HONG KONG - LEGISLATIVES DU 7 DECEMBRE

Hong Kong à l'heure du silence : un vote pour sceller l'ère des "Patriotes"

À quarante-huit heures de l'ouverture des bureaux de vote, l'atmosphère dans les rues de Causeway Bay ou de Mong Kok n'a plus rien de la frénésie électrique qui s'emparait jadis de la ville à l'approche d'un scrutin. Pas de bannières criardes se disputant l'espace visuel au-dessus des trams à impériale, pas de porte-voix haranguant les foules à la sortie des stations de métro, et surtout, aucune trace de cette incertitude démocratique qui faisait vibrer l'ancien comptoir britannique. Ce dimanche 7 décembre 2025, les Hongkongais sont appelés à renouveler leur Conseil Législatif (LegCo) pour un mandat de quatre ans. Mais pour la grande majorité des 7,4 millions d'habitants, l'issue ne fait aucun doute. Ce scrutin n'est pas une compétition, c'est une ratification.

Quatre ans après la refonte radicale du système électoral imposée par Pékin en 2021, et près de vingt mois après l'adoption de la loi locale sur la sécurité nationale (l'article 23), Hong Kong a achevé sa mue. La ville "rebelle" est rentrée dans le rang. Pourtant, derrière la façade d'une stabilité politique retrouvée que vante inlassablement le Chef de l'Exécutif John Lee, se dessine une crise plus sourde, plus profonde. Une crise économique structurelle marquée par un déficit budgétaire record et une crise d'identité alors que la frontière avec Shenzhen, jadis étanche, semble s'effacer sous les pas des consommateurs hongkongais eux-mêmes.

Dans ce dossier spécial, nous plongeons au cœur d'une élection sans suspense mais lourde de sens, qui marque peut-être la fin définitive de l'exception hongkongaise telle que le monde l'a connue.


Le théâtre des ombres : une démocratie "à la chinoise" sans rivaux

La scène politique hongkongaise de cette fin 2025 ressemble à une pièce de théâtre parfaitement chorégraphiée où chaque acteur connaît sa partition sur le bout des doigts, et où l'improvisation est devenue un crime. Pour comprendre la nature de ce scrutin législatif du 7 décembre, il faut d'abord observer ce qui n'est pas là. Il n'y a pas d'opposition. Le camp pro-démocratie, qui parvenait encore à mobiliser des millions de personnes dans les rues il y a six ans et qui avait raflé la quasi-totalité des sièges lors des élections de district de 2019, a été méthodiquement effacé du paysage. Ses leaders sont soit en exil à Londres ou Toronto, soit derrière les barreaux, purgeant de lourdes peines suite au procès marathon des "47 de Hong Kong", soit réduits au silence par la menace omniprésente de la Loi sur la Sécurité Nationale.

Le système électoral en vigueur pour ce scrutin est le fruit de la réforme "Patriots Only" (Réservé aux Patriotes) initiée en 2021. Sur les 90 sièges du Conseil Législatif, seule une infime fraction, vingt sièges, est élue au suffrage universel direct par les circonscriptions géographiques. Et même pour ces rares sièges "ouverts", le filtrage est draconien. Tout candidat a dû obtenir, ces dernières semaines, les nominations requises de la part du Comité électoral – un organe acquis à la cause de Pékin – et passer le crible du Comité d'examen de l'admissibilité des candidats, dirigé par le Secrétaire en chef de l'administration. En conséquence, les bulletins de vote que les électeurs glisseront dans l'urne dimanche ne proposeront qu'un choix de nuances au sein d'un même spectre idéologique : celui de la loyauté indéfectible envers la Chine continentale.

Les médias locaux, désormais tous alignés sur la ligne officielle après la disparition des voix indépendantes ces dernières années, présentent cette uniformité comme un signe de maturité politique. Le South China Morning Post et The Standard relaient abondamment les propos de John Lee, qui affirme que cette élection est celle de la "construction" et non de la "destruction". Selon le récit gouvernemental, l'époque des obstructionnistes qui paralysaient le parlement local est révolue. Désormais, le LegCo est présenté comme un organe efficace, capable de passer des lois à la vitesse de l'éclair, comme on l'a vu avec l'adoption unanime de l'Article 23 en mars 2024. Mais cette efficacité a un prix : la pertinence. Les débats parlementaires, autrefois vifs et imprévisibles, sont devenus des chambres d'écho technocratiques où l'on discute de l'ajustement des marges mais jamais de la direction du navire.

