il deviendra l'un des artisans majeurs. Pour comprendre la trajectoire de cet homme, il convient de ne pas le réduire à la simple chronologie de ses succès, mais de l'envisager comme le produit d'un milieu social spécifique, celui des Grandes Plaines américaines, où la terre n'est pas seulement un capital économique mais le fondement même d'une identité morale et politique.
L'enfance de Jim Pillen se déroule dans l'atmosphère austère et laborieuse d'une ferme porcine, loin des tumultes urbains qui agitent les côtes des États-Unis dans les années soixante. C'est un apprentissage de la vie par le contact direct avec la matière, où la réussite dépend d'une éthique du travail protestante, valorisant l'effort individuel et la responsabilité personnelle. Cette éducation, typique de la classe moyenne agricole du Midwest, forge chez le jeune homme une vision du monde ordonnée, hiérarchisée, où chaque récompense doit être le fruit d'un mérite préalable. Cependant, c'est sur un autre terrain, tout aussi exigeant que les champs de maïs, que sa personnalité va acquérir une dimension publique précoce : le football américain.
Dans le Nebraska, le football universitaire n'est pas un simple divertissement ; il constitue une véritable religion civile, un ciment social qui unit les citoyens au-delà de leurs disparités. En rejoignant les Cornhuskers de l'Université du Nebraska à Lincoln (UNL) en tant que défenseur, Jim Pillen ne fait pas que pratiquer un sport. Il entre dans une institution formatrice, sous la tutelle de l'entraîneur légendaire Tom Osborne, figure tutélaire qui incarne une autorité paternelle et morale. Sur le terrain, Pillen se distingue par sa ténacité et son intelligence tactique, devenant une figure respectée au sein des « Blackshirts », l'unité défensive de l'équipe. Cette période est cruciale car elle l'insère durablement dans l'imaginaire collectif de l'État : il n'est plus seulement un fils de fermier, il devient un héros local, porteur des valeurs de courage et de loyauté chères à l'électorat qu'il sollicitera des décennies plus tard.
Après l'obtention de son diplôme en sciences animales, puis d'un doctorat en médecine vétérinaire à l'Université d'État du Kansas, le retour au pays natal marque le début d'une ascension économique spectaculaire. La carrière professionnelle de Jim Pillen illustre parfaitement la mutation du capitalisme agricole américain à la fin du XXe siècle. Débutant avec une simple pratique vétérinaire et un modeste élevage porcin en partenariat avec son père, il opère progressivement le passage de l'artisanat agricole à l'industrie agroalimentaire. La fondation de Pillen Family Farms en 1993, suivie plus tard par l'acquisition de DNA Genetics, témoigne d'une compréhension aiguë des mécanismes de marché et de la nécessité de l'intégration verticale.
Ce n'est plus le modèle de la ferme familiale autarcique du XIXe siècle, mais celui de l'entreprise rationalisée, connectée aux marchés mondiaux, utilisant la génétique de pointe et la gestion de données. En devenant l'un des plus grands producteurs de porcs du pays, Jim Pillen incarne cette frange de la droite américaine qui allie un conservatisme moral inébranlable à un libéralisme économique conquérant. Sa réussite entrepreneuriale lui confère une légitimité particulière : celle du « faiseur », de l'homme d'action qui a créé des emplois et de la richesse, validant ainsi par la preuve le dogme de la libre entreprise. Cette transformation personnelle reflète celle de son électorat, qui, bien que attaché à ses racines rurales, est désormais pleinement intégré dans la complexité de l'économie globalisée.
La vie privée de Jim Pillen, partagée avec son épouse Suzanne et leurs quatre enfants, reste le socle discret mais essentiel de son engagement public. Elle offre l'image rassurante de la stabilité, conforme aux attentes d'un électorat pour qui la famille traditionnelle demeure la cellule de base de la société. C'est fort de cet ancrage et de sa réussite professionnelle qu'il se tourne vers la gestion des affaires publiques, non pas initialement par la voie législative classique, mais par la gouvernance universitaire. Son élection au Conseil des régents de l'Université du Nebraska en 2012 marque son entrée véritable dans l'arène politique.
Ce mandat, qui pourrait sembler technique ou honorifique dans d'autres contextes, se révèle être un observatoire privilégié des tensions culturelles qui traversent l'Amérique contemporaine. L'université est devenue le champ de bataille d'une guerre culturelle intense. Durant ses dix années au Conseil, Jim Pillen se positionne comme le gardien des valeurs conservatrices face à ce qu'il perçoit comme une dérive progressiste du milieu académique. Son opposition ferme à l'enseignement de la théorie critique de la race (Critical Race Theory) en 2021 est un moment charnière. Il ne s'agit plus seulement de gérer un budget ou des programmes éducatifs, mais de défendre une certaine idée de l'histoire et de l'identité américaine. En portant cette résolution, il cristallise autour de sa personne le soutien de la base conservatrice, prouvant qu'il est capable de mener le combat sur le terrain idéologique aussi bien que sur le terrain économique.
