BOLIVIE - PRESIDENTIELLE DU 19 OCTOBRE
L’heure du choix, fin d’une ère et entrée dans l’inconnu

La rupture politique d’une nation en crise
Le dimanche 17 août 2025 a marqué une date historique en Bolivie, alors que la première manche du scrutin présidentiel s’est soldée par l’élimination fracassante des candidats du Mouvement vers le Socialisme (MAS), la gauche au pouvoir depuis 2005. Pour la première fois en deux décennies, ce pays d’Amérique du Sud s’apprête à vivre un second tour présidentiel opposant deux figures phares de la droite et du centre-droit. La fracture est profonde, et le contexte économique rend la situation d’autant plus explosive. Durant des années, la croissance du PIB bolivien avait permis à Evo Morales puis à Luis Arce de s’imposer comme références, mais la pénurie chronique de carburant depuis l’effritement du secteur gazier en 2017 et une inflation annuelle atteignant les 25% en 2025 ont miné la confiance populaire.
C’est dans ce climat de défiance et de crise que Rodrigo Paz Pereira, sénateur de La Paz et fils d’un ex-président, a défié tous les pronostics. Avec 32,1% des suffrages, il arrive largement en tête, devant Jorge « Tuto » Quiroga, ancien président, qui obtient environ 26,8%. La participation fut exceptionnelle, un signe d’une soif de changement comme l’ont souligné de nombreux éditorialistes, mais aussi d’un rejet des anciennes élites politiques et des divisions internes à la gauche. Le MAS, porté par Arce mais fragilisé par son conflit ouvert avec Evo Morales, subit une déroute sans précédent.
La campagne du premier tour a été marquée par l’omniprésence des sujets économiques. Les files d’attente devant les pompes à essence, la raréfaction de produits de première nécessité, et le renchérissement du coût de la vie sont devenus le quotidien de millions de Boliviens. Le débat politique a aussi porté sur la confiance envers les institutions, avec une attention particulière accordée au Tribunal Suprême Électoral dont l’indépendance, pourtant renforcée après les crises de 2019, reste régulièrement mise en doute dans la presse.
Face à ces enjeux, ni Eduardo del Castillo (MAS) ni Andrónico Rodríguez (Alliance populaire), positionnés à gauche, ne sont parvenus à mobiliser un appareil partisan déchiré par des luttes intestines et qui paie ses querelles et accusations de corruption. On note que les voix de protestation et le vote blanc, fortement encouragés par Morales, battent des records en raison du désenchantement de nombreux électeurs.
Le virage à droite, que personne n’osait prédire il y a quelques années, est désormais évident. Les médias nationaux voient l’élection comme le point final d’une époque. « C’est la fin d’un cycle », titre la presse régionale, soulignant la dissolution du rêve socialiste dans un océan d’incertitudes économiques et institutionnelles. Le second tour, inédit dans l’histoire électorale bolivienne depuis la mise en place du système en 2009, est porteur d’espoirs mais aussi de tensions et d’inquiétudes.
Rodrigo Paz Pereira et Jorge Quiroga, deux hommes au cœur du débat
Les candidats qualifiés pour le second tour incarnent des visions antagonistes, dans un paysage politique totalement recomposé. Rodrigo Paz Pereira, 57 ans, sénateur de La Paz, présente un profil de modéré qui se veut novateur. Porté par la popularité de son parcours et de son nom, il promet une relance de l’économie via des taux d’intérêt bas pour l’emprunt, la suppression de certaines taxes et une politique inspirée par le « capitalisme pour tous ». L’accent mis sur la transparence et la lutte contre la corruption rencontre l’écho d’un électorat lassé par les affaires qui ont marqué la fin de l’ère MAS.
Face à lui, Jorge « Tuto » Quiroga, 65 ans, expert en économie et ancien président entre 2001 et 2002, se veut le porte-étendard d’un choc libéral. Sa campagne promet une privatisation des entreprises publiques déficitaires, une réduction drastique du déficit budgétaire, et l’adoption d’une nouvelle constitution pour restaurer la confiance des investisseurs. Il assume que son programme risque d’aggraver la crise pendant les premiers mois, mais défend l’idée d’un redressement collectif à plus long terme. Quiroga s’est aussi engagé à ouvrir des enquêtes approfondies sur la corruption, promettant une rupture radicale avec les pratiques passées.