Il est intéressant de noter la présence de quelques candidats se revendiquant "centristes" ou "non-alignés" pour ce cru 2025. Ces figures, souvent issues du monde académique ou social, tentent de capter l'électorat orphelin du camp démocrate. Cependant, leur marge de manœuvre est inexistante. Ils doivent jurer allégeance à la Loi fondamentale et prouver leur patriotisme avant même de pouvoir imprimer une affiche de campagne. Pour l'électeur moyen, la distinction entre un candidat de l'Alliance démocratique pour l'amélioration et le progrès de Hong Kong (DAB, pro-Pékin historique) et un candidat prétendument indépendant est devenue illisible. Tous valident la politique d'intégration à la Grande Baie (Greater Bay Area) et la primauté de la sécurité nationale.

Ce scrutin révèle ainsi une vérité crue sur le Hong Kong de 2025 : la politique, au sens de confrontation d'idées pour l'avenir de la cité, a cessé d'exister. Elle a été remplacée par l'administration. Le Conseil Législatif n'est plus un contre-pouvoir, mais une courroie de transmission. Les candidats en lice dimanche ne promettent pas de changement politique – c'est impossible – mais rivalisent sur des promesses de gestion urbaine : qui nettoiera le mieux les rues, qui accélérera la construction de logements publics, qui distribuera le plus d'aides aux personnes âgées. C'est une politique de syndic de copropriété à l'échelle d'une métropole mondiale, où les grandes questions de liberté et de droits civiques ont été soigneusement rangées au placard, sous clé.

La grande évasion : comment l'économie de Hong Kong s'efface devant Shenzhen

Si le calme règne sur le front politique, c'est sur le terrain économique que l'angoisse est la plus palpable à Hong Kong en cette fin d'année 2025. Le titre de gloire de la ville, celui de place financière internationale résiliente, est mis à rude épreuve. Les indicateurs sont au rouge, ou du moins, virent à un orange inquiétant. Le déficit budgétaire, qui frôle désormais les 100 milliards de dollars de Hong Kong (environ 12 milliards d'euros), pèse lourdement sur les promesses de campagne des candidats patriotes. Longtemps habituée aux excédents colossaux grâce aux ventes de terrains et à la bourse, l'administration hongkongaise découvre la rigueur. Le marché immobilier, autrefois le plus cher du monde et moteur de la richesse locale, traverse une crise de confiance majeure, avec des prix qui ont corrigé de manière significative depuis les sommets de 2021, laissant de nombreux propriétaires en situation de "negative equity" (la valeur de leur bien est inférieure à leur dette).

Mais le phénomène le plus marquant de cette élection, celui qui hante toutes les conversations dans les "cha chaan teng" (cafés locaux), est l'inversion spectaculaire des flux de consommation. Pendant des décennies, les habitants de Chine continentale affluaient à Hong Kong pour acheter des produits de luxe, du lait en poudre, des cosmétiques et des assurances, attirés par la qualité et l'absence de taxes. En 2025, c'est l'inverse qui se produit. Chaque week-end, une marée humaine de Hongkongais franchit la frontière vers le nord pour se rendre à Shenzhen. Ils vont faire leurs courses chez Sam's Club ou Costco, dîner dans des restaurants bon marché et profiter de services de bien-être à des prix défiant toute concurrence locale. Ce "tourisme inversé" saigne le commerce de détail hongkongais à blanc.

Les rues commerçantes de Tsim Sha Tsui et de Causeway Bay, jadis aux loyers les plus élevés de la planète, affichent un taux de vacance inquiétant. Les enseignes locales ferment les unes après les autres, incapables de rivaliser avec le rapport qualité-prix offert par la voisine continentale. Ce changement de paradigme est au cœur des programmes des candidats aux législatives, qui se trouvent dans une position délicate. D'un côté, ils doivent prôner, conformément aux directives de Pékin, une intégration toujours plus poussée au sein de la "Greater Bay Area" (la région de la Grande Baie englobant Hong Kong, Macao et le Guangdong). De l'autre, cette intégration est en train de siphonner l'économie de service locale. Comment dire aux électeurs "intégrez-vous" quand cette intégration signifie concrètement aller dépenser son salaire de l'autre côté de la frontière ?

Le Chef de l'Exécutif John Lee, dans son adresse politique de septembre dernier, a tenté de rassurer en promettant des réformes pour stimuler l'économie et en vantant l'arrivée de talents étrangers pour combler le "brain drain" (fuite des cerveaux). En effet, l'exode des classes moyennes et des professionnels qualifiés vers le Royaume-Uni, le Canada ou l'Australie, entamé en 2020, continue de se faire sentir. Pour compenser, le gouvernement a ouvert grand les vannes de l'immigration de travail, important de la main-d'œuvre pour 26 catégories de métiers, allant des serveurs aux techniciens. Le Hong Kong qui vote ce dimanche est démographiquement différent de celui de 2019 : il est plus âgé, et sa population active est de plus en plus constituée de nouveaux arrivants du continent, dont la culture politique est naturellement alignée sur celle de Pékin.

