NORVEGE - LEGISLATIVES DU 8 SEPTEMBRE

Bataille au nord, comptes serrés : l’élection qui peut faire basculer Oslo

Le terrain, les règles, les joueurs

Le scrutin du 8 septembre 2025 renouvellera cent soixante neuf sièges au Storting par une proportionnelle de liste dans dix neuf circonscriptions, complétée par des sièges nationaux de compensation. Ce système corrige les écarts entre voix et mandats et accorde un rôle décisif au seuil de quatre pour cent, nécessaire pour accéder aux mandats correctifs. Concrètement, un petit parti qui franchit la barre convertit quelques dixièmes de pourcentage en plusieurs sièges supplémentaires, tandis qu’un parti qui ne l’atteint pas voit ses voix perdre de la valeur. Le mécanisme est central pour Venstre, KrF et MDG, souvent placés autour de la barre symbolique. Les grands partis, eux, se disputent l’avance au niveau national tout en cultivant les ancrages locaux qui déterminent la distribution initiale des mandats.

Le paysage partisant se lit en deux blocs mais se gagne au centre. Le bloc rodgronn rassemble la social démocratie d’Ap, l’agrarisme de Sp, la gauche de SV, l’écologie urbaine de MDG et la gauche radicale de Rodt. Le camp borgerlig aligne Hoyre, Venstre, KrF et Frp, du conservatisme pro marché au populisme fiscal et sécuritaire. La Norvège choisit rarement des ruptures ; elle privilégie les compromis, les accords de confiance et d’offre et les gouvernements minoritaires capables de négocier projet par projet. Cette culture donne au Parlement un rôle déterminant et pénalise les promesses excessives difficilement finançables.

Au dessus de la compétition partisane, plusieurs constantes encadrent la campagne. La trajectoire de défense adoptée pour la période deux mille vingt cinq à deux mille trente six a réuni une très large majorité, avec une priorité au Grand Nord et à la modernisation capacitaire. L’ancrage européen via l’accord EOS demeure le socle d’Ap, Hoyre, Venstre et KrF ; SV et Rodt, plus critiques, plaident pour des garde fous sociaux et démocratiques sans rompre avec l’ouverture économique. La politique étrangère reste pragmatique et atlantique, avec un accent sur la coopération nordique et la sécurisation des infrastructures.

Le contexte économique donne la tonalité des promesses. La hausse des prix ralentit mais reste sensible pour les ménages, tandis que la banque centrale maintient un taux directeur élevé afin d’asseoir la désinflation. Les crédits coûtent plus cher ; les loyers et l’alimentation pèsent davantage dans le budget ; les entreprises arbitrent entre investissements et coût du capital. De là naissent des réponses lisibles : Hoyre propose des baisses d’impôts pour stimuler l’offre et l’emploi ; Frp avance un paquet clair avec TVA alimentaire diminuée, taxes carburant allégées et plafonnement des factures d’électricité ; Ap défend des allégements ciblés et la stabilité des services publics ; SV et Rodt veulent financer davantage la santé et la transition par une contribution accrue des hauts revenus ; Venstre et MDG articulent signal prix et compensation sociale.

La mécanique des sièges invite à la modestie dans les pronostics. La majorité absolue est à quatre vingt cinq mandats. Dans cette géométrie, un Ap fort peut gouverner en minorité avec un accord programmatique conclu avec SV et, au besoin, un soutien ponctuel de MDG et de Rodt. À droite, une alternance suppose que Hoyre se redresse et que Venstre et KrF passent clairement la barre des quatre pour cent. Si l’un de ces partis reste sous le seuil, les sièges de compensation migrent et affaiblissent la coalition. La présence de partis proches de quatre pour cent transforme ainsi de petits mouvements d’opinion en bascules arithmétiques.

