MOLDAVIE - LEGISLATIVES DU 28 SEPTEMBRE
Moldavie 2025 : Europe ou Kremlin ?

Un pays entre Europe et Russie
Le 28 septembre 2025, les citoyens de la République de Moldavie sont appelés à renouveler la totalité des 101 sièges de leur Parlement. Ce sera la XIIe législature du pays et le scrutin sera déclaré valable si au moins un tiers des électeurs inscrits se présentent. La loi électorale prévoit plusieurs seuils : 5 % des suffrages pour les partis, 7 % pour les blocs électoraux et 2 % pour les candidats indépendants. Les partis et coalitions ont été enregistrés par la Commission électorale centrale (CEC) le 28 août, et la campagne s’est déroulée officiellement du 29 août au 26 septembre. Le scrutin mobilise l’ensemble des institutions de l’État : 2?274 bureaux de vote seront ouverts, dont 301 à l’étranger, et la CEC a habilité des observateurs nationaux et internationaux qui peuvent signaler en ligne les irrégularités via le portail d’observation en ligne. Les bureaux ouvriront à 7 heures et fermeront à 21 heures.
Les autorités moldaves présentent cette élection comme un tournant existentiel. La présidente pro?européenne Maia Sandu a exhorté les citoyens à « sauver la Moldavie une fois de plus » en se rendant aux urnes. Dans un discours relayé par l’agence publique Moldpres, elle a rappelé que son équipe a renversé un « régime corrompu », mais que des oligarques fidèles à Moscou tentent de revenir au pouvoir. Elle promet des investissements dans les routes, les hôpitaux et les médicaments et appelle à ne pas se laisser tromper par « ceux qui veulent transformer la Moldavie en colonie étrangère ». Le ministre de la Justice Veronica Mihailov-Moraru a qualifié le vote de « vital » et a demandé aux juristes et fonctionnaires de soutenir les réformes de l’État de droit et de lutter contre la corruption. La CEC a souligné que la surveillance citoyenne est essentielle et a mis en place des formations pour les membres des bureaux de vote afin de réduire les erreurs et d’assurer la transparence.
Cette mobilisation s’inscrit dans un climat lourd. Depuis 2021, la Moldavie est dirigée par le Parti action et solidarité (PAS), formation qui a obtenu une majorité aux dernières législatives et soutient l’agenda d’intégration européenne défendu par Maia Sandu. L’opposition pro?russe dénonce un démantèlement de la neutralité constitutionnelle et accuse le PAS d’ignorer les intérêts économiques des régions russophones et des diasporas de l’Est. La guerre en Ukraine et les pressions énergétiques de la Russie ont aggravé ces tensions ; en 2022, Moscou a réduit les livraisons de gaz, provoquant une crise énergétique qui a pesé sur les finances publiques. Dans ce contexte, l’élection de septembre 2025 est perçue comme un référendum sur l’orientation géopolitique du pays : rester sur la voie européenne ou revenir dans l’orbite du Kremlin.
Les structures religieuses et la société civile ont pris position. L’Église orthodoxe de Moldavie, subordonnée au Patriarcat de Moscou, a connu des divisions internes. Alors que certains prêtres appellent discrètement à voter pour des forces pro?russes, la Métropole a publié une déclaration rappelant que « l’Église ne s’implique pas dans la politique » et dénonçant l’utilisation de la religion comme instrument électoral. Des organisations non gouvernementales telles que Promo?LEX, qui déploie des milliers d’observateurs, ont souligné l’importance d’un vote libre et transparent. L’ONG a relevé un certain nombre de dérives dans la campagne – usage de ressources publiques, intimidation des militants ou diffusion de messages de haine – et a demandé aux autorités de garantir l’égalité des concurrents. Le Baromètre de l’opinion publique montre qu’environ 28 % des électeurs restent indécis et que la participation des Moldaves de la diaspora pourrait être décisive.
Enfin, l’échéance de septembre revêt une dimension constitutionnelle. La Constitution de 1994 prévoit qu’un nouveau gouvernement soit formé dans les trois mois suivant les élections, faute de quoi le chef de l’État peut dissoudre le Parlement. Le résultat du scrutin déterminera donc non seulement la composition du législatif, mais aussi la capacité du pays à poursuivre ses réformes et à maintenir sa stabilité. Avec une société polarisée, un conflit régional qui se prolonge et des ingérences étrangères dénoncées par les autorités, ce vote s’annonce comme le plus important depuis l’indépendance. La société débat intensément.
