BOLIVIE - ANNIVERSAIRE

Luis Arce, l’architecte du miracle bolivien

Luis Alberto Arce Catacora naquit le 28 septembre 1963 à La Paz, au cœur de la Bolivie, dans un pays traversé par les secousses politiques et les fractures sociales. Il fête aujourd'hui ses 62 ans.

Cette date le place au sein d’une génération marquée par les coups d’État militaires, les contestations populaires et les difficultés économiques récurrentes. Son enfance se déroula dans la capitale andine, au sein d’une famille de classe moyenne, où l’éducation et le sérieux des études tenaient une place centrale. Il suivit un parcours scolaire classique mais marqué par une curiosité précoce pour les chiffres et l’économie, domaine qui allait orienter toute sa vie.

Dès ses années d’études secondaires, il se distingua par son goût pour la rigueur mathématique et par son attention aux réalités sociales de son pays. Il choisit d’entreprendre des études universitaires en économie, d’abord à l’Université Mayor de San Andrés, à La Paz, puis il élargit ses horizons académiques en poursuivant un master à l’Université de Warwick, au Royaume-Uni. Ces expériences à l’étranger furent déterminantes, car elles lui permirent de confronter les théories économiques classiques et libérales enseignées en Europe avec la réalité des sociétés inégalitaires et fragiles de l’Amérique latine. C’est ainsi qu’il forgea ses premières convictions, alliant la nécessité d’une rigueur budgétaire avec l’urgence d’une redistribution sociale.

De retour en Bolivie, Luis Arce devint fonctionnaire au sein de la Banque centrale. Dans cet environnement technique et exigeant, il se fit remarquer pour ses compétences pointues et sa capacité d’analyse. Mais son destin ne devait pas se limiter à l’administration financière. Le tournant intervint avec la rencontre et la proximité croissante avec Evo Morales, le dirigeant syndical cocalero qui allait devenir président. Lorsque Morales accéda au pouvoir en 2006, il choisit Arce comme ministre de l’Économie et des Finances, un poste qu’il allait occuper presque sans interruption jusqu’en 2017, puis brièvement encore en 2019.

Son rôle fut central dans la transformation économique de la Bolivie durant la présidence Morales. Arce mit en place ce que l’on appela le « modèle économique social communautaire productif ». Cette formule reposait sur la nationalisation des ressources stratégiques, notamment le gaz, dont les revenus furent utilisés pour financer des programmes sociaux massifs, tout en maintenant une stabilité macroéconomique remarquable dans un continent habitué aux crises. Le pays connut une croissance soutenue, une réduction de la pauvreté et des inégalités, et une amélioration notable des indicateurs sociaux. Arce gagna alors le surnom de « l’architecte du miracle économique bolivien ».

L’homme, discret et travailleur, évitait les projecteurs. Peu charismatique comparé à Morales, il préférait le langage des chiffres et la sobriété des bilans aux discours enflammés. Pourtant, cette figure austère se mua progressivement en acteur politique à part entière. Après le départ forcé d’Evo Morales en 2019, dans un contexte de crise électorale et de tensions sociales, le Mouvement vers le socialisme (MAS) dut chercher une nouvelle figure capable de rassembler et de rassurer. Le choix se porta sur Luis Arce, qui incarnait la continuité économique et la modération.

La campagne présidentielle de 2020 fut marquée par la polarisation et l’incertitude. Arce, avec son colistier David Choquehuanca, mena une campagne centrée sur la relance économique et le retour à la stabilité après la présidence intérimaire de Jeanine Áñez. Le 18 octobre 2020, il remporta l’élection dès le premier tour avec plus de 55 % des voix, démontrant l’ancrage populaire du MAS et la confiance placée en sa personne. Il devint ainsi président de la Bolivie, successeur et héritier d’Evo Morales mais avec un style bien différent.

À la tête du pays, Arce se trouva confronté à des défis considérables. La pandémie de Covid-19 avait frappé durement la Bolivie, entraînant une récession et fragilisant le système de santé. Il dut déployer des plans de relance, renforcer les programmes sociaux et tenter de redynamiser une économie dépendante des exportations de matières premières. En parallèle, il chercha à maintenir l’équilibre politique au sein du MAS, entre les partisans de Morales et ceux qui souhaitaient affirmer une ligne plus indépendante.

