GUINEE - REFERENDUM DU 21 SEPTEMBRE

La bataille de la Constitution

Un calendrier serré pour un rendez?vous avec l’histoire

La transition guinéenne est entrée dans une phase décisive avec la convocation d’un référendum constitutionnel le 21 septembre 2025. Le calendrier fixé par le chef de la junte, Mamadi Doumbouya, et publié au Journal officiel de la RTG prévoit que la campagne débute le 31 août à minuit et s’achève le 18 septembre. Dans ce décret, lu à la télévision, le président de la transition invite les ministères chargés de l’administration du territoire, des affaires étrangères, de la justice, de l’information et de la sécurité à mettre en œuvre les dispositions nécessaires et rappelle que les manifestations doivent se dérouler dans le respect de l’ordre public. La Haute Autorité de la communication est chargée de veiller à l’égalité des opinions dans les médias publics et privés pendant la campagne, une responsabilité importante dans un pays où la liberté de la presse connaît des tensions. La campagne électorale ressemble donc à une course contre la montre où chaque jour compte.

Cette consultation populaire s’inscrit dans une histoire guinéenne marquée par des référendums successifs. La Guinée a voté pour la rupture avec la France dès 1958, adoptant ainsi l’indépendance. La Constitution de 1990, rédigée sous Lansana Conté, a ouvert la voie au multipartisme, mais elle fut ensuite modifiée lors du référendum de 2001 pour permettre au même Conté de briguer un troisième mandat. L’historique opposant Alpha Condé se prêtera au même exercice en 2020 pour contourner la limitation des mandats, déclenchant des manifestations meurtrières. Au fil des décennies, chaque dirigeant a façonné la loi fondamentale à sa mesure. Mamadi Doumbouya, arrivé au pouvoir par un coup d’État en septembre 2021, présente aujourd’hui une nouvelle Constitution comme le socle d’un retour à l’ordre, mais certains y voient une répétition de ce cycle.

Le Premier ministre Amadou Oury Bah a déclaré que l’année 2025 marquerait la fin de la transition et a justifié la dotation en véhicules aux sous?préfets comme un moyen de rapprocher l’État des citoyens.

La DGE a mis en garde contre la fraude, le CNOSCG a exhorté les citoyens à retirer leurs cartes et la HAC a suspendu la radio Sabari FM et sa web TV.

La loi L012 stipule que le projet est adopté si le « oui » obtient la majorité absolue, fixe un délai de trois jours pour l’annonce des résultats provisoires et permet à la Cour suprême d’annuler le vote en cas d’irrégularités graves.

La période de transition n’est pas exempte de controverses. Les principales formations politiques d’opposition, notamment l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), ont été suspendues par le gouvernement, laissant le camp du « Oui » en roue libre. Le ministre de l’Administration du territoire a promis un scrutin sécurisé et a mis en garde les « fauteurs de trouble », annonçant la mobilisation des forces de sécurité pour maintenir l’ordre. Il a qualifié le référendum de « moment historique » et a assuré que le gouvernement veillera à la neutralité des forces engagées. Ces déclarations contrastent avec les suspensions de médias et la restriction des partis, une contradiction qui nourrit les soupçons d’un processus verrouillé.

Après deux années de transition, la Guinée s’apprête donc à soumettre sa nouvelle loi fondamentale à l’approbation du peuple. Cette phase s’accompagne d’une logistique lourde, d’un encadrement juridique précis et d’un héritage politique complexe. Entre l’aspiration au retour à l’ordre constitutionnel et la crainte d’une énième constitution taillée pour durer, le référendum du 21 septembre 2025 sera un test majeur pour l’histoire guinéenne, un rendez?vous avec elle?même, où chaque vote comptera et où le respect de la loi électorale sera scruté.

Les observateurs internationaux suivront ce scrutin avec attention pour la stabilité.

