PRESIDENTIELLE ET LEGISLATIVES DU 1 SEPTEMBRE

L’urne et l’or noir

Le 1er septembre 2025, les Guyaniens sont appelés aux urnes pour des élections générales et régionales convoquées par le président Irfaan Ali. Cette date unique clôt un cycle et en ouvre un autre, car le scrutin parlementaire fixe aussi la fonction présidentielle. En Guyana, la présidence n’est pas élue au suffrage direct. Chaque parti dépose une liste nationale et désigne à l’avance son candidat présidentiel. Le candidat de la liste arrivée en tête devient président une fois la répartition des sièges validée. Le système lie étroitement l’exécutif au résultat proportionnel et pousse les coalitions à viser la première place plutôt qu’une majorité absolue.

Le mécanisme électoral combine deux étages de représentation proportionnelle. Sur soixante-cinq sièges à l’Assemblée nationale, vingt-cinq sont alloués dans dix circonscriptions géographiques correspondant aux régions administratives. Quarante sièges supplémentaires sont distribués au niveau national comme correctif dit top-up, afin d’ajuster l’ensemble à la part réelle des suffrages. Les listes sont fermées. Les partis gèrent l’ordre d’attribution des mandats, ce qui renforce le poids de leurs directions. La réforme du début des années 2000 visait à garantir la proportionnalité tout en préservant une gouvernabilité minimale.

L’arbitre technique s’appelle la Guyana Elections Commission, GECOM. Depuis juin, la commission déroule un plan de travail couvrant l’impression des bulletins, la distribution du matériel, la formation des agents, l’accréditation des témoins et la sécurisation de la transmission des résultats. Son directeur vise des tendances consolidées avant la fin de la nuit électorale ou à l’aube. Cela dépendra de la fluidité des opérations, de la robustesse des centres de tabulation et du traitement rapide des contestations.

Un débat juridique s’est invité dans la préparation au sujet du vote des personnes incarcérées. Des commissaires reconnaissent l’absence de mécanisme détaillé dans la loi, tandis que la Constitution protège le droit de vote sauf exceptions précises. La présidente de GECOM a indiqué qu’elle consulterait l’Attorney General pour clarifier le cadre applicable. Sans solution, ces électeurs risquent de rester exclus, révélant la tension entre principes constitutionnels et modalités d’exécution.

Le précédent de 2020 reste omniprésent. Cette année-là, la proclamation avait été retardée des semaines entre annonces contestées, injonctions judiciaires et recomptage national. La Cour d’appel avait tenté d’insérer la notion de votes valides dans l’interprétation constitutionnelle. La Cour caribéenne de justice a annulé cette lecture et réaffirmé que la proclamation devait refléter le décompte officiel. La présidente de GECOM a finalement déclaré les résultats après un recomptage intégral. Ce souvenir alimente aujourd’hui des appels à la transparence totale de la chaîne de tabulation et à une publication rapide des chiffres par bureau.

Les observateurs internationaux constituent un second filet de sécurité. L’Union européenne a déployé des observateurs de long terme dans les dix régions et prévoit une présence renforcée le jour du vote. L’Organisation des États américains a signé l’accord pour envoyer une mission. Le Centre Carter a annoncé son retour pour suivre la campagne, le financement, les médias, l’ouverture des bureaux, le dépouillement et la consolidation. Ces dispositifs n’ont pas de pouvoir contraignant, mais ils documentent et signalent les écarts, ce qui pèse sur les comportements des acteurs.

Autre particularité locale, les membres des forces disciplinées, police et armée, votent de manière anticipée. Leur scrutin se tient quelques jours avant la date nationale du vote. Les urnes restent scellées et ne sont dépouillées que le 1er septembre pour éviter toute influence indue. Cette procédure libère des effectifs pour la sécurité le jour J. GECOM prévoit plus de dix mille votants dans ces corps, répartis dans des centres dédiés à Georgetown et dans plusieurs régions.

La géographie impose enfin des défis logistiques. Fleuves, savanes et forêts éloignent des communautés des centres de vote. Le transport sécurisé des urnes, la connectivité des résultats et la disponibilité d’éclairage ou de groupes électrogènes dans les postes isolés figurent parmi les variables critiques. Les réunions techniques entre GECOM et les partis visent à standardiser l’affichage, le contrôle des scellés, la saisie numérique des procès-verbaux et la publication des agrégats. À trois semaines du vote, la mécanique est lancée. La confiance se gagnera sur pièces, bulletin après bulletin, addition après addition. Dans chaque région, la logistique devra prouver sa fiabilité au même rythme que les chiffres tomberont des bureaux. Ne devra flancher.