Son mandat fut marqué par une volonté de retour à une gestion pragmatique. Luis Arce conserva son image d’homme des chiffres, insistant sur la discipline économique tout en poursuivant les politiques de redistribution. Il développa des projets visant à diversifier l’économie, notamment autour du lithium, ressource stratégique de la Bolivie, dont il voulait faire un moteur de développement national. Cette ambition s’inscrivait dans la continuité de sa vision : tirer profit des ressources naturelles pour financer l’éducation, la santé et l’infrastructure, tout en affirmant la souveraineté économique du pays.

Dans la sphère internationale, Arce adopta une ligne mesurée mais ferme, réaffirmant les alliances traditionnelles du MAS avec d’autres gouvernements progressistes d’Amérique latine, tout en cherchant à maintenir des relations économiques équilibrées avec les grandes puissances. Sa présidence marquait moins la rupture que la continuité, mais dans un contexte profondément transformé par la crise sanitaire et par les bouleversements géopolitiques mondiaux.

Dans sa vie personnelle, Luis Arce reste une figure discrète. Père de trois enfants, il cultive une image d’homme simple, attaché à la lecture, aux chiffres et à une certaine rigueur intellectuelle. Son style contraste avec celui d’Evo Morales, plus charismatique et populaire, mais il a su s’imposer comme une figure rassurante pour une partie de la population. Cette complémentarité entre les deux hommes marque l’histoire récente du MAS et illustre les tensions et équilibres internes de ce mouvement.

Ainsi, Luis Arce incarne une trajectoire singulière : celle d’un technocrate devenu président, d’un homme des chiffres devenu figure politique. Son parcours témoigne d’un trait caractéristique de l’Amérique latine contemporaine : la nécessité de concilier redistribution sociale et stabilité économique, radicalité politique et pragmatisme budgétaire. En plaçant l’économie au centre de son action, Arce a marqué la Bolivie par sa constance et sa vision à long terme.

Les premières années de son mandat furent aussi traversées par des tensions politiques persistantes. Les accusations d’autoritarisme lancées par l’opposition, les manifestations dans certaines régions et les difficultés à maintenir un climat de dialogue rappelaient combien la Bolivie restait fragile. Arce devait gouverner en équilibriste, veillant à ne pas être perçu comme une simple marionnette de Morales, tout en conservant l’appui de la base populaire du MAS.

L’économie, bien que stabilisée, affrontait de nouveaux défis liés à la dépendance aux matières premières. Le rêve du lithium, censé transformer la Bolivie en acteur majeur de la transition énergétique mondiale, se heurtait à la complexité des investissements internationaux, aux rivalités géopolitiques et aux contestations locales liées à la gestion des ressources. Arce persistait néanmoins à en faire une priorité stratégique, conscient que l’avenir économique du pays dépendrait de sa capacité à tirer parti de cette ressource tout en respectant les communautés locales.

En 2023 et 2024, les débats internes au MAS s’intensifièrent. Evo Morales annonça son intention de revenir sur la scène politique, provoquant des tensions ouvertes avec la présidence Arce. Ce dernier dut affirmer son autorité et rappeler qu’il avait été élu par une large majorité pour mener le pays selon ses propres choix. Cette confrontation interne révéla une fracture profonde au sein du mouvement, entre la fidélité au leadership historique de Morales et la volonté de consolidation institutionnelle incarnée par Arce.

À l’international, la présidence Arce s’inscrivait dans une recomposition plus large de l’Amérique latine, marquée par le retour de gouvernements progressistes dans plusieurs pays. Arce sut s’intégrer à ces dynamiques, participant aux forums régionaux et cherchant à renforcer l’intégration sud-américaine. Mais il demeurait prudent, évitant les ruptures trop radicales, conscient que l’équilibre économique de la Bolivie nécessitait des partenariats diversifiés.

En ce mois de septembre 2025, il demeure président de la Bolivie, confronté à la fois aux défis internes de son pays et aux pressions extérieures. Son mandat se situe à la croisée des chemins : continuer à incarner la stabilité et la prospérité héritées de son action passée, ou affronter les nouvelles turbulences qui menacent une économie mondiale en mutation. L’histoire jugera s’il aura su transformer le « miracle » en modèle durable, ou si son nom restera attaché à une époque précise, celle où la Bolivie trouva dans l’équilibre des chiffres une voie de transformation sociale.