REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE - ELECTIONS DU 28 DECEMB
Chronique d’un sacre sous garde russe

Bangui retient son souffle : L'ombre d'un couronnement
Sous le soleil de plomb qui écrase Bangui en ce milieu de décembre, l'avenue Boganda ressemble à un fleuve bicolore. Le bleu et le blanc, couleurs du Mouvement Cœurs Unis, le parti au pouvoir, saturent l'espace visuel. Des ronds-points du PK0 jusqu'aux abords de l'aéroport M'Poko, le visage de Faustin-Archange Touadéra s'affiche en format géant, accompagné de slogans en sango promettant l'émergence et la stabilité. À deux semaines du scrutin du 28 décembre 2025, la machine électorale du président sortant tourne à plein régime, occupant le terrain avec une hégémonie qui laisse peu de place au doute quant aux ambitions du palais de la Renaissance : le "Coup K.O." dès le premier tour n'est pas seulement un objectif, c'est une prophétie que ses partisans martèlent à chaque meeting.
Pourtant, derrière cette débauche de moyens et les convois de 4x4 rutilants qui fendent la poussière des quartiers populaires, la capitale centrafricaine semble retenir son souffle. L'atmosphère n'est pas celle d'une fête démocratique, mais plutôt celle d'une attente anxieuse. Dans les maquis de Lakouanga ou les marchés du PK5, les conversations se font discrètes dès que l'on aborde la politique. Si la nouvelle Constitution promulguée le 30 août 2023 a juridiquement remis les compteurs à zéro, permettant au chef de l'État de briguer ce qui est techniquement un premier mandat sous la 7ème République — mais factuellement un troisième —, la manœuvre a laissé des traces profondes dans le tissu social. L'opposition, bien que présente, peine à exister face au rouleau compresseur étatique.
La liste définitive des candidats, validée mi-novembre par la Cour Constitutionnelle, a redessiné le paysage politique. Sur les dix dossiers déposés, sept ont été retenus. Si les figures de l'opposition comme Anicet-Georges Dologuélé, de l'Union pour le renouveau centrafricain, et Henri-Marie Dondra sont bien dans la course, l'invalidation de trois candidatures pour des motifs de "double nationalité" a été perçue par beaucoup comme un avertissement sans frais. Cette décision, appuyée sur les dispositions du nouveau texte fondamental, a privé le scrutin de certaines voix critiques, renforçant le sentiment d'une compétition verrouillée en amont. Pour l'observateur qui arpente les rues de la capitale, le contraste est saisissant : là où le MCU déploie des moyens logistiques considérables, distribuant t-shirts et billets de banque lors de rassemblements festifs, les quartiers généraux de l'opposition semblent tourner au ralenti, asphyxiés financièrement et prudents face à un appareil sécuritaire omniprésent.
Car la sécurité reste l'éléphant dans la pièce de cette élection. La présence des instructeurs russes, désormais intégrés dans le paysage sous la bannière d'Africa Corps qui a succédé à la nébuleuse Wagner, est visible mais discrète. Ils ne patrouillent pas ostensiblement, mais leur influence sur le dispositif de sécurisation du vote est un secret de polichinelle. Cette tutelle sécuritaire rassure une partie de la population traumatisée par les cycles de violence passés, tout en inquiétant les chancelleries occidentales et l'opposition qui redoutent des intimidations dans les provinces reculées. À Bangui, la rumeur enfle sur la difficulté d'accès à certaines zones pour les observateurs indépendants, jetant déjà une ombre sur la transparence du processus de remontée des résultats.
L'Autorité Nationale des Élections se veut pourtant rassurante. Ses porte-paroles multiplient les interventions sur les ondes de Radio Ndeke Luka pour affirmer que le matériel électoral est en cours de déploiement et que le calendrier sera tenu. Mais sur le terrain, les défis logistiques sont immenses. Dans un pays où la saison sèche facilite certes les déplacements, l'état des infrastructures reste désastreux. De nombreux électeurs, notamment les déplacés internes et les réfugiés récemment rentrés, peinent encore à retirer leurs cartes. Ce flou logistique alimente la méfiance. Pour beaucoup de Banguissois, la question n'est pas tant de savoir qui va gagner — l'issue semblant écrite d'avance — mais si le scrutin se déroulera sans les violences qui ont émaillé celui de 2020.