La bourse de Hong Kong, le Hang Seng Index, a connu des "montagnes russes" tout au long de l'année 2025, oscillant au gré des plans de relance annoncés par Pékin. La dépendance de la place financière vis-à-vis de l'économie chinoise est désormais totale. Les tentatives du gouvernement pour séduire les capitaux du Moyen-Orient ou d'Asie du Sud-Est peinent à compenser le retrait progressif des investisseurs institutionnels occidentaux, refroidis par les risques géopolitiques et l'incertitude juridique. Les candidats aux législatives promettent tous de "relancer l'économie", mais leurs leviers sont limités. Ils ne peuvent pas dévaluer la monnaie (liée au dollar US), ils ne peuvent pas baisser des impôts déjà très bas sans creuser le déficit, et ils ne peuvent pas empêcher leurs concitoyens de voter avec leurs pieds en allant dépenser leurs dollars à Shenzhen. L'économie hongkongaise, autrefois dragon rugissant, cherche son nouveau souffle, coincée entre une intégration politique forcée et une concurrence économique féroce qu'elle n'avait pas vue venir.


La ligne rouge invisible : vivre et voter à l'ère de l'Article 23

Si l'économie préoccupe les esprits, c'est la transformation juridique et sociétale de Hong Kong qui pèse sur les âmes en ce mois de décembre 2025. Pour saisir la nuance de ce scrutin, il faut comprendre que les règles du jeu ont changé bien au-delà des simples modalités électorales. Depuis mars 2024, Hong Kong vit sous l'égide de la loi locale sur la sécurité nationale, connue sous le nom d'Article 23, venue compléter la loi imposée par Pékin en 2020. Cette double couche législative a redéfini les frontières du possible, instaurant un climat où la prudence est devenue la vertu cardinale de tout citoyen, et à plus forte raison, de tout candidat. La ville, autrefois célèbre pour ses manifestations bruyantes et sa presse irrévérencieuse, a appris une nouvelle langue : celle du non-dit.

Cette atmosphère aseptisée se ressent physiquement dans la campagne électorale qui s'achève. Les candidats, triés sur le volet, naviguent avec une précaution extrême pour éviter de franchir des "lignes rouges" qui semblent parfois mouvantes. La notion de "résistance douce" (soft resistance), régulièrement brandie par les responsables de la sécurité comme Chris Tang, plane comme une épée de Damoclès. La critique des politiques gouvernementales, si elle est mal formulée, peut désormais être interprétée comme une incitation à la haine contre les autorités. En conséquence, les programmes électoraux se ressemblent tous, se concentrant sur des micro-ajustements administratifs plutôt que sur des visions de société. On débat de l'emplacement des arrêts de bus, mais on évite soigneusement de questionner la pertinence des grands projets d'infrastructures liés à l'intégration nationale, de peur d'être taxé de manque de patriotisme.

L'impact de cette nouvelle réalité sécuritaire s'étend bien au-delà de la sphère politique stricto sensu ; il imprègne le tissu social et culturel. Les librairies, qui vendaient jadis des ouvrages critiques sur le Parti communiste chinois, ont disparu ou épuré leurs rayons. Les pièces de théâtre et les films doivent obtenir des visas de censure plus stricts, et les subventions artistiques sont désormais conditionnées au respect de la sécurité nationale. Même les institutions universitaires, autrefois bastions de la liberté académique en Asie, ont vu leurs conseils d'administration repris en main et leurs syndicats étudiants dissous. Dans ce contexte, l'élection de dimanche apparaît moins comme un exercice de choix démocratique que comme une cérémonie de loyauté. Voter, c'est montrer que l'on accepte le nouveau contrat social : la prospérité (espérée) contre la docilité.

La figure de Jimmy Lai, le magnat de la presse pro-démocratie dont le procès historique a marqué les esprits ces deux dernières années, reste présente dans toutes les mémoires, bien qu'invisible. Le démantèlement de son empire médiatique et la fermeture successive des médias indépendants comme Stand News ou Citizen News ont laissé un vide que la presse officielle peine à combler en termes de crédibilité. Les électeurs s'informent désormais via des canaux fragmentés, souvent sur des groupes privés cryptés, ou se contentent des nouvelles aseptisées fournies par la télévision publique RTHK, elle-même réformée pour devenir un porte-voix gouvernemental. Cette fragmentation de l'information rend la campagne électorale étrangement silencieuse : il n'y a plus de grands débats contradictoires qui passionnent l'opinion, juste une succession de monologues validés par l'autorité.