La dimension culturelle de l’élection mérite autant d’attention que l’arithmétique. Les électeurs norvégiens valorisent la compétence tranquille, la prévisibilité et la qualité des services de proximité. La personnalisation existe, mais elle reste encadrée par les partis et par les contraintes du budget. Dans ce cadre, la préférence de Premier ministre est devenue un thermomètre de l’humeur publique. Fin août, plusieurs mesures médiatiques accordaient à Jonas Gahr Store une avance nette sur Erna Solberg et Sylvi Listhaug, un avantage d’image qui ne donne pas de sièges mais pèse dans la mobilisation. Le véritable arbitrage, au fond, oppose deux promesses de protection : rendre maintenant au portefeuille ou investir pour demain, tout en gardant le cap de la transition et de la prudence financière.

Au fond, le scrutin du huit septembre ne tranche pas entre immobilisme et révolution. Il départage des versions concurrentes d’une même volonté de protection. D’un côté, rendre plus vite au portefeuille par des baisses larges et un coût de l’énergie comprimé ; de l’autre, investir davantage dans l’industrie bas carbone, la santé, l’école et les réseaux, en ciblant les aides et en demandant plus aux contribuables les plus aisés. Comme toujours en Norvège, la réponse se jouera à la marge, au siège près, dans un cadre institutionnel qui favorise les compromis et sanctionne la surenchère.

 

Sondages : où en est la course, qui a l’élan

La course des sondages pendant l’été deux mille vingt cinq a montré un électorat mobile mais cohérent. Les agrégations publiées fin août placent Arbeiderpartiet en tête, un Fremskrittspartiet solide autour de la haute tranche adolescente en pourcentage, et un Hoyre en repli. Les petits partis évoluent dans un couloir étroit autour de quatre pour cent, transformant chaque dixième de point en siège potentiel. Cette volatilité apparente cache des mouvements compréhensibles si l’on observe les segments démographiques et les priorités de campagne qui dominent chaque semaine.

Un relief démographique s’impose. Les femmes en âge d’activité penchent davantage vers Ap et SV, tandis que Frp surperforme chez les hommes. Chez les plus de soixante ans, Hoyre conserve un socle respectable, partagé avec Ap. MDG concentre ses forces chez les urbains de moins de quarante cinq ans. L’axe centre périphérie reste déterminante. Ap et Sp prospèrent lorsqu’on parle santé locale, transports routiers et services publics. Hoyre et Frp engrangent lorsque la discussion glisse vers fiscalité, régulation et sécurité. Dans ce paysage, Venstre et KrF cherchent à rester au dessus de quatre pour cent pour convertir leur influence idéologique en poids arithmétique.

Les flux entre partis prolongent ce tableau. Hoyre perd vers l’indécision et vers Venstre, qui séduit une partie des libéraux urbains. Sp regagne un peu d’air en milieu rural mais reste loin de ses sommets. SV demeure stable. Rodt progresse lorsque les loyers, les salaires et l’électricité dominent l’agenda. MDG fait le yoyo au gré des séquences climatiques, des pics de pollution ou des débats sur la voiture en ville. Venstre et KrF dansent autour du seuil, dépendants d’Oslo, Bergen, Stavanger et de la façade sud ouest. Chaque débat télévisé peut déplacer quelques dixièmes et chaque micro évènement local peut renverser un mandat de compensation.

L’économie joue le métronome des intentions de vote. Lorsque l’inflation recule et que les perspectives de taux s’éclaircissent, Ap bénéficie d’un réflexe sécuritaire chez les modérés. Lorsque les prix de l’énergie remontent, Frp en tire profit en promettant des factures plafonnées et des taxes plus légères. Lorsque l’agenda se tourne vers les transports urbains et le climat, MDG et Venstre gagnent quelques dixièmes. Lorsque la fiscalité des fortunes monopolise la conversation, la droite classique et la gauche radicale durcissent chacune leur camp. Les électeurs sanctionnent vite la dissonance : une promesse non financée ou une contradiction programmatique coûte cher en crédibilité.