Ce fatalisme ambiant est peut-être le trait le plus marquant de cette campagne. Il y a cinq ans, la menace venait des groupes armés marchant sur la capitale. Aujourd'hui, la menace est plus diffuse, plus politique. Elle réside dans le sentiment d'une démocratie de façade où le vote est un rituel de légitimation plutôt qu'un outil de changement. Alors que les affiches de Touadéra, le "bâtisseur", promettent un avenir radieux, les délestages continuent de plonger la ville dans le noir une fois la nuit tombée, rappelant cruellement le décalage entre les promesses de campagne et la réalité quotidienne d'une population qui lutte pour sa survie. Dans ce clair-obscur, le 28 décembre approche comme une échéance inéluctable, un rendez-vous avec l'histoire que beaucoup redoutent de voir se répéter.
La "Pax Russica" à l'épreuve de la brousse : voter sous la garde des prétoriens étrangers
Dès que l'on quitte le bitume rassurant de Bangui pour s'enfoncer vers le nord par la route nationale 1, le décor change radicalement. L'effervescence électorale de la capitale cède la place à une tension sourde, presque palpable dans la latérite rouge qui poudroie au passage des convois. Si la capitale est le théâtre de la politique spectacle, l'arrière-pays demeure celui de la réalité crue du rapport de force. À quinze jours du double scrutin du 28 décembre 2025, la "reconquête" du territoire, tant vantée par le gouvernement de Faustin-Archange Touadéra, subit son véritable test grandeur nature. Contrairement au fiasco de 2020, où la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) avait asphyxié le pays en coupant ses axes vitaux, l'État affiche cette fois une maîtrise apparente de la carte. Mais cette stabilité de façade repose sur une architecture sécuritaire inédite, où la souveraineté nationale semble avoir été sous-traitée à des partenaires aux agendas aussi efficaces qu'opaques.
La sécurisation du vote dans les seize préfectures repose en effet sur un trépied complexe et parfois dissonant : les Forces armées centrafricaines (FACA), la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) et, surtout, les partenaires bilatéraux russes et rwandais. C'est bien la Russie, via ses instructeurs désormais regroupés sous la bannière plus ou moins officielle d'Africa Corps — structure ayant absorbé les restes de la nébuleuse Wagner —, qui donne le la de cette campagne en province. À Bria, à Bambari ou à Kaga-Bandoro, ces hommes en treillis sans insigne sont les véritables maîtres du terrain. Leur présence autour des centres de vote névralgiques et des sites miniers envoie un message clair : le scrutin se tiendra, coûte que coûte. Pour les populations locales, cette tutelle est à double tranchant. Elle garantit une protection contre les prédations des groupes armés résiduels, mais instaure un climat de surveillance où toute dissidence politique peut être interprétée comme une complicité avec l'ennemi.
Le rôle du Rwanda est tout aussi crucial, bien que plus discret médiatiquement. Les soldats de Kigali, réputés pour leur discipline de fer, sécurisent les corridors économiques et les points stratégiques que les forces russes ne couvrent pas. Cette division du travail permet au régime de Bangui de projeter une image d'autorité jusque dans les zones jadis sous la coupe des seigneurs de guerre. Cependant, cette militarisation à outrance de l'espace électoral pose un problème démocratique majeur : l'impossibilité pour l'opposition de mener une véritable campagne hors de la capitale. Comment un candidat comme Anicet-Georges Dologuélé ou Martin Ziguélé peut-il espérer haranguer les foules à N'Délé ou Birao sans s'exposer physiquement, ou sans dépendre du bon vouloir des forces de sécurité qui soutiennent ouvertement le président sortant ? De fait, la campagne en province se résume souvent à un monologue du parti au pouvoir, le MCU, qui, grâce aux moyens de l'État et à la protection des alliés, est le seul à pouvoir sillonner le territoire.
Pourtant, malgré ce déploiement de force, des zones d'ombre persistent. La menace des groupes armés n'a pas disparu ; elle s'est métamorphosée. Affaiblie par les offensives conjointes des FACA et de leurs alliés russes, la CPC a opté pour une stratégie d'évitement et de harcèlement asymétrique. Les incidents se multiplient dans l'Ouham-Fafa et la Haute-Kotto : pose d'engins explosifs improvisés sur les pistes latéritiques, enlèvements ciblés de personnel électoral, incendies de matériel. Ces actions de basse intensité visent moins à empêcher le vote qu'à instiller la peur. Dans les hameaux isolés, loin des garnisons tenues par les Russes ou les Casques bleus, les électeurs se retrouvent pris en étau. Aller voter, c'est risquer d'être identifié par les rebelles comme un collaborateur du régime ; ne pas y aller, c'est s'exposer aux représailles des forces loyalistes qui traquent les sympathisants supposés de la rébellion. Ce dilemme cornélien risque de peser lourdement sur le taux de participation dans les zones rurales.