Paysage politique : partis, blocs et aspirations
La course électorale de 2025 est la plus ouverte depuis la chute du régime communiste. Vingt?cinq concurrents sont enregistrés : quinze partis politiques, quatre blocs électoraux et plusieurs candidats indépendants. Parmi eux se détachent quatre formations qui ont des chances réelles d’obtenir des sièges : le Parti action et solidarité (PAS), le Bloc electoral Patriotic (alliance entre le Parti des socialistes, le Parti des communistes, Inima Moldovei et Viitorul Moldovei), le Bloc « Alternativa » et le parti « Partidul Nostru ».
Le PAS, dirigé par Igor Grosu, présente 104 candidats et se présente comme le garant de l’intégration européenne et de la transparence. Il se fixe comme priorités la lutte contre la corruption, la modernisation des infrastructures et l’alignement sur les normes européennes. La liste comprend de nombreux jeunes cadres issus de la société civile et de l’administration, ce qui lui permet de se présenter comme une force de renouvellement. Les slogans du parti, diffusés dans les villages et sur les réseaux sociaux, insistent sur la nécessité de « continuer le changement ».
Face à lui, le Bloc Patriotic regroupe les forces pro?russes du paysage moldave. Igor Dodon, ancien président et leader du Parti des socialistes (PSRM), est tête de liste. Le bloc compte 110 candidats, dont l’ex?présidente de la région autonome de Gagaouzie, Irina Vlah, et l’ancien premier ministre Zinaida Greceanii. L’alliance prône le maintien de la neutralité constitutionnelle, la défense de la langue russe et des liens économiques plus étroits avec Moscou. Dans le discours des dirigeants, l’adhésion à l’Union économique eurasiatique est présentée comme une alternative au rapprochement avec l’UE. Les réunions de campagne mettent en avant la stabilité sociale et l’augmentation des pensions, et dénoncent une « occidentalisation forcée » de la société.
Le Bloc « Alternativa », conduit par le maire de Chisinau Ion Ceban, se veut une force centriste et municipaliste. Ceban, ancien membre du PSRM, critique les tensions géopolitiques et propose de dépasser la dichotomie Est?Ouest en privilégiant des projets concrets : amélioration des transports publics, gestion professionnelle des déchets et création d’emplois. Le bloc présente 106 candidats et se réclame d’une « alternativa » aux « extremes », espérant séduire les électeurs fatigués par les querelles idéologiques.
Le parti « Partidul Nostru », mené par l’ex?président du parlement Marian Lupu, compte 101 candidats. Il met l’accent sur les questions sociales et sur le soutien aux petites entreprises. D’autres concurrents disposent de listes plus restreintes mais espèrent franchir le seuil : le bloc « Impreuna » (60 candidats), la formation unioniste AUR (55 candidats) et le parti Democratia Acasa (86 candidats). Plusieurs personnalités tentent leur chance en indépendant, comme la magistrate anticorruption Victoria Sanduta et l’écrivain Denis Rosca.
La campagne a été marquée par des scandales. Le 25 septembre, la Cour d’appel a suspendu pour 12 mois les activités de la formation Inima Moldovei, intégrée au Bloc Patriotic, en raison de soupçons de financement illicite et d’achat de voix. La CEC a appliqué cette décision en annulant la candidature de 20 personnes et en imposant au bloc de respecter les quotas de genre. Irina Vlah a dénoncé une « décision politique », tandis que la CEC a rappelé que le respect des lois est impératif. Ce scandale illustre la fragilité des alliances et rappelle que la lutte contre la corruption reste une priorité de la campagne. Parallèlement, Promo?LEX a dénoncé le caractère déséquilibré de la couverture médiatique : certaines chaînes affiliées à des oligarques pro?russes ont multiplié les attaques contre le gouvernement, tandis que des portails pro?européens ont refusé d’accorder un temps d’antenne équivalent à l’opposition.
Au?delà des partis, des groupes civiques et des initiatives régionales se sont invités dans la campagne. La « Miscarea Respect Moldova » de Marian Lupu plaide pour un développement équilibré des régions, tandis que l’alliance « Impreuna » met l’accent sur la reconnaissance des minorités ethniques. Ces acteurs espèrent influencer la composition du Parlement, voire servir d’alliés de coalition. Les électeurs ont donc devant eux une offre plurielle diversifiée, mais largement polarisée autour de la question clé : vers où doit se tourner la Moldavie ? AUR prône l’union avec la Roumanie et « Moldova Mare » défend une identité distincte.