Les projections en sièges issues des derniers agrégats convergent vers plusieurs combinaisons. La photographie la plus fréquente accorde une avance étroite aux rouges verts, autour de quatre vingt dix mandats, ouvrant la voie à un gouvernement minoritaire conduit par Ap avec un soutien programme de SV et, selon les textes, de MDG. Le bloc de droite tourne autour de soixante dix neuf mandats mais peut monter si Venstre et KrF franchissent clairement le seuil. Dans ce cas, la relation Hoyre Frp devient l’axe cardinal, car leurs électeurs divergent sur la fiscalité et sur l’immigration, tandis que Venstre pousserait à renforcer les objectifs climatiques.

Reste l’impondérable des indécis. À l’approche du vote, une part significative de citoyens n’a pas arrêté son choix. La tradition norvégienne de forte participation, additionnée à des opérations de mobilisation très locales, peut renverser une dynamique mesurée en plein été. Les formations qui gagnent en dernière semaine sont celles qui parlent concret et chiffres, qui clarifient les conséquences budgétaires de leurs promesses et qui évitent les guerres culturelles stériles. Les sondages ne décident pas ; ils suggèrent des trajectoires et des zones de bascule, et c’est la participation qui tranche, souvent au siège près.

 

Le portefeuille, la prise et la prise de risque

Le trépied pouvoir d’achat, fiscalité et énergie structure la campagne de deux mille vingt cinq. Les ménages ont subi deux années de hausse rapide des prix, et même si la désinflation s’amorce, le taux directeur reste élevé, comprimant le crédit immobilier et la consommation. Cette conjoncture place la politique fiscale au premier plan. Hoyre propose de réduire l’imposition du travail et du capital pour ranimer l’investissement et l’offre. Frp avance un paquet lisible, avec TVA alimentaire diminuée, taxes carburant allégées et plafonnement des factures d’électricité. Ap défend des allégements ciblés et la protection des services. SV et Rodt veulent financer davantage la santé, l’école et la transition par une contribution accrue des hauts revenus. Venstre et MDG articulent signal prix et compensation sociale pour accélérer sans fracturer.

La fiscalité de la fortune cristallise un clivage. Ses partisans promettent attractivité, rétention des entrepreneurs et investissement productif. Ses adversaires redoutent une concentration des gains au sommet et un effritement des recettes utiles aux biens communs. Les médias présentent simulations et contre simulations, et chaque camp ajuste ses chiffrages. Sur l’énergie, l’hydro électricité bon marché demeure un atout historique, mais la variabilité des prix européens et les besoins d’interconnexions imposent des arbitrages. Qui finance le renforcement du réseau. Qui protège contre les pics. Qui assume le coût des interconnexions avec les voisins et des projets industriels électro intensifs.

Le climat est moins central qu’en deux mille vingt et un, mais il ne disparaît pas. La décarbonation se joue par l’industrie, l’électrification des transports, l’isolation des bâtiments, l’innovation et parfois la capture et le stockage du carbone. MDG veut durcir les objectifs et conditionner les aides publiques à des résultats vérifiables. SV défend une trajectoire ambitieuse et juste. Ap privilégie la prévisibilité et l’ordre de mise en œuvre. Hoyre mise sur l’innovation et la compétitivité. Frp conteste des coûts jugés excessifs et veut simplifier. Un terrain d’entente existe sur l’efficacité énergétique et sur des mesures de sobriété ciblées.

La trajectoire de défense adoptée pour deux mille vingt cinq à deux mille trente six limite l’espace budgétaire pour le reste. Entre hausses pérennes et investissements lourds, chaque promesse doit être financée. Cela impose une hiérarchie claire : policiers et soignants, écoles et routes, réseaux et numérique, industrie verte et recherche. La question devient alors le tempo. Quelle vitesse pour baisser tel impôt sans casser la désinflation. Quelle cadence pour rénover logements et réseaux énergétiques. Quel rythme pour recruter dans la santé et l’éducation. À ces questions techniques répondent des philosophies politiques distinctes, mais personne n’échappe à la contrainte de soutenabilité financière.