 

Les innovations et promesses de la nouvelle Constitution

Les promoteurs du « Oui » présentent la nouvelle Constitution comme un texte doté d’innovations destinées à moderniser la Guinée et à répondre aux aspirations des citoyens. Le projet soumis par le Conseil national de la transition (CNT) indique que 66 % des 205 articles portent sur les droits et libertés. Parmi les innovations phares, la constitution reconnaît un droit universel de candidature à des fonctions électives, y compris pour les femmes, et crée un Sénat représentant les collectivités locales et la diaspora. Le texte prévoit une assurance maladie universelle gratuite et rend l’école obligatoire et gratuite pour les enfants de cinq à dix-sept ans. Il impose qu’au moins 30 % des postes soient réservés aux femmes, reconnaît les droits des personnes handicapées et protège les langues nationales comme patrimoine. Une commission nationale de développement durable et un Conseil national de l’économie et du progrès social donneront aux citoyens un droit de pétition. Ces mesures sont perçues par certains observateurs comme des progrès vers l’inclusion et la justice sociale.

Les promoteurs parcourent le pays pour expliquer ces innovations. Des ministres rappellent aux populations les innovations et incitent les citoyens à retirer leurs cartes; ils expliquent que la case verte signifie « oui » lors du vote. À Paris comme dans plusieurs villes, des meetings et des carnavals organisés par la diaspora et des mouvements comme « SOGUÉ NÈNÈ » attirent des milliers de participants et vantent la gratuité de l’école et la création du Sénat; à Boké, un cortège festif a sillonné les rues avec des pancartes affirmant « Boké au cœur du renouveau, OUI à la nouvelle constitution ». Le Premier ministre Amadou Oury Bah distribue des pins « OUI » et affirme que le référendum aidera à « rebâtir le pays ».

La campagne s’appuie aussi sur des appuis institutionnels. Une déclaration cosignée par plusieurs anciens Premiers ministres affirme que le texte propose des avancées institutionnelles et économiques et invite à voter massivement « Oui ». Des partis comme l’Alliance pour la République (APR) estiment que l’adoption de la Constitution redéfinira les bases des institutions et appellent les électeurs à se mobiliser tout en demandant un assainissement du fichier électoral. Juristes et leaders islamiques réfutent l’idée que le vote serait anti-religieux et encouragent les croyants à participer au bien commun.

La création d’un Sénat, perçue comme un moyen d’associer la diaspora et les collectivités au pouvoir central, est présentée comme une innovation majeure. Certains militants soulignent que cette chambre pourrait équilibrer l’Assemblée nationale en représentant les territoires et en offrant un espace de délibération plus consensuel. Cependant, d’autres y voient une institution coûteuse qui pourrait reproduire des pratiques clientélistes. L’assurance maladie universelle est saluée comme un progrès, mais des économistes se demandent si l’État pourra la financer sans alourdir la pression fiscale. La gratuité de l’école obligatoire est perçue par les familles rurales comme une chance d’émancipation, mais des enseignants rappellent que son extension nécessite la construction d’écoles et la formation d’instituteurs. Les quotas de 30 % pour les femmes sont encouragés par les féministes, mais certains responsables locaux redoutent que ces candidatures soient symboliques.

Cette mise en avant de la modernisation vise à convaincre une population méfiante après des décennies d’instabilité et de manipulations constitutionnelles. Les partisans du « Oui » affirment que la nouvelle Constitution garantira la stabilité grâce à une clause qui interdit toute révision avant trente ans. Ils assurent que les droits sociaux, la participation des femmes et la reconnaissance des langues locales transformeront le quotidien. Les adversaires craignent que ces promesses ne masquent un renforcement du pouvoir exécutif. Quoi qu’il en soit, la campagne présente une vision d’une Guinée inclusive et moderne et tente de mobiliser une population habituée à la méfiance. Pour certains, ces innovations offrent un espoir d’émancipation; d’autres restent sceptiques après des décennies de promesses non tenues. Les enjeux sont considérables.