La logistique du scrutin, dans ce pays grand comme la France et la Belgique réunies mais dépourvu d'infrastructures routières dignes de ce nom, relève du tour de force. Ici, l'ironie de la situation atteint son paroxysme : le gouvernement, qui ne cesse de fustiger l'ingérence onusienne et d'orchestrer des manifestations contre la MINUSCA à Bangui, dépend entièrement de la logistique onusienne pour acheminer les urnes et les bulletins de vote dans l'arrière-pays. Sans les hélicoptères blancs de l'ONU, les élections seraient techniquement impossibles dans plus de la moitié du pays. Cette dépendance structurelle agace au plus haut point les faucons du régime, mais elle reste une réalité incontournable. Les agents de l'Autorité Nationale des Élections (ANE) s'activent dans une course contre la montre pour déployer le matériel avant le 28 décembre, sous escorte armée, transformant chaque livraison de matériel sensible en une opération militaire à haut risque.
À mesure que l'on s'éloigne de Bangui, l'élection présidentielle change de nature. Elle cesse d'être un débat sur le bilan économique ou la réforme constitutionnelle pour devenir un plébiscite sur la sécurité. Pour le paysan de la Ouaka ou le commerçant de l'Oubangui, le bulletin de vote glissé dans l'urne le 28 décembre sera moins un choix idéologique qu'un appel au secours, une demande de pérennisation de cette paix précaire imposée par les armes étrangères. La "Pax Russica" qui règne sur les provinces est une paix froide, une stabilité autoritaire qui a mis sous l'éteignoir les revendications démocratiques au profit d'un ordre martial. Dans ces conditions, les résultats qui remonteront des préfectures risquent de refléter davantage la cartographie des forces militaires en présence que la libre expression de la volonté populaire.
"C'est l'économie, idiot" : Quand le prix du manioc éclipse les rêves de souveraineté
Sur l'étal de Mama Eugénie, au cœur du marché combattant du 8ème arrondissement de Bangui, la politique ne se mesure pas en slogans ou en promesses constitutionnelles, mais au niveau de remplissage de la cuvette de manioc. À quinze jours de l'élection présidentielle, l'humeur des ménagères centrafricaines est au diapason de leur pouvoir d'achat : morose, voire désespérée. Si la capitale s'est parée des affiches électorales vantant l'émergence, la réalité du "panier de la ménagère" raconte une tout autre histoire, celle d'une inflation insidieuse qui grignote les maigres revenus d'une population dont près de 70 % vit encore sous le seuil de pauvreté. Le paradoxe de cette campagne de 2025 réside dans ce fossé grandissant : jamais le discours officiel n'a autant exalté la souveraineté nationale et la richesse du sous-sol, et jamais le citoyen lambda n'a semblé aussi démuni face aux besoins les plus élémentaires.
La question du carburant illustre à elle seule cette schizophrénie nationale. Depuis deux ans, la République centrafricaine vit au rythme des pénuries chroniques et des prix à la pompe qui jouent aux montagnes russes. Malgré les annonces régulières du gouvernement sur la sécurisation des approvisionnements via le corridor Douala-Bangui, l'essence reste une denrée de luxe, se négociant souvent au marché noir — le fameux "kadhafi" — à des tarifs prohibitifs. Cette instabilité énergétique a un effet domino dévastateur sur l'ensemble de l'économie : le coût du transport s'envole, répercutant immédiatement la hausse sur les denrées alimentaires venues de province. Pour le Banguissois moyen, prendre un taxi-moto ou acheter un régime de bananes plantain est devenu un calcul financier quotidien angoissant. Pourtant, ce sujet brûlant est étrangement édulcoré dans les meetings du parti au pouvoir, le MCU, qui préfère axer sa communication sur les grands travaux et la diplomatie de rupture.