Partis, leaders, fractures

Le casting est clair. Côté sortant, le Parti progressiste du peuple et son allié civique présentent le ticket Irfaan Ali et Mark Phillips, reconduit par la direction du parti. Le tandem revendique une livraison d’infrastructures, une accélération de l’habitat, des investissements publics massifs et la stabilisation d’une économie bouleversée par le pétrole. Au fil des rassemblements, Ali promet de porter à deux cent mille dollars par an l’aide par enfant scolarisé et d’accélérer l’accès au logement, tandis que Phillips rameute l’électorat traditionnel des régions côtières. Le message martelé est celui de la continuité et de la compétence administrative, avec l’idée qu’un second mandat permettrait d’arrimer définitivement l’État à la manne pétrolière sans perdre le contrôle des prix.

En face, A Partnership for National Unity a confirmé Aubrey Norton comme candidat présidentiel. Son choix de Juretha Fernandes comme colistière signale une volonté de renouvellement et de reconquête au-delà de la base. Norton promet de “rendre l’honnêteté à la Guyane”, de durcir la lutte contre la corruption et de restaurer l’ordre public. Le récit souligne un coût de la vie jugé étouffant et un développement perçu comme inégal, trop centré sur les axes proches des projets pétroliers. Le pari stratégique d’APNU consiste à coaliser les mécontentements, tout en rassurant l’appareil étatique sur la stabilité d’une alternance.

L’Alliance For Change a, de son côté, décidé de courir seule après l’échec des pourparlers avec APNU. Nigel Hughes porte la bannière et revendique une ligne réformatrice plus tranchée sur la gouvernance de l’or noir, l’éducation et la justice. La formation a dévoilé un plan pour le pétrole et des propositions sociales, dont une allocation annuelle pour les élèves et des lotissements pour les jeunes adultes. Laura George a été désignée candidate au poste de Premier ministre, ajoutant une tonalité autochtone assumée à l’affiche. L’AFC, ancien pivot des coalitions, joue sa survie parlementaire et tente de convaincre qu’une troisième voie peut émerger dans un système qui récompense d’abord la première place.

Le reste du champ s’organise en attelages. Forward Guyana Movement rassemble Forward Guyana d’Amanza Walton-Desir, le People’s Movement de Nigel London et le VPAC représenté par Dorwain Bess. Le bloc promet un contrat avec les citoyens articulé autour de l’intégrité publique, d’une vigoureuse politique anti-corruption et d’un allègement du coût de la vie. Un autre attelage marquant voit A New and United Guyana s’adosser à We Invest in Nationhood mené par l’homme d’affaires Azruddin Mohamed, avec fusion d’outils et adoption du symbole du partenaire. Ces configurations cherchent à dépasser le seuil d’entrée sans gaspiller des suffrages de protestation.

Le fichier électoral révisé dépasse les sept cent cinquante mille noms, chiffre jugé “phénoménal” par certains. Il concentre des enjeux démographiques cruciaux pour les deux grands. Le vote amérindien reste décisif dans les régions intérieures où l’accès à l’eau, à l’électricité, aux routes et aux services de santé déterminera l’humeur des électeurs. Sur la bande côtière, la bataille se joue autant dans les quartiers populaires touchés par l’inflation alimentaire que dans les zones de nouveaux lotissements attirés par les emplois liés aux chantiers publics.

Les thèmes de campagne convergent. Le PPP/C met en avant la livraison d’axes routiers, l’extension du réseau électrique, des milliers de lots d’habitation et des transferts ciblés. APNU insiste sur la cherté de la vie, la dépendance à une économie d’enclave, la qualité des services de base et la sécurité. L’AFC promet une gouvernance du pétrole plus transparente, un partage plus direct des revenus et une refonte de l’école publique. Les nouveaux groupements misent sur la lassitude d’une polarisation ethno-politique qui structure la vie publique depuis des décennies.

Au-delà des slogans, la compétition se joue aussi sur l’organisation. Le PPP/C dispose d’un maillage militant dense et d’une capacité éprouvée à mobiliser dans les régions clés. APNU conserve des bastions solides et tente d’élargir l’alliance sans diluer le leadership de Norton. L’AFC doit bâtir en quelques mois une infrastructure de terrain capable de défendre ses bulletins et de placer des témoins dans les bureaux éloignés. Les plus petites listes s’efforcent de remplir les critères de nomination et de corriger à temps les défauts identifiés par GECOM, afin d’éviter des disqualifications techniques qui ont déjà coûté cher par le passé. La marge d’erreur sera faible.


