IRAN - ANNIVERSAIRE
Masoud Pezeshkian un destin façonné par la médecine et la politique

Masoud Pezeshkian est né le 29 septembre 1954 à Mahabad, une ville du nord-ouest de l’Iran, au cœur de la province de l’Azerbaïdjan occidental. Il fête aujourd'hui ses 71 ans.
Cette région, riche d’une mosaïque ethnique et culturelle, oscillait déjà entre tensions politiques et aspirations à une modernité contrariée. Dans cette terre frontalière, marquée par la diversité kurde et azérie, il grandit dans un environnement où la politique et les questions identitaires étaient omniprésentes. Sa jeunesse fut cependant façonnée avant tout par les réalités sociales d’un pays en pleine mutation, entre tradition rurale et accélération urbaine, entre autorité monarchique et effervescence contestataire.
Issu d’une famille modeste, il s’imprégna très tôt des valeurs de travail, d’étude et de persévérance. Son parcours scolaire le mena vers les sciences, domaine où il montra rapidement des aptitudes remarquables. Cette orientation allait l’entraîner vers la médecine, discipline exigeante et respectée dans l’Iran de la fin du règne du Shah. Pezeshkian choisit la chirurgie cardiaque, une spécialité qui, à la fois par sa technicité et par son rôle vital, traduisait son ambition de servir et de sauver.
Ses études médicales se déroulèrent dans un climat politique tourmenté. Les années 1970 furent celles des grandes secousses qui précipitèrent la chute de la monarchie et l’avènement de la République islamique en 1979. Comme beaucoup de jeunes de sa génération, il assista à l’effondrement d’un monde ancien et à la mise en place d’un nouvel ordre social et politique. S’il resta avant tout médecin, sa conscience des bouleversements politiques allait l’accompagner tout au long de sa vie.
Dans les années 1980, alors que l’Iran affrontait la guerre contre l’Irak, Pezeshkian exerça son métier dans un contexte d’urgence et de drames humains. Le conflit fit des centaines de milliers de morts et transforma les hôpitaux en lieux de survie plus que de soin ordinaire. La médecine de guerre, les amputations, les opérations sous contrainte de temps et de moyens, forgèrent chez lui une expérience humaine profonde et un regard lucide sur la fragilité des existences. Il vit de près la détresse des familles, l’épuisement des équipes médicales, et il acquit la conviction que le rôle d’un médecin dépassait les murs de l’hôpital : il touchait au destin collectif d’un peuple.
Au-delà de sa carrière hospitalière, il fut aussi professeur à l’Université des sciences médicales de Tabriz. Ce rôle d’enseignant et de formateur le plaça au cœur de la transmission des savoirs et dans une position d’influence auprès des nouvelles générations de médecins. À travers son enseignement, il entendait non seulement former des chirurgiens compétents mais aussi inculquer une éthique de service public. Ses cours insistaient sur la rigueur scientifique, mais aussi sur l’importance d’une médecine accessible à tous, y compris dans les régions reculées du pays.
Sa carrière prit une inflexion politique au tournant des années 2000. En 2001, sous la présidence réformatrice de Mohammad Khatami, Masoud Pezeshkian fut nommé ministre de la Santé. Son mandat, qui dura jusqu’en 2005, fut marqué par une volonté d’améliorer l’accès aux soins et de moderniser un système de santé encore fragile. Il s’efforça de renforcer la couverture médicale dans les campagnes, d’accroître le nombre de médecins formés et de rationaliser la gestion des hôpitaux. Mais il dut composer avec les contraintes budgétaires, les résistances bureaucratiques et la mainmise croissante des conservateurs sur l’appareil d’État. Néanmoins, il s’attacha à défendre la dimension sociale de la médecine, insistant sur l’équité et sur l’importance d’un service de santé universel dans un pays aux disparités régionales fortes.
À l’issue de son passage au gouvernement, il ne disparut pas de la scène publique. En 2006, il fut élu député de Tabriz, capitale de l’Azerbaïdjan oriental et grande ville du nord-ouest iranien. Ce mandat le plaça au cœur des débats parlementaires, à une époque où l’Iran se raidissait sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad. Pezeshkian s’imposa comme une voix critique, refusant de céder au ton belliqueux ou aux orientations idéologiques rigides. Sa stature de médecin et son origine azérie renforçaient son image d’homme de terrain, proche de la population et de ses préoccupations concrètes.
À partir de là, son engagement politique suivit un fil constant : celui de la modération et du pragmatisme. Sans être un opposant radical, il se positionna dans le camp réformateur, plaidant pour des évolutions sociales, une ouverture politique et un respect accru des droits des citoyens. Sa parole trouvait un écho particulier dans les provinces, où l’aspiration à une représentation plus équitable et à une meilleure prise en compte des minorités ethniques demeurait forte. Pour lui, le pluralisme ethnique de l’Iran n’était pas une menace mais une richesse qui devait être reconnue et intégrée.