Face à cette "vie chère" qui étouffe les foyers, la réponse des candidats de l'opposition peine à convaincre par sa technicité. Les programmes économiques d'Anicet-Georges Dologuélé ou de Martin Ziguélé, bien que chiffrés et orthodoxes, semblent parfois trop abstraits pour un électorat qui vit dans l'urgence absolue du jour au lendemain. Ils dénoncent, à juste titre, l'opacité de la gestion des ressources naturelles — or, diamants, bois — et l'accaparement de pans entiers de l'économie par les nouveaux alliés russes du groupe Wagner (rebaptisé Africa Corps), mais cette rhétorique anti-prédation peine à se traduire en espoir concret de "mieux manger" pour les classes populaires. L'opposition se heurte ici au mur du fatalisme : beaucoup de Centrafricains sont persuadés que, peu importe qui dirige le pays, les richesses du sous-sol ne ruisselleront jamais jusqu'à eux.
Le bilan économique du président sortant, Faustin-Archange Touadéra, est pourtant le véritable talon d'Achille de sa campagne. L'expérience du Sango Coin, cette cryptomonnaie nationale lancée en grande pompe comme outil d'affranchissement financier et de modernisation, a laissé un goût amer. Présentée comme la panacée pour contourner les contraintes du système financier international et attirer les investisseurs, l'initiative n'a eu aucun impact sur l'économie réelle, si ce n'est d'avoir suscité le scepticisme des institutions de Bretton Woods. Le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale, bien que continuant à dialoguer avec Bangui, maintiennent une pression constante pour plus de transparence budgétaire. Le gel de certains appuis budgétaires occidentaux, en réaction aux alliances géopolitiques de Bangui, a asséché les caisses du Trésor, rendant le paiement régulier des salaires des fonctionnaires et des bourses d'étudiants — un baromètre social crucial — de plus en plus acrobatique.
Dans ce contexte de précarité généralisée, la campagne électorale prend une tournure particulière : celle d'une immense opération de redistribution clientéliste. La pauvreté devient, cyniquement, un allié du pouvoir. Dans les quartiers, la distribution de tee-shirts, de quelques billets de banque ou de sacs de riz lors des rassemblements politiques n'est pas vue comme de la corruption, mais comme une aide sociale directe, la seule que l'État semble capable de fournir. Le vote se monnaye, non par conviction idéologique, mais par nécessité de survie immédiate. Les observateurs de la société civile, comme ceux de l'Observatoire Centrafricain pour les Élections et la Démocratie, s'inquiètent de cette "monétisation" du processus électoral qui vide la citoyenneté de sa substance. Comment parler de choix libre et éclairé quand le bulletin de vote est troqué contre de quoi nourrir sa famille pour deux jours ?
L'autre grand absent du débat économique est le secteur privé local. Étouffées par la pression fiscale — l'État cherchant désespérément des recettes domestiques pour compenser la baisse de l'aide extérieure — et par la concurrence déloyale de certains opérateurs étrangers bénéficiant de passe-droits, les PME centrafricaines sont en mode survie. Le climat des affaires, malgré les réformes annoncées, reste l'un des plus difficiles au monde. Les délestages électriques incessants de l'ENERCA (l'entreprise publique d'électricité) obligent les commerces à tourner sur des groupes électrogènes coûteux, réduisant leurs marges à néant. Alors que le président Touadéra promet de faire de la RCA un "hub" technologique et financier, les boulangers de Bangui ne savent pas s'ils auront assez de farine ou d'électricité pour cuire le pain du lendemain.
Ce décalage entre les ambitions macroéconomiques affichées — intégration aux BRICS, partenariats stratégiques avec Moscou ou Kigali — et la misère microéconomique est le point de friction majeur de cette fin de mandat. Le 28 décembre, les Centrafricains iront voter le ventre vide, avec le sentiment amer que leur pays est riche, potentiellement très riche, mais que cette richesse est devenue une malédiction qui attire les convoitises étrangères sans jamais servir le développement endogène. Si la sécurité physique s'est indéniablement améliorée dans certaines zones par rapport au chaos de 2013, la sécurité alimentaire et économique, elle, a reculé. Et c'est sur ce terrain de la précarité que se joue, en sourdine, la légitimité réelle du futur mandat, bien plus que dans les urnes dont le verdict semble déjà écrit.