 

Face au « Oui », la contestation : non, boycott et muselage

La dynamique du référendum n’est pas seulement portée par le « Oui » ; elle est aussi contestée. Les Forces vives de Guinée (FVG) ont appelé dès le 10 août à des manifestations à partir du 5 septembre et accusent le général Mamadi Doumbouya de vouloir se prolonger au pouvoir. Elles évoquent les violations des droits humains depuis le putsch de 2021 – assassinats, disparitions, tortures – et rappellent que la Charte de la transition et la Charte africaine des droits de l’homme interdisent aux putschistes de se présenter. Le mouvement qualifie la consultation de « forfaiture » et appelle à la résistance.

Le Bloc libéral, formation d’opposition, appelle à voter « Non » plutôt qu’à boycotter. Ses dirigeants jugent que la nouvelle Constitution concentre excessivement les pouvoirs dans les mains du président, réduit les prérogatives du Premier ministre et prévoit un mandat de sept ans renouvelable une fois. Ils dénoncent la création d’un Sénat délibérant à huis clos et l’absence de mécanismes transparents de déclaration de patrimoine. La Guinée a déjà changé six fois de Constitution en soixante-sept ans et, selon eux, le problème réside dans l’intégrité des dirigeants, pas dans les textes. Voter « Non » permettrait d’exprimer une opposition claire sans donner de « chèque en blanc » à la junte.

Aboubacar Biro Soumah, président du Parti pour le progrès et le changement (PPC), partage ces réserves. Il estime que l’allongement du mandat présidentiel, la multiplication des institutions et la concentration des pouvoirs compromettent l’équilibre politique. Soumah juge irréaliste la promesse de gratuité de l’enseignement et dénonce les modifications apportées à la loi sur la liberté de la presse. Tout en saluant le retour à l’ordre constitutionnel, il appelle les électeurs à rejeter le projet pour négocier un texte plus équilibré.

L’environnement médiatique et politique renforce la méfiance des opposants. La Haute Autorité de la communication (HAC) a suspendu la radio Sabari FM et sa web TV pour 45 jours, reprochant à ces médias d’avoir diffusé une émission animée par un journaliste sanctionné. La HAC invoque les articles 39 et 40 de la loi de 2010 sur la liberté de la presse, mais des organisations de journalistes y voient une volonté de museler les critiques. De plus, plusieurs partis d’opposition, dont l’UFDG et le RPG, ont été suspendus par le gouvernement, fragilisant la représentation du « Non ».

Sur le terrain, la contestation prend des formes diverses. Dans certains quartiers de Conakry et sur les réseaux sociaux, des militants appellent au boycott du référendum, affirmant que la junte confisque la souveraineté. La diaspora organise des rassemblements en Europe et aux États-Unis pour dénoncer un texte jugé « taillé sur mesure » et rappeler que la Constitution de 1990 fixait des mandats de cinq ans. Certaines manifestations ont été dispersées par la police, attisant la colère des jeunes et renforçant la thèse d’un processus autoritaire. Les partisans du boycott espèrent qu’une abstention massive délégitimera la consultation et contraindra les autorités à négocier.

D’autres acteurs, conscients que l’abstention pourrait être interprétée comme de l’indifférence, prônent un vote « Non ». Ils estiment qu’un bulletin négatif exprime clairement leur opposition. Ce débat entre boycott et participation illustre les dilemmes d’une opposition divisée : faut-il refuser de jouer un jeu jugé biaisé ou utiliser l’urne pour faire entendre sa voix ? Le gouvernement, de son côté, promet un scrutin sécurisé. Le ministre de l’Administration du territoire annonce la mobilisation des forces de sécurité et la sanction des fauteurs de trouble tout en garantissant l’équité du vote. L’absence de grands partis et la répression des médias pourraient toutefois entacher la légitimité du résultat final. Pour les quelque six millions sept cent mille électeurs inscrits, participer ou non à ce référendum sera un acte politique aux conséquences durables.

Cette campagne parallèle révèle la crise de confiance entre la junte et une partie de la population et augure une confrontation.