Pétrole, promesses, facture

Le pétrole structure la campagne comme jamais. En août, la mise en production du quatrième navire de traitement au large du bloc Stabroek a porté la capacité installée du pays à plus de neuf cent mille barils par jour. Cette montée en puissance consacre la bascule d’un petit État côtier vers un producteur majeur et alimente un budget public qui dépasse désormais le trillion de dollars guyanien. Le gouvernement a prévu en 2025 des retraits massifs du Fonds des ressources naturelles pour financer routes, hôpitaux, logements, infrastructures énergétiques et grands chantiers d’irrigation. La thèse du camp sortant est simple : investir vite pour rattraper des décennies de sous-équipement et ancrer l’État providence avant que la rente ne s’érode.

Les critiques ripostent sur deux fronts. D’une part, le coût de la vie reste élevé, avec des hausses marquées sur les denrées et les légumes. Des éditoriaux rappellent que l’inflation ressentie n’a pas disparu dans les marchés et que le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes s’est comprimé malgré les transferts. D’autre part, des promesses de 2020 n’ont pas été tenues, à commencer par la relance complète de l’industrie sucrière. Une seule usine a rouvert et les subventions à GuySuCo se sont empilées sans redresser la productivité, nourrissant un procès en inefficacité.

Face à cela, le PPP/C met en avant un bilan de routes nouvelles, de projets de ponts, d’écoles et d’hôpitaux, des milliers de lots d’habitation et des cash grants ciblés. Le parti promet d’augmenter l’allocation scolaire à deux cent mille dollars par enfant et d’entériner un vaste programme de trente mille maisons sur cinq ans. Il affirme que l’extension du réseau électrique, la mise en service de capacités de génération et la construction d’infrastructures sociales amortiront la cherté de la vie en réduisant les coûts logistiques et en stabilisant l’offre.

APNU répond avec un cadre de “redressement honnête”. La coalition souligne les marges de manœuvre limitées laissées par les contrats pétroliers hérités, mais promet d’en maximiser les bénéfices par un suivi serré des coûts, la traque des abus et l’exigence d’un contenu local plus robuste. Le message cible la gouvernance, la transparence, la sécurité dans les communautés et une meilleure couverture des zones qui se sentent oubliées. Norton fait de la baisse du coût de la vie un axe prioritaire et agite le risque d’une économie d’enclave si la diversification tarde.

L’AFC veut capitaliser sur la fatigue d’une polarisation binaire. Nigel Hughes propose un plan en dix-huit points pour le secteur pétrolier, une distribution plus directe d’une partie des revenus et un accent fort sur l’éducation et la justice. Le parti martèle que la clé réside dans la qualité de l’État régulateur, la publication régulière des données et la surveillance citoyenne des dépenses d’infrastructure. Il ajoute des promesses d’allocations scolaires et de lots pour jeunes adultes, afin de lier gouvernance et dividendes concrets.

Pour les nouveaux groupements, l’argumentaire s’articule autour de l’intégrité et de la vie chère. Le Forward Guyana Movement promet de restaurer des institutions anticorruption et d’appliquer sans délai les engagements régionaux. Le bloc WIN-ANUG mise sur une entrée surprise par la fusion de moyens, un récit entrepreneurial et une présence intense en ligne. Ces listes cherchent à convertir le mécontentement diffus en voix utiles en franchissant les seuils de la proportionnelle.

Reste la question la plus sensible : comment convertir l’or noir en gains durables. Les analystes locaux notent que la croissance hors pétrole doit accélérer, que la productivité agricole et l’industrie légère doivent suivre, et que la pression sur les infrastructures urbaines appelle des décisions rapides. Dans un pays aux distances longues et aux fleuves capricieux, chaque kilomètre de route ou de fibre réduit le prix final des biens. L’électeur jugera moins des promesses que de la trajectoire observable : prix des légumes au marché, délais de raccordement, qualité des services et opportunités de logement. Sur ces métriques, la campagne se livre à un duel de graphiques et de images de chantiers autant qu’à un affrontement idéologique. Au-delà des chiffres, la souveraineté économique reste un fil rouge. La tension avec le Venezuela sur l’Essequibo renforce l’impératif de crédibilité budgétaire, défense des actifs offshore et cohésion nationale, autant de paramètres qui infiltrent les calculs de l’électeur.