Pourtant, les autorités insistent sur le fait que Hong Kong jouit toujours de libertés, dans le respect de la loi. Elles pointent du doigt la stabilité retrouvée après le chaos de 2019. Pour le gouvernement, l'Article 23 n'est pas un bâillon, mais un bouclier nécessaire contre les ingérences étrangères et le sabotage interne. C'est cet argumentaire que les candidats "patriotes" répètent à l'envi lors de leurs apparitions publiques. Ils promettent de défendre l'État de droit, mais leur définition de ce concept a glissé vers un "rule by law" (gouverner par la loi) où la législation est un outil de contrôle plutôt qu'une protection contre l'arbitraire. Dimanche, les Hongkongais ne voteront pas pour changer de direction, car la direction est déjà fixée par Pékin. Ils voteront pour désigner les gestionnaires les plus aptes à appliquer cette feuille de route, dans une ville où le simple fait de porter un t-shirt noir ou de chanter une vieille chanson de protestation peut désormais attirer l'attention de la police.


Le seul chiffre qui compte : la bataille de Pékin contre l'apathie électorale

Au final, l'enjeu principal de ce dimanche 7 décembre 2025 ne réside pas dans le nom des vainqueurs – ils sont tous du même camp – mais dans un unique indicateur statistique : le taux de participation. Pour Pékin et pour l'administration de John Lee, l'affluence aux urnes est devenue le baromètre ultime de la légitimité du nouveau système politique. Après le taux historiquement bas de 27,5 % enregistré lors des élections des conseils de district en décembre 2023, et les 30,2 % des législatives de 2021, le pouvoir est hanté par la perspective d'une nouvelle abstention massive qui sonnerait comme un désaveu silencieux mais cinglant de la "nouvelle ère".

L'appareil d'État a donc été mobilisé comme jamais auparavant pour tenter de briser cette apathie. La ville a été tapissée d'affiches incitant au "vote pour un meilleur Hong Kong". Des "Journées de plaisir en famille" ont été organisées, les transports publics offrent des réductions, et les musées sont gratuits le jour du scrutin, une stratégie déjà tentée en 2023 pour créer une atmosphère de festival. Mais la pression est aussi plus directe. Les fonctionnaires, les enseignants et les employés des grandes entreprises publiques ont reçu des messages clairs les encourageant à remplir leur devoir civique. Les "Care Teams" (équipes de soins de district), ces nouveaux réseaux de bénévoles pro-gouvernementaux maillant chaque quartier, ont fait du porte-à-porte intensif pour s'assurer que les personnes âgées et les loyalistes se rendent aux bureaux de vote.

Cependant, les analystes politiques notent une lassitude profonde au sein de la population. Pour beaucoup de Hongkongais, en particulier les jeunes et la classe moyenne éduquée qui constituaient le cœur de l'électorat démocrate, ne pas voter est devenu le dernier acte politique possible. C'est une forme de résistance passive, un moyen de dire "ce n'est pas mon élection" sans risquer la prison. En l'absence de candidats représentant leurs opinions, et avec la certitude que le résultat est couru d'avance, l'incitation rationnelle à se déplacer un dimanche est nulle. Pourquoi aller valider un système qui vous a exclu ? Cette logique de boycott silencieux est difficile à contrer par la propagande officielle, car elle ne s'exprime pas par des slogans, mais par l'absence.

Le gouvernement a également mis en place des mesures techniques pour éviter les couacs du passé, notamment la panne du système électronique de registre des électeurs qui avait entaché la fin du scrutin de 2023, forçant une prolongation des horaires de vote. Cette fois, tout doit être parfait. Des bureaux de vote ont été installés près de la frontière pour faciliter le vote des Hongkongais résidant sur le continent, un réservoir de voix traditionnellement favorable à Pékin. L'objectif non avoué est de franchir la barre symbolique des 30 %, ou du moins, de ne pas faire pire que lors du désastre des élections de district. Tout chiffre supérieur sera présenté par les médias d'État comme une preuve de la "confiance du public" et du succès de la "démocratie aux caractéristiques de Hong Kong".

Paradoxalement, une participation trop faible placerait les élus dans une position délicate. Avec un mandat conféré par une minorité de la population, leur capacité à faire accepter des politiques impopulaires – augmentations de taxes, réformes des services publics – serait fragilisée. Ils seraient des législateurs légaux, mais sans ancrage populaire réel. C'est le dilemme de ce système "Patriots Only" : en éliminant la compétition, il a éliminé l'intérêt. Le dimanche soir, lorsque les urnes seront scellées, les regards se tourneront vers les écrans non pas pour voir qui a gagné, mais pour voir combien de personnes ont pris la peine de jouer le jeu. Dans le silence des bureaux de vote à moitié vides pourrait résonner le bruit le plus assourdissant de cette élection : celui de l'indifférence d'un peuple qui a tourné la page, non par adhésion, mais par résignation. Hong Kong vote, mais son cœur n'y est plus.