Les deux candidats s’affrontent sur les questions de justice et de gouvernance mais également sur la nature du changement : Paz propose l’inclusivité et cherche à rassurer les classes moyennes et populaires, notamment par des mesures sociales. Quiroga, en revanche, préfère l’austérité économique, avec des discours parfois polarisants, voire tranchés, dans l’esprit des promesses de Javier Milei en Argentine.
Le débat public s’est structuré autour de ces deux hommes, leurs styles, mais aussi sur leur capacité à fédérer un électorat d’indécis et de protestataires. Les derniers sondages publiés dans la presse bolivienne évoquent un duel serré, avec une remontée de Quiroga qui tente de réduire l’écart alors que Paz s’appuie sur son image de « centriste pragmatique ». Les électeurs restent divisés, beaucoup attendant des réponses claires sur l’avenir du système social bolivien et des institutions. À noter l’importance croissante du vote des jeunes et des citadins, particulièrement sensibles aux enjeux économiques et institutionnels.
Analyses des résultats, projections et controverses
Le verdict du premier tour, validé officiellement par le Tribunal Suprême Électoral, n’a pas échappé aux questionnements, parfois virulents, sur le déroulement du processus électoral. Les soupçons de fraude, déjà présents lors du scrutin de 2019, continuent d’alimenter la défiance. Les médias boliviens ont relaté l’intervention de la fiscalité, ayant finalement rejeté les principales plaintes pour fraude, tout en laissant cinq jours de délai pour de nouvelles éventuelles contestations. La polarisation de la société, aggravée par la campagne insistante sur les questions de la légitimité des institutions, complique la transition démocratique, même si les observateurs locaux évoquent une transparence accrue dans le comptage des voix cette année.
Un autre sujet a secoué l’opinion au lendemain du premier tour : la faible implication des jurés électoraux lors des sessions de formation pour le second tour. Plusieurs médias signalent des absences massives, relevant un danger potentiellement élevé pour la bonne tenue du scrutin du 19 octobre. Les autorités électorales ont redoublé d’efforts pour garantir la fiabilité de la logistique électorale.
Sociologiquement, le résultat du premier tour consacre un peuple divisé. Le taux de participation élevé est contrebalancé par la montée du vote blanc, de la protestation et de l’indécision, révélant la difficulté des candidats à fédérer un récit national. L’appel lancé par Evo Morales à annuler le vote pour 2025, motivé par son exclusion judiciaire, illustre ce trouble profond. La gauche, défaite et écartée de la course, peine à mobiliser une majorité, tandis que la droite elle-même demeure fractionnée et dépendante d’alliances électorales fragiles.
En matière de sondages, les derniers chiffres publiés montrent une légère avance pour Rodrigo Paz, oscillant entre 48% et 52% selon les instituts, mais avec une marge d’erreur élevée et un taux d’indécision rédhibitoire. Quiroga, en progression, mise sur le ralliement des électeurs du centre et de la droite radicale. Les médias notent que le pays s’attend à un second tour très serré, voire imprévisible.
Enfin, la campagne pour le second tour est émaillée de controverses : dénonciations de la part des deux camps, menaces judiciaires contre des membres du Tribunal suprême de Justice, tensions autour du contrôle des carburants et de la gestion monétaire, et une virulence nouvelle de la part des réseaux sociaux. Le risque de violences post-électorales est surveillé de près par les autorités, soucieuses de garantir la stabilité du pays.
L’élection, miroir d’une société en chantier
Le second tour prévu le 19 octobre dépasse de loin la simple confrontation politique ; il s’agit d’un moment décisif pour une société en quête de nouvelles bases, porteuse de mutations irréversibles. Les fondations institutionnelles, la place du Tribunal Suprême Électoral, et la capacité du pays à surmonter ses fractures sont au cœur des débats. Plusieurs éditorialistes boliviens insistent sur la