AFRIQUE DU SUD - NECROLOGIE
La longue marche du Mpumalanga : la vie de David Mabuza

Né le 25 août 1960, dans un village du Mpumalanga alors englué dans la lourde chape de l’apartheid, David Mabuza voit le jour dans une Afrique du Sud coupée par les frontières invisibles de la ségrégation, mais animée par la rumeur de lendemains possibles. Il grandit à Phola, près de Witbank, dans une famille modeste, marquée par le travail de la terre et la proximité avec une nature généreuse mais impitoyable. L’enfance de David s’inscrit dans ce quotidien où l’école n’est jamais acquise, où chaque livre emprunté ou chaque leçon reçue prend la valeur d’un acte de résistance silencieuse contre le monde figé que veulent imposer les maîtres blancs. Les récits de lutte, les chants murmurés le soir et la solidarité du village forgent déjà la colonne vertébrale du jeune garçon.
Très tôt, l’école devient pour lui un refuge autant qu’un tremplin. Il s’investit avec ardeur dans ses études, rejoint le lycée KaNgwane, puis s’inscrit à l’université de la branche locale, alors encore marginalisée. Ce parcours n’est pas celui d’une élite privilégiée mais bien d’un jeune Sud-Africain confronté aux pénuries et à la discrimination, qui comprend que la connaissance est la clé pour franchir les murs érigés par l’apartheid. Ces années d’apprentissage sont jalonnées par la montée en puissance du mouvement étudiant, auquel il prend part avec l’intensité de ceux qui n’ont pas grand-chose à perdre mais tout à gagner.
Au sein de la jeunesse du Mpumalanga, David Mabuza s’implique très tôt dans les réseaux de l’ANC clandestin. Son engagement, d’abord discret, prend la forme d’un militantisme concret : réunions secrètes, organisation de comités, diffusion de tracts, aide à la logistique. Les années 1980 sont pour lui une décennie de forges, où il découvre la peur, l’attente, la violence d’État, mais aussi la fraternité dans la lutte et la solidarité sans faille des siens. Il épouse la cause sans esbroufe, préférant l’efficacité à la gesticulation, ce qui lui vaudra plus tard une réputation d’homme de l’ombre, autant respecté que craint.
Lorsque la démocratie s’installe enfin dans l’Afrique du Sud naissante de 1994, David Mabuza prend la mesure de la mutation profonde du pays. Il se lance dans la politique institutionnelle, d’abord à l’échelle locale, comme enseignant puis responsable éducatif, puis comme député à l’assemblée provinciale du Mpumalanga. Très attaché à ses racines, il refuse d’abandonner cette province à laquelle il lie sa trajectoire, convaincu que le changement doit naître des marges et des territoires délaissés. Il devient vite une figure incontournable de la vie politique locale, maniant habilement les codes hérités de l’ancien régime et ceux de la nouvelle Afrique du Sud.
Sa montée en puissance s’effectue par paliers. D’abord membre du Conseil exécutif pour l’éducation, il s’impose comme médiateur dans les conflits sociaux et comme bâtisseur d’une administration encore fragile, tentant de réparer les fractures du passé. Ce rôle de bâtisseur, il le porte avec la conscience aiguë des enjeux, mais aussi des ambiguïtés, naviguant entre les exigences du parti, les intérêts locaux et la nécessité d’une transformation rapide. Au fil des années, il gravit les échelons, jusqu’à devenir Premier du Mpumalanga en 2009, poste qu’il occupe près d’une décennie.
À la tête de la province, il s’efforce de développer l’accès à l’éducation, de moderniser les infrastructures et de porter la voix des laissés-pour-compte. Son action reste toutefois marquée par les tensions internes à l’ANC, les rivalités politiques, les accusations de clientélisme et la gestion difficile de l’héritage minier et agricole du Mpumalanga. À la fois pragmatique et secret, il protège ses réseaux, cultive la loyauté de ses soutiens, tout en veillant à ne pas apparaître trop tôt sur le devant de la scène nationale. Cette prudence n’exclut pas les alliances, parfois contre nature, dans un univers politique où la fidélité se mesure à l’aune des équilibres mouvants.
En parallèle de sa vie publique, la discrétion de David Mabuza dans la sphère privée alimente bien des rumeurs. Il préserve farouchement son intimité, protégeant sa famille des projecteurs. Marié, père de famille, il fuit les mondanités, préférant la compagnie des siens et les retours réguliers dans son village natal. Ce rapport à la terre, au clan, traverse toute sa trajectoire. Il garde un attachement particulier pour les rites ancestraux et la culture locale, dont il se fait parfois l’avocat discret auprès des cercles du pouvoir.
En 2018, à la faveur de recompositions au sommet de l’ANC, il devient vice-président de la République d’Afrique du Sud, poste auquel il accède dans un contexte tendu, marqué par la succession difficile de Jacob Zuma et la montée en puissance de Cyril Ramaphosa. Son élection à la vice-présidence est l’aboutissement d’un long parcours, mais aussi le fruit d’une habileté politique remarquable. Il s’inscrit alors dans la continuité d’un parti miné par les luttes intestines et les scandales, tout en cherchant à donner une cohésion nouvelle à l’exécutif.
Le rôle de vice-président est, pour David Mabuza, l’occasion de peser sur la politique nationale, sans jamais s’exposer outre mesure. Il intervient dans les dossiers délicats de la réconciliation nationale, de la réforme foncière, de la lutte contre la corruption et du développement rural. Sa méthode reste la même : négocier, arbitrer, tisser des réseaux, agir souvent dans la coulisse, là où se prennent les décisions les plus cruciales. Cette posture d’intermédiaire, parfois ambiguë, lui vaut le surnom de "chat à neuf vies", capable de retomber sur ses pattes dans les moments de crise.
La fin de son mandat de vice-président en 2023 ne sonne pas pour autant le crépuscule de sa carrière. David Mabuza demeure un poids lourd de l’ANC, sollicité pour ses conseils, gardant l’oreille des grands comme des petits, jouant un rôle d’équilibriste dans un parti secoué par les recompositions constantes. Il multiplie les médiations, contribue aux négociations internes, tout en maintenant sa présence dans le Mpumalanga, refusant de couper le lien avec la base.
Les dernières années de sa vie voient David Mabuza se faire plus rare, marqué par les épreuves de la maladie. Il garde toutefois un regard acéré sur la politique nationale, intervenant ponctuellement dans les débats cruciaux, mais laissant aux plus jeunes le soin d’incarner le renouveau. Son décès à l'âge de 64 ans le 3 juillet 2025, marque la fin d’une ère pour le Mpumalanga et pour l’ANC, mais aussi la clôture d’un cycle où la transition sud-africaine fut portée par des hommes et des femmes de l’ombre, dont le pragmatisme et la résilience ont permis à un pays de franchir les seuils du possible.
L’histoire retiendra de David Mabuza la fidélité à sa province, la patience dans l’action, le refus des raccourcis faciles, mais aussi les zones d’ombre qui entourèrent parfois son parcours. Il incarna cette génération de bâtisseurs dont la biographie épouse les lignes de fracture et de recomposition d’une Afrique du Sud en quête de cohésion. Loin du tumulte, il laisse derrière lui une empreinte profonde sur sa terre natale et dans la mémoire collective d’un pays qui se cherche encore.