L’ombre du Kremlin : ingérences et désinformation
Au fil des semaines, les observateurs et les services de renseignement ont souligné l’intensification des ingérences étrangères. Promo?LEX a constaté que la campagne électorale de 2025 est plus agressive que celle de 2021, avec 1?984 activités organisées entre le 11 et le 24 septembre. Près de 68 % ont consisté en distribution de matériel de propagande, 22 % en réunions avec les électeurs et le reste en concerts ou événements caritatifs. Cette mobilisation a été accompagnée d’une utilisation des ressources administratives : 66 cas de détournement en faveur du PAS, 8 en faveur du Bloc Patriotic et 5 au profit du Bloc Alternativa ont été documentés. Les maires et fonctionnaires auraient attribué à leurs partis les mérites de projets financés par l’État ou par des donateurs occidentaux.
Promo?LEX a aussi relevé une présence surprenante des institutions religieuses. Des prêtres orthodoxes ont participé à six événements politiques ou ont diffusé des messages incitant les fidèles à voter « dupa credinta » (selon la foi). Cette instrumentalisation de la religion a été vivement critiquée par la Métropole de Chisinau, qui a dénoncé les messages circulant sur des canaux Telegram pro?russes. Les observateurs ont également constaté des tentatives d’intimidation à l’encontre des militants et des journalistes : par exemple, un panneau électoral du parti Alternativa a été démantelé dans la ville de Ceadir?Lunga par des individus non identifiés. De nombreuses entités tierces (au moins 15), certaines favorables à Moscou, d’autres anti?UE, ont lancé des campagnes de propagande sur les réseaux sociaux. Elles utilisent de faux comptes, diffusent des informations trafiquées et recourent à des vidéos générées par intelligence artificielle sur TikTok.
Les ingérences russes prennent aussi des formes plus subtiles. Plusieurs enquêtes journalistiques ont révélé l’existence de réseaux financés par des hommes d’affaires proches du Kremlin, chargés de recruter des influenceurs moldaves pour répandre des messages anti?européens. Selon Promo?LEX, ces réseaux proposent des voyages « religieux » en Russie aux prêtres en échange de sermons favorables au bloc Patriotic et promettent des gains financiers aux blogueurs qui promeuvent l’idée que « l’Occident détruit la famille ». Ces pratiques ont conduit les autorités à renforcer la surveillance des transferts financiers et à bloquer des plateformes de propagande. La Direction pour la securité de l’information (SIS) a annoncé avoir démantelé plusieurs grupuri online ce to planificau « contraproteste » in ziua alegerilor, orchestrate de consultanti rusi.
L’affaire Inima Moldovei démontre à quel point l’argent suspect peut influencer la politique. Après des perquisitions effectuées en septembre, des preuves de transferts non déclarés provenant d’entités russes auraient été découvertes. La Cour d’appel a suspendu le parti et la CEC a invalidé la candidature de 20 de ses représentants. Cette décision a fragilisé le Bloc Patriotic, qui a dû réajuster ses listes sans dépasser le quota des 40 % pour un sexe. Irina Vlah a dénoncé « une persecution politique orchestrée par le PAS », mais les magistrats ont souligné que la loi interdit tout financement étranger. Promo?LEX a recommandé d’amender la législation pour permettre aux blocs de modifier leurs listes même après la date limite afin de respecter les quotas.
La guerre informationnelle a également ciblé la diaspora moldave. Des groupes anonymes ont diffusé de fausses informations sur les réseaux sociaux, prétendant que les bureaux de vote à l’étranger seraient fermés ou que les autorités européennes obligeraient les électeurs à se faire enregistrer. La CEC a démenti ces allégations et a publié la liste complète des bureaux de vote à l’étranger sur le site officiel du ministère des Affaires étrangères. Le ministère a même lancé une campagne de sensibilisation pour encourager les citoyens résidant en Italie, en Russie et en Allemagne à exercer leur droit de vote. Malgré cela, de nombreux experts craignent que la désinformation n’entraîne une abstention élevée, surtout parmi les communautés russophones.
Les observateurs rappellent que ces ingérences ne sont pas anecdotiques et constituent une menace pour la souveraineté du pays. Promo?LEX appelle les autorités à renforcer la coopération avec les partenaires européens pour contrer ces risques. Des responsables ont déclaré aux médias que Moscou se sert des réseaux diasporiques pour financer des manifestations après le scrutin.
