REPUBLIQUE TCHEQUE - ANNIVERSAIRE

Petr Fiala, un universitaire au pouvoir, de Brno aux tempêtes européennes

Né le 1 septembre 1964 à Brno, au cœur de la Moravie alors tchécoslovaque, Petr Fiala grandit dans une société tenue par le parti unique et rythmée par les routines du quotidien. Il célèbre aujourd'hui ses 61 ans.

L’enfance se déroule dans des écoles surveillées et des bibliothèques calmes, sous l’œil discret d’une famille catholique prudente. Le jeune homme se tourne très tôt vers la langue et l’histoire tchèques, non par nostalgie mais par méthode, parce qu’il y cherche les lignes de force des sociétés humaines, leurs continuités et leurs bifurcations. Cette manière d’habiter le temps long deviendra sa signature. Elle l’éloigne des coups de théâtre et le conduit à privilégier l’édifice patient, la réforme progressive, la négociation comme art d’équilibre.

Sa vie privée se construit dans cette même économie de la mesure. À l’université, il rencontre Jana, biologiste. Ils se marient, s’installent à Brno et fondent une famille. Trois enfants naissent et grandissent dans l’équilibre parfois précaire d’un foyer partagé entre l’enseignement, la recherche et, plus tard, la politique. Le couple revendique une normalité volontaire, loin des vitrines du pouvoir. La religion, vécue sans ostentation, donne une cohérence éthique et un goût du devoir. Les loisirs restent simples, tournés vers le sport, la lecture, la montagne l’hiver, quelques musiques. Cette vie domestique, éloignée des excès médiatiques, nourrit une stabilité que l’on retrouvera dans ses choix publics.

Entre 1983 et 1988, Fiala étudie la langue et l’histoire tchèques à l’université de Brno, alors Jan Evangelista Purkyn? avant de redevenir Masaryk. Le diplôme en poche, il travaille comme historien au musée de Krom??íž, apprenant la matérialité des sources, la lenteur des inventaires, la précision des notices. Dans les dernières années du régime, il fréquente des cercles d’étude informels, lit des auteurs bannis, discute philosophie politique et théologie. La Révolution de velours, à l’automne 1989, transforme les étudiants en organisateurs. Fiala contribue à installer la science politique comme discipline universitaire à Brno. Il enseigne, publie, bâtit des revues, recrute des équipes, met en place des règles. L’université, encore en transition, devient l’atelier de sa vie intellectuelle.

La reconnaissance académique vient vite. Il soutient son habilitation à Prague en 1996, est nommé en 2002 premier professeur de science politique de la République tchèque indépendante, puis devient recteur de l’université Masaryk de 2004 à 2011. Ce rectorat n’a rien d’honorifique. Il faut négocier des financements, attirer des talents, internationaliser l’établissement, consolider les standards de qualité. Brno gagne des bâtiments, un campus moderne, des laboratoires, des instituts de recherche arrimés aux programmes européens. La gouvernance se professionnalise. Un système anti-plagiat est instauré, des procédures s’installent, des partenariats se nouent. Le recteur agit comme un architecte du temps long. Cette maîtrise organisationnelle, acquise loin des caméras, servira plus tard au responsable politique.

Le chercheur n’abandonne pas l’écriture. Il publie sur la morphologie des partis, les cultures politiques d’Europe centrale, les conditions sociales de la démocratie, la place des traditions chrétiennes dans l’espace public. On y lit une conviction simple. Les institutions ne valent que par les mœurs civiques qui les soutiennent. Sans responsabilité partagée, sans pluralisme, sans respect des faits, les textes juridiques ne suffisent pas. Cette grammaire des libertés, forgée dans un pays longtemps contraint, prépare son entrée dans la sphère publique. En 2011, il rejoint Prague comme conseiller scientifique du premier ministre. L’année suivante, il devient ministre de l’éducation, de la jeunesse et des sports. L’expérience gouvernementale lui apprend la friction du réel et la hiérarchie des urgences.

L’étape suivante est partisane. À l’automne 2013, Fiala est élu député. La droite civique, l’ODS, affaiblie par des scandales et par la concurrence du mouvement ANO, cherche un profil capable de réparer et de rassembler. En janvier 2014, il prend la présidence du parti. Il hérite d’une organisation blessée, d’un électorat sceptique et d’alliés dispersés. Sa méthode tient en trois verbes. Clarifier les positions européennes et économiques. Rassembler les composantes du centre droit sans perdre l’identité. Proposer des compromis lisibles au pays. Le travail est lent. Il suppose de reconstituer des réseaux locaux, de former des cadres, de réinscrire le parti dans une mémoire qui dépasse les secousses du moment.

La campagne de 2021 oppose un conservatisme libéral et pro-européen au pragmatisme populiste d’Andrej Babiš. Sous la bannière Spolu, coalition de l’ODS, de KDU-?SL et de TOP 09, la droite gagne l’avantage au scrutin d’octobre. En décembre 2021, Petr Fiala devient premier ministre. Il prend ses fonctions à la veille d’un séisme géopolitique. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, recompose l’agenda européen, durcit l’inflation, fait bondir les prix de l’énergie, éprouve ménages et entreprises. La République tchèque préside le Conseil de l’Union européenne au second semestre 2022, accueille à Prague la première réunion de la Communauté politique européenne et travaille à des compromis sur les sanctions, l’accueil des réfugiés, les achats communs d’énergie.