Les scénarios du vote

Le 1er septembre mettra à l’épreuve la mécanique et les nerfs. Trois variables domineront la nuit. La première est la vitesse de la tabulation. Si les centres régionaux transmettent sans rupture et si les feuilles sont publiées rapidement, la commission pourra consolider tôt les tendances. Dans ce scénario, l’acceptation des premiers chiffres pèsera autant que l’arithmétique. La seconde variable concerne les zones reculées. Des retards logistiques dans l’hinterland peuvent retarder la clôture et ouvrir un espace aux rumeurs. La troisième tient à la gestion des contestations, plus sensible depuis 2020.

Le duel central opposera la logique d’entraînement du parti arrivé premier à la dispersion des voix de l’opposition. Le système récompense la première place et redistribue ensuite pour coller à la proportion nationale, ce qui rend les coalitions précoces plus payantes que les alliances tardives. Si le PPP/C confirme son avance sur la côte et mobilise dans l’intérieur, la majorité restera à portée. Si APNU élargit au-delà de ses bastions, grappille sur la côte mixte et limite l’écart sur le littoral agricole, le match se resserrera. Dans cette bande, le coût de la vie et la qualité des services de base compteront davantage que les infrastructures lourdes.

L’AFC vise un rôle charnière. Son objectif minimal est de franchir les seuils nécessaires pour retourner au Parlement. Un score plus élevé la placerait au centre de la conversation post-électorale, surtout si l’écart entre les deux grands est réduit. Les nouveaux attelages viseront un ancrage régional et une visibilité nationale suffisante pour survivre au cycle. Ils pourront capter des votes de protestation, mais la mécanique de la proportionnelle favorisera d’abord les listes les mieux installées.

Le vote amérindien sera scruté de près. Les villages qui ont bénéficié de projets d’eau potable, de routes, de panneaux solaires et de nouvelles écoles pourraient reconduire les sortants. Là où ces promesses n’ont pas encore produit d’effets visibles, le ressentiment peut s’exprimer. Le signal des leaders communautaires, très courtisés, aura un effet multiplicateur. Sur la côte, la dynamique dépendra de la sécurité, de la propreté, des transports et de la rapidité des services publics, marqueurs qui pèsent plus que les PDF de programme.

Les forces disciplinées auront déjà glissé leur bulletin quelques jours avant, ce qui réduit l’incertitude opérationnelle le jour J. Le secret du vote doit rester intact jusqu’au dépouillement commun. Un dysfonctionnement de conservation ou une fuite de chiffres créerait du bruit et détournerait l’attention des bureaux ordinaires. Le précédent recommande des scellés stricts et une surveillance croisée par les témoins des partis.

La désinformation restera un risque transversal. Un faux jour férié a déjà circulé en ligne avant d’être démonté. Des montages d’affiches et de fausses listes de bureaux ou d’horaires peuvent désorienter des électeurs. Plus la commission, les partis et les médias locaux publieront vite les informations officielles, moins la rumeur aura d’oxygène. Les observateurs internationaux et domestiques documenteront les incidents et contextualiseront les écarts, ce qui peut rassurer des sympathisants.

Le contentieux est l’autre grille de lecture. Des recours peuvent viser la nomination de candidats, la conformité de bureaux, l’interprétation de la loi ou la tabulation. La jurisprudence de 2020 a établi un cadre pour la proclamation et rappelé le rôle de la Cour caribéenne de justice. Si une partie tente d’introduire des concepts non prévus par la Constitution, la réponse judiciaire devrait être rapide. Inversement, une proclamation ordonnée, une publication des résultats par bureau et une agrégation transparente limiteraient l’espace au litige et raccourciraient le cycle post-électoral.

Enfin, la toile de fond territoriale ne disparaît pas. La procédure devant la Cour internationale de justice sur l’Essequibo progresse et a récemment produit des mesures conservatoires contre des initiatives de Caracas. Cette pression extérieure pousse au sérieux budgétaire, à la sécurité offshore et à une diplomatie de coalition, facteurs qui valorisent la stabilité. Mais elle ne remplace pas le jugement quotidien des électeurs sur les prix, les salaires, les routes et l’accès au logement. Le soir venu, l’équation sera simple. Le pays attend des chiffres clairs, des acteurs disciplinés et une victoire reconnue. C’est le seuil minimal pour tourner la page de 2020 et ouvrir le chapitre suivant sans crispation. Le lendemain, un narratif incontestable vaudra autant qu’un score confortable. Pour tous. Vite