Le jour d'après : une victoire annoncée et une démocratie au crépuscule
Au matin du 29 décembre 2025, Bangui s'éveillera sans doute avec la "gueule de bois" des lendemains d'ivresse, ou plus probablement avec la fatigue résignée de ceux qui savent que l'histoire bégaye. Si le suspense quant à l'issue du scrutin présidentiel est quasi inexistant, l'incertitude pèse lourdement sur la séquence qui s'ouvrira dès la fermeture des bureaux de vote. Le scénario qui se dessine dans les états-majors politiques comme dans les chancelleries occidentales est celui du fait accompli. Faustin-Archange Touadéra, fort de son appareil d'État et de ses alliés sécuritaires, devrait selon toute vraisemblance revendiquer une victoire dès le premier tour. Cette stratégie du "Coup K.O.", déjà éprouvée en 2020, n'est pas seulement une tactique électorale, c'est une nécessité politique pour le régime : elle vise à couper l'herbe sous le pied d'une opposition qui espérait cristalliser le mécontentement lors d'un hypothétique second tour. En s'imposant d'emblée, le pouvoir envoie un message d'hégémonie totale, cherchant à décourager par avance toute velléité de contestation.
La véritable inconnue réside dans la réaction de la rue et de l'opposition politique. Les leaders comme Anicet-Georges Dologuélé ou Martin Ziguélé se trouveront face à un dilemme cornélien au soir du scrutin. Emprunter la voie légale en déposant des recours devant la Cour Constitutionnelle apparaît à beaucoup comme une impasse. Depuis la réforme constitutionnelle de 2023 et le remaniement de la haute juridiction, cette institution est largement perçue par les opposants comme étant aux ordres du pouvoir exécutif. Sa validation, jugée "rapide et sans nuance", des résultats du référendum a laissé des traces. Dès lors, la tentation de la rue pourrait être forte pour une frange radicalisée de l'opposition et de la société civile. Cependant, la mémoire de la répression et l'omniprésence dissuasive des forces de sécurité, appuyées par les paramilitaires russes, agissent comme un puissant anesthésiant. Le risque n'est sans doute pas celui d'une insurrection massive à Bangui, mais plutôt celui d'un désengagement définitif d'une population qui ne croit plus en la vertu du bulletin de vote.
Sur le plan international, la République centrafricaine s'apprête à entrer dans une zone de turbulences diplomatiques à basse intensité. Les partenaires traditionnels, France et États-Unis en tête, se trouvent dans une position inconfortable. Ils ne pourront sans doute pas valider ce scrutin comme étant "libre, transparent et inclusif" selon les standards internationaux, tant les biais du processus sont flagrants — de l'accès aux médias d'État à la liberté de mouvement des candidats. Pourtant, il est peu probable qu'ils aillent jusqu'à une rupture franche. La realpolitik prévaudra. Dans une région d'Afrique centrale secouée par les coups d'État et l'instabilité (Gabon, Tchad), la continuité, même autoritaire, de Touadéra sera tolérée au nom de la stabilité. Paris et Washington, ayant perdu beaucoup de leur influence au profit de Moscou, opteront probablement pour une condamnation de forme, des appels au dialogue, mais maintiendront les canaux ouverts, actant leur impuissance à infléchir la trajectoire de Bangui.
L'enjeu crucial de cet après-élection sera également la composition de la future Assemblée nationale. Si la présidentielle focalise l'attention, les législatives sont le véritable levier de la consolidation du pouvoir. Le Mouvement Cœurs Unis (MCU) vise une majorité qualifiée pour parachever la transformation institutionnelle du pays. Une Assemblée monocolore permettrait au président de gouverner sans entrave, de faire passer des lois sécuritaires restrictives et de verrouiller l'espace civique pour la décennie à venir. Le risque est de voir émerger un système de parti dominant, voire de parti unique de facto, où l'opposition parlementaire ne servirait que de caution démocratique pour les bailleurs de fonds. La disparition du pluralisme politique, dans un pays aux lignes de fracture communautaires encore vives, serait un facteur de risque majeur à moyen terme, privant la société de soupapes de sécurité institutionnelles.
Au final, ce 28 décembre 2025 marquera moins une élection qu'un couronnement institutionnalisé. En inaugurant ce qui est juridiquement son premier mandat sous la nouvelle Constitution de la 7ème République, Faustin-Archange Touadéra s'ouvre la voie à une présidence au long cours, potentiellement illimitée. Cette perspective place la Centrafrique dans le sillage de ces "démocratures" où les rituels électoraux sont scrupuleusement respectés, mais où l'alternance est devenue une chimère. Pour le citoyen centrafricain, le jour d'après ressemblera étrangement à la veille : une lutte quotidienne pour la survie, sous le regard vigilant de protecteurs étrangers, dans un pays où la paix a été gagnée au prix de la liberté. La démocratie centrafricaine ne meurt pas dans le bruit des armes, mais dans le silence des urnes dont le verdict ne surprend plus personne.