La diplomatie de crise se prolonge par des gestes politiques. En mars 2022, Fiala se rend à Kyiv avec deux homologues d’Europe centrale pour marquer le soutien de la région. Le message est clair. L’agression ne sera pas normalisée. Cette circulation des dirigeants sur un théâtre de guerre relève du symbole, mais elle fixe une ligne. Dans le même esprit, le cabinet défend les sanctions, les livraisons d’armes, le soutien macrofinancier à l’Ukraine et une politique d’asile pour les réfugiés. À Prague, la présidence européenne permet de coordonner des positions, de faire converger des intérêts, d’installer une méthode.

Vient ensuite l’heure des comptes publics. En 2023, l’équipe Fiala présente un paquet de consolidation budgétaire destiné à ralentir la dérive du déficit. La réforme simplifie la TVA autour de deux taux, relève l’impôt sur les sociétés, augmente certaines taxes spécifiques, durcit la fiscalité foncière, réduit des subventions et impose des économies de fonctionnement. La politique énergétique s’accompagne de plafonds tarifaires temporaires pour amortir le choc. Les oppositions dénoncent une cure d’austérité, des manifestations rassemblent des foules hétérogènes, mais la coalition fait adopter l’ensemble. La pédagogie consiste à rappeler que l’austérité n’est pas une doctrine mais une digue, et que la crédibilité d’un État se mesure à la tenue de ses comptes.

À partir de 2024, Prague prend la tête d’une initiative d’achat de munitions auprès de pays tiers afin d’alimenter plus vite l’armée ukrainienne. Le mécanisme agrège des financements alliés et des contrats non européens. Il contourne des goulets industriels, accélère des livraisons et renforce l’interopérabilité des stocks. Pour un pays de taille moyenne, c’est un rôle d’entraînement qui pèse au-delà de ses forces propres. En 2025, les volumes annoncés confirment la place prise par la Tchéquie dans l’écosystème de défense européen et l’utilité d’une diplomatie de projets.

La coalition, pourtant, n’est pas immobile. À l’automne 2024, la décision de se séparer du chef des Pirates au ministère du développement régional précipite la sortie de ce partenaire de l’attelage gouvernemental. Un remaniement suit, la majorité demeure avec les autres composantes et la diplomatie conserve une ligne ferme. L’épisode fournit des arguments à l’opposition, qui dénonce une gouvernance rigide, mais il montre aussi la capacité de l’exécutif à absorber un choc sans vaciller. Le prix payé est une fragmentation accrue de l’espace central et une campagne plus rude à l’approche des législatives suivantes.

Car le temps électoral revient. Les 3 et 4 octobre 2025, la Chambre des députés est renouvelée. Les enquêtes placent l’opposition ANO devant, mais l’arithmétique proportionnelle laisse ouvertes des combinaisons. Fiala expose des axes sobres. Défendre le pouvoir d’achat par la stabilisation des tarifs et le reflux de l’inflation. Continuer la consolidation des comptes pour éviter une crise de dette au prochain cycle. Accélérer la modernisation énergétique et numérique afin de réduire la dépendance extérieure. Maintenir une politique étrangère cohérente, attachée à l’OTAN et à l’Union, en assumant les coûts d’une solidarité de sécurité avec l’Ukraine.

Au-delà des programmes, le style compte. Fiala parle peu et écrit beaucoup. Il préfère les notes et les tableaux aux slogans, les compromis solides aux coups d’éclat. Il n’escamote pas la complexité et sait que la crédibilité d’un responsable se mesure à la tenue des comptes et à la clarté des alliances. Dans une époque saturée d’effets scéniques, cette retenue paraît austère. Elle tranche pourtant avec la personnalisation spectaculaire qui fragilise tant de systèmes. L’homme n’est ni tribun ni showman. Il vient des bibliothèques, des comités, des rectorats. Il gouverne en organisateur attentif plus qu’en metteur en scène.

Reste la personne, inscrite dans une biographie longue. Fiala demeure attaché à Brno, ville laboratoire où il a appris que les institutions sont des œuvres lentes. Sa foi, vécue sans bannière, fonde une éthique de responsabilité, non une politique d’exclusion. Sa carrière universitaire a installé en lui le réflexe de la collégialité et le goût du contrôle par les pairs. Sa pratique du sport dit une discipline du corps qui accompagne la discipline des budgets. De cette combinaison naît une figure de dirigeant sobre, peu flamboyante, mais régulière. Dans un pays ouvert et exposé, cette sobriété vaut stratégie.

Au 1 septembre 2025, jour de ses soixante et un ans, la trajectoire de Petr Fiala reste ouverte. Elle dépendra du verdict d’un électorat bousculé par trois années de chocs et par la recomposition du centre et des marges. Quelle que soit l’issue, le portrait s’impose. Un universitaire devenu chef de gouvernement, tenant d’un conservatisme raisonnable, constructeur d’alliances européennes, arbitre de comptes difficiles, défenseur d’une solidarité de sécurité envers l’Ukraine, partisan d’une modernisation par étapes plutôt que d’un volontarisme spectaculaire. Biographie d’un dirigeant pour temps sévères, qui aura déplacé le centre de gravité du pays vers une responsabilité plus exigeante et une Europe plus concrète.