L'année 2022 constitue le point d'orgue de cette longue maturation politique avec sa candidature au poste de gouverneur. La campagne pour les primaires républicaines se transforme en un théâtre d'affrontement fascinant entre les différentes sensibilités de la droite américaine. D'un côté, un populisme turbulent soutenu par l'ancien président Donald Trump, incarné par un rival homme d'affaires ; de l'autre, un conservatisme institutionnel, soutenu par le gouverneur sortant Pete Ricketts et l'establishment du parti, dont Jim Pillen devient le porte-étendard. Cette lutte fratricide permet à Pillen de démontrer sa capacité de résilience. Il parvient à réaliser la synthèse, rassurant les élites économiques par son parcours d'entrepreneur tout en séduisant l'électorat rural et religieux par son intransigeance sur les questions sociétales.
Sa victoire aux primaires, suivie de son triomphe aisé lors de l'élection générale contre la candidate démocrate Carol Blood, confirme l'hégémonie du Parti républicain dans le Nebraska, mais elle consacre surtout un type spécifique de leadership. Jim Pillen n'est pas un tribun populiste cherchant à renverser la table, mais un gestionnaire méthodique déterminé à appliquer un programme de droite classique avec une rigueur implacable. Dès sa prise de fonction en janvier 2023, son action gouvernementale s'articule autour de deux axes majeurs : la réforme fiscale et la réaffirmation de l'ordre moral.
Sur le plan économique, sa priorité absolue est la réduction de la charge fiscale, en particulier les impôts fonciers qui pèsent lourdement sur les agriculteurs et les propriétaires terriens. Cette politique s'inscrit dans la continuité d'une tradition libérale hostile à la dépense publique excessive, cherchant à limiter le périmètre de l'État pour libérer l'initiative privée. Il engage un bras de fer avec la législature pour imposer des coupes budgétaires et restructurer le financement des écoles, favorisant le choix scolaire et les aides aux établissements privés, une mesure qui reflète sa méfiance envers le monopole de l'éducation publique.
Cependant, c'est sur les questions de société que le mandat de Jim Pillen prend une tournure plus radicale, révélant l'influence grandissante des courants religieux et traditionalistes au sein de l'exécutif. L'arène législative du Nebraska, unique en son genre avec son système monocaméral théoriquement non partisan, devient le théâtre de débats passionnés. Le gouverneur jette tout son poids politique dans la balance pour faire adopter des législations restreignant l'accès à l'interruption volontaire de grossesse et limitant les droits des personnes transgenres, notamment l'accès aux soins de transition pour les mineurs. Ces batailles législatives, marquées par des obstructions parlementaires épiques de la part de l'opposition, ne sont pas de simples ajustements juridiques. Elles témoignent d'une volonté de "reconquête" culturelle, visant à inscrire dans la loi une anthropologie chrétienne et conservatrice.
Le style de gouvernance de Jim Pillen se caractérise par une certaine rugosité, héritée peut-être de ses années sur les terrains de football et dans les parcs d'engraissement. Il privilégie l'efficacité et le résultat à la conciliation, n'hésitant pas à user de son pouvoir de nomination pour placer des alliés fidèles aux postes clés, comme en témoigne la nomination de son prédécesseur Pete Ricketts au Sénat des États-Unis pour remplacer Ben Sasse. Ce geste, perçu par ses détracteurs comme un renvoi d'ascenseur politique, illustre la solidité des réseaux de pouvoir qui structurent la politique du Nebraska, une oligarchie républicaine où les loyautés personnelles et les alliances stratégiques jouent un rôle déterminant.
Au-delà des polémiques, l'action de Jim Pillen s'efforce également de répondre aux défis démographiques de l'État. Conscient de l'exode rural et du vieillissement de la population, il tente de promouvoir le Nebraska comme un havre de stabilité et de prospérité pour les familles, vantant la qualité de vie et les valeurs communautaires du Midwest. Il parcourt inlassablement l'État, des petites villes des Sandhills aux quartiers d'affaires d'Omaha, prêchant l'évangile du « bon sens » (common sense) et de la responsabilité fiscale. Son discours, souvent dénué d'artifices rhétoriques, résonne auprès d'une population qui se sent souvent incomprise ou méprisée par les élites côtières.
Dans sa gestion quotidienne, le gouverneur doit également composer avec les aléas climatiques et économiques qui frappent régulièrement le secteur agricole, colonne vertébrale de l'État. Sécheresses, fluctuations des prix des matières premières et crises sanitaires animales sont autant de défis qui requièrent une attention constante. Son expérience passée de vétérinaire et d'agriculteur lui confère une expertise technique indéniable sur ces dossiers, lui permettant de dialoguer d'égal à égal avec les producteurs. Cette proximité sociologique avec sa base électorale est son atout majeur, lui assurant une popularité qui résiste aux turbulences politiques nationales.
Alors que son mandat progresse, Jim Pillen continue de façonner le Nebraska à son image : un État qui se veut moderne dans ses infrastructures et son économie, mais résolument conservateur dans ses mœurs et ses structures sociales. Il incarne une droite américaine qui ne cherche pas tant la révolution que la préservation d'un ordre établi, menacé selon elle par les mutations rapides de la société contemporaine. Sa trajectoire, de la ferme familiale au manoir du gouverneur, est finalement celle d'une réussite américaine classique, mais revisitée par les impératifs idéologiques du XXIe siècle. Elle nous rappelle que dans les Grandes Plaines, la politique reste avant tout une affaire de terre, de foi et de fidélité aux origines, des valeurs que Jim Pillen s'efforce de perpétuer à travers chaque décision, chaque loi et chaque discours, inscrivant ainsi son nom dans la longue histoire des dirigeants conservateurs de l'Ouest américain.