Sondages et scénarios : un Parlement fragmenté à l’horizon
Les derniers jours de campagne ont été animés par la publication des sondages, avant l’interdiction légale de diffusion fixée au 25 septembre. Deux études dominent les débats. La première est le Baromètre de l’opinion publique (BOP), commandé par l’Institut de politiques publiques et réalisé par la société CBS?Research entre le 12 et le 22 septembre sur 1?117 personnes dans 85 localités. Le BOP crédite le PAS de 49,5 % des intentions de vote parmi les électeurs décidés (en excluant la diaspora et la région séparatiste de Transnistrie), tandis que le Bloc Patriotic arrive deuxième avec 24 %. « Partidul Nostru » obtiendrait 8,8 % et le Bloc « Alternativa » 7,3 %. D’autres formations – Democratia Acasa, Miscarea « Moldova Mare » ou AUR – ne dépassent pas le seuil de 5 %, mais environ 28 % des sondés avouent ne pas savoir encore pour qui voter. La marge d’erreur est de ± 2,9 %.
Cette enquête conforte le PAS, qui pourrait, selon ces chiffres, obtenir près de la moitié des sièges au Parlement. Toutefois, elle souligne aussi l’incertitude liée au comportement des indécis et au vote de la diaspora. Les sondages n’ont pas inclus les électeurs des localités transnistriennes et les résidents à l’étranger, qui représentent près d’un quart des votes aux dernières élections. La CEC a averti que la participation de la diaspora en 2021 avait favorisé le PAS et pourrait encore jouer en sa faveur.
Le second sondage, publié le 24 septembre par la société iData, bouleverse les pronostics. D’après cette étude, le Bloc Patriotic serait en tête avec 33,9 % des suffrages, suivi de très près par le PAS avec 33,6 %. Le Bloc « Alternativa » recueillerait 9,8 % des voix et « Partidul Nostru » 7,4 %. Ce sondage anticipe une répartition plus équilibrée des mandats : 41 sièges pour le Bloc Patriotic, 40 pour le PAS, 11 pour Alternativa et 9 pour Partidul Nostru. La bataille pour la première place serait donc serrée, et aucune formation n’obtiendrait la majorité absolue.
La divergence entre ces sondages provient des méthodologies différentes et du traitement des électeurs indécis. CBS?Research a calculé ses pourcentages sur la base des seuls « voturi decise », tandis qu’iData a intégré une part des indécis dans ses projections. Les analystes notent aussi que la dynamique de la campagne a évolué après la suspension d’Inima Moldovei, qui a affaibli le Bloc Patriotic. Par ailleurs, des « sondaje negre » circulant sur Telegram, non autorisés par la CEC, ont semé la confusion : certaines « fuites » prétendent que de nouveaux blocs seraient en formation pour s’opposer au PAS. Promo?LEX a mis en garde contre cette « piata neagra » de sondages et a conseillé aux électeurs de vérifier les sources.
Au?delà des chiffres, les scénarios politiques se dessinent. Si le PAS arrive en tête mais sans majorité, il pourrait s’allier avec le Bloc Alternativa ou avec des partis plus petits comme Miscarea Respect Moldova, sur la base d’un programme centriste et pro?européen. Le Bloc Patriotic pourrait tenter de former une coalition de gauche avec Partidul Nostru et d’autres formations euro?sceptiques. L’hypothèse d’une grande coalition entre PAS et Patriotic est jugée improbable, tant leurs programmes divergent. La formule de la représentation proportionnelle, basée sur la méthode d’Hondt, favorise les alliances post?électorales ; de nombreux électeurs se disent favorables à une alliance qui maintiendrait la stabilité intérieure tout en évitant une rupture avec l’UE.
L’élection de 2025 s’annonce donc indécise. Les institutions internationales, notamment l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), enverront des missions d’observation pour vérifier la régularité du scrutin. Le soir du 28 septembre, l’outil interactif du site Europa Libera permettra de suivre en direct la répartition des voix et de simuler les coalitions. Alors que la Moldavie se trouve à la croisée des chemins, les citoyens ont la responsabilité de choisir entre deux visions de leur avenir : l’intégration européenne et l’État de droit, ou un retour vers une zone d’influence dominée par le Kremlin. Chaque bulletin comptera. Les partenaires étrangers ont les yeux rivés sur Chisinau, mais l’issue dépendra de la mobilisation populaire et des compromis à venir.