Son parcours personnel fut marqué par un drame intime. Sa femme et l’un de ses enfants périrent dans un accident de voiture dans les années 1990, laissant une empreinte indélébile dans sa vie privée. Ce deuil pesa sur son caractère, le rendant plus austère mais aussi plus résilient. Père de trois autres enfants, il poursuivit sa route en conciliant responsabilités familiales et engagement public. Ses proches décrivent un homme réservé, marqué par la douleur, mais habité d’un sens profond du devoir et d’une volonté de servir malgré les épreuves.
Au Parlement, il fut plusieurs fois vice-président de l’Assemblée consultative islamique. Cette fonction lui permit de peser davantage sur les décisions et d’apparaître comme une figure institutionnelle incontournable. Ses prises de position étaient marquées par un ton mesuré, cherchant à bâtir des ponts entre les factions opposées dans un système politique profondément polarisé entre conservateurs et réformateurs. Son rôle ne se limitait pas à défendre une ligne idéologique : il cherchait aussi à apaiser les tensions, à trouver des compromis, à maintenir un minimum de cohésion dans une société fragmentée.
À plusieurs reprises, il tenta de briguer la présidence. Sa candidature en 2013 n’aboutit pas, le Conseil des gardiens ayant rejeté son dossier. Mais il persista, convaincu qu’un médecin pouvait aussi être un homme d’État et que son expérience au service des malades pouvait se transposer au service d’une nation. En 2021, il envisagea de nouveau de se présenter mais dut renoncer face aux blocages institutionnels. Ces échecs répétés nourrirent chez lui une détermination accrue et consolidèrent son image d’homme intègre, persévérant malgré les obstacles.
C’est en 2024 que son destin prit un tournant décisif. À la suite de la mort d’Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère, une élection présidentielle anticipée fut organisée. Masoud Pezeshkian se lança dans la campagne et réussit à obtenir l’aval du Conseil des gardiens, étape souvent infranchissable pour les réformateurs. Sa candidature bénéficia d’un soutien populaire croissant, porté par l’image d’un homme intègre, étranger aux affaires de corruption et sensible aux réalités sociales. Face à des adversaires conservateurs divisés, il incarna l’espoir d’un rééquilibrage politique. Dans un pays marqué par les manifestations de 2022, par une jeunesse frustrée et par l’isolement international, il offrit une alternative crédible.
Son discours se concentra sur la justice sociale, l’amélioration des conditions de vie, la réduction des inégalités régionales et l’ouverture diplomatique. Médecin de formation, il mit en avant le besoin de traiter la société iranienne comme un corps malade qu’il fallait soigner avec patience, méthode et humanité. Sa campagne, menée avec sobriété, contrastait avec les outrances rhétoriques habituelles. Cette différence contribua à séduire une partie de l’électorat lassé par les blocages et les crises. Il sut aussi capter l’attention des minorités ethniques, notamment azéries et kurdes, en insistant sur la reconnaissance et l’inclusion.
L’élection de 2024 fut un moment de bascule. Masoud Pezeshkian, soutenu par les réformateurs et par des segments modérés de la société civile, fut élu président de la République islamique d’Iran. Sa victoire, obtenue dans un climat de défiance envers les institutions, marquait le retour d’un discours plus conciliant et pragmatique. Pour de nombreux Iraniens, elle représentait un souffle d’espoir dans un contexte marqué par la répression des manifestations, les sanctions internationales et une économie en difficulté. Son élection, saluée par une partie de la communauté internationale, fut perçue comme l’occasion d’un possible réajustement stratégique de la République islamique.
En accédant à la magistrature suprême, il se trouva confronté aux limites structurelles du pouvoir présidentiel en Iran, encadré par l’autorité du Guide suprême et par les forces conservatrices. Ses premières initiatives mirent l’accent sur des réformes économiques, la lutte contre la corruption et une diplomatie plus ouverte, cherchant à renouer avec l’Occident sans rompre avec les alliances régionales. Mais il découvrit vite la difficulté de manœuvrer dans un système verrouillé où les marges de liberté présidentielle restaient étroites. Sa volonté de relancer l’accord nucléaire avec les grandes puissances, par exemple, se heurta à la méfiance des institutions et à la complexité des rapports internationaux.
L’histoire de Masoud Pezeshkian illustre le parcours d’un homme parti de la chirurgie cardiaque pour tenter de guérir les fractures d’une société entière. Sa trajectoire, traversée par les drames intimes et par les défis collectifs, témoigne d’une volonté de concilier la rigueur scientifique et l’exigence politique. En médecin devenu président, il incarne l’idée que la médecine et la politique partagent un même horizon : celui de préserver la vie et de soulager les souffrances. Ses opposants critiquent son manque de charisme ou sa trop grande prudence, mais ses partisans voient en lui une figure rare de sincérité et de persévérance.
Au-delà des circonstances électorales, son parcours raconte celui d’une génération d’Iraniens qui, formés dans la tourmente des années 1970 et éprouvés par la guerre, cherchent encore aujourd’hui à bâtir un avenir de stabilité et de justice. Son mandat, commencé dans un contexte difficile, se déroule sous le signe de l’incertitude, mais aussi de l’espoir fragile que l’Iran puisse trouver une voie médiane entre conservatisme rigide et modernisation autoritaire. Son destin reste en suspens, comme celui de la République islamique elle-même, tiraillée entre ses contradictions et les aspirations de son peuple.