Au total, l’électeur arbitre entre deux promesses de protection. L’une rend maintenant via des baisses larges et un coût de l’énergie comprimé, misant sur l’initiative privée et la compétitivité. L’autre privilégie l’investissement collectif, la qualité des services et une transition accélérée financée par les plus hauts revenus. Dans une économie ouverte et électro intensive, contrainte par les prix européens et par la géopolitique, ces options convergent sur une idée simple : l’État restera présent, mais il devra choisir un tempo et assumer des priorités explicites, ce qui donnera sa couleur au prochain mandat.

 

Quatre issues, un même pays

À l’approche du scrutin, quatre scénarios se dessinent. Premier scénario, la reconduction de Jonas Gahr Store. Arbeiderpartiet arrive en tête, SV et MDG franchissent quatre pour cent, et Rodt reste utile sans entrer au gouvernement. La majorité arithmétique se situe autour de quatre vingt cinq à quatre vingt dix sièges pour les rouges verts. Ap gouverne en minorité avec un accord programme, sécurise des votes budgétaires et conduit une transition énergétique ordonnée, sans toucher à l’accord EOS ni rompre avec les équilibres européens. Le compromis se fait sur la cadence fiscale et sur la priorisation des investissements, avec une attention particulière à la santé et à l’école.

Deuxième scénario, l’alternance Hoyre Frp, à condition que Venstre et KrF franchissent quatre pour cent. Le contrat porterait sur baisse d’impôts, sécurité et une transition plus pro marché. La relation entre l’écologie libérale de Venstre et la ligne bas coûts de Frp imposerait des compromis sur l’énergie, les transports et la fiscalité des patrimoines. Hoyre chercherait à récupérer un leadership économique et européen tout en donnant des gages d’ordre public et de contrôle migratoire. Frp deviendrait le moteur des baisses de taxes et des gestes symboliques sur l’automobilité et le prix de l’électricité, ce qui définirait le ton du mandat.

Troisième scénario, un Parlement suspendu aux partis seuil. Si MDG, Venstre ou KrF restent sous quatre pour cent, la distribution des mandats de compensation rend une majorité stable improbable. Un gouvernement minoritaire, à gauche ou à droite, négocierait projet par projet, comme la tradition parlementaire norvégienne le permet. Ce format prête toutefois le flanc à l’impatience administrative et à la volatilité des compromis, notamment sur budget, énergie et Europe, et renforce l’influence des petites formations sur des dossiers totems.

Quatrième scénario, un compromis centriste entre Ap et Hoyre si la carte se bloque. Politiquement peu probable, ce pacte serait présenté comme un pont conjoncturel autour de la stabilité budgétaire, de l’investissement productif et de la prévisibilité réglementaire, le temps d’achever l’atterrissage post inflation et de sécuriser l’effort de défense. Les partis de flanc gauche et de flanc droit y verraient une trahison de mandats, mais une partie de l’opinion pourrait privilégier l’apaisement si aucune coalition ne franchit clairement la barre.

Ces scénarios dépendent d’un petit nombre de variables. La participation dans les grandes villes, la mobilisation des modérés et la bascule de quelques milliers de voix autour de quatre pour cent peuvent faire chavirer les derniers sièges. Il faudra aussi observer la préférence de Premier ministre. Si l’avance de Store se maintient, elle renforce le récit d’une gestion prudente. Si Solberg rebondit, Hoyre récupère de l’oxygène. Si Listhaug perce, Frp devient le pivot des arbitrages. Enfin, l’économie tranchera : si les taux baissent et que l’inflation recule franchement, la prime à la stabilité profite au pouvoir en place ; si la facture énergétique et les prix repartent, l’alternance gagne en crédibilité. Quoi qu’il arrive, le modèle norvégien survivra à l’alternance ; la question reste le dosage entre restituer, investir et épargner, et la cadence à laquelle ce dosage sera ajusté.