 

Enjeux et incertitudes : le jour J se profile

Au-delà de l’affrontement entre partisans et détracteurs, le référendum du 21 septembre 2025 pose des questions fondamentales sur l’avenir de la Guinée. L’enjeu principal est de savoir si la nouvelle Constitution apportera un retour à l’ordre ou consacrera une confiscation du pouvoir. Le calendrier prévoyant la tenue de ce scrutin, puis des élections présidentielle et législatives dans la même année, constitue un pari sur la capacité du régime à organiser trois scrutins dans un contexte tendu. Le Premier ministre Bah Oury l’a rappelé en mars 2025 : « l’année 2025 sera déterminante pour le retour effectif à l’ordre constitutionnel ». Ce calendrier exige une mobilisation logistique et financière considérable et suscite des interrogations quant à la capacité de l’administration à gérer un fichier électoral fiable.

Sur le plan institutionnel, les innovations présentées comme progressistes peuvent transformer la société guinéenne. La reconnaissance des langues nationales, la création d’un Sénat et la mise en place d’un tribunal spécial pour juger les gouvernants pourraient renforcer l’État de droit et la représentativité. L’assurance maladie universelle et l’obligation scolaire élargie pourraient réduire les inégalités d’accès à la santé et à l’éducation, tandis que les quotas de femmes et la protection des personnes handicapées signalent une volonté d’inclusion. La clause de stabilité interdisant la révision de la Constitution pendant trente ans pourrait apporter une pérennité normative, mais elle inquiète les opposants qui y voient un verrouillage du système.

La question de la concentration du pouvoir reste le point le plus controversé. Le mandat de sept ans renouvelable une fois, l’élection au suffrage universel du président et la possibilité pour la junte de se présenter aux élections divisent la société. Les partis d’opposition dénoncent un exécutif hypertrophié, et certains juristes estiment que la création du Sénat et d’autres institutions risque de complexifier l’architecture institutionnelle sans garantir l’équilibre des pouvoirs. Par ailleurs, la présence d’un droit de pétition et l’accès direct à la Cour constitutionnelle, prévus dans le projet, pourraient offrir de nouveaux outils de contrôle citoyen. Ces mécanismes seront-ils suffisants pour compenser la concentration du pouvoir dans les mains du président ? La question reste ouverte.

L’environnement sécuritaire influence également la perception du scrutin. Les déclarations du gouvernement promettant de mobiliser les forces de sécurité rappellent la menace d’un dérapage. La suspension des médias et des partis accroît la pression sur un vote dont la crédibilité dépendra autant de son déroulement que de la perception des Guinéens. L’Alliance pour la République (APR) et d’autres formations favorables au texte réclament l’assainissement du fichier électoral, un point crucial pour éviter les contestations post-scrutin.

Enfin, le référendum s’inscrit dans une histoire longue de manipulations constitutionnelles. Chaque dirigeant a cherché à tailler une Constitution sur mesure pour prolonger son pouvoir. L’indépendance de 1958, la constitution de 1990, les référendums de 2001 et de 2020 et le coup d’État de 2021 forment une chaîne où les espoirs démocratiques se mêlent aux ambitions personnelles. Cette fois, les promoteurs du texte affirment vouloir consolider l’État et moderniser la société. Les citoyens devront trancher entre cette ambition et leur scepticisme nourri par l’expérience.

À l’approche du 21 septembre, la Guinée retient son souffle. Les bureaux de vote seront surveillés par des observateurs nationaux et internationaux, la société civile mobilise pour encourager la participation. Que le « Oui » l’emporte ou que le « Non » crée la surprise, le lendemain du référendum exigera un travail de réconciliation. En cas d’adoption, il faudra la mettre en œuvre ; en cas de rejet, les autorités devront revoir leur copie. Ce choix crucial déterminera l’architecture juridique du pays et la manière dont les Guinéens envisagent leur avenir commun. L’histoire et les incertitudes se télescopent à la veille du vote, et le verdict des urnes promet d’être un moment de vérité. Le monde aura les yeux tournés vers Conakry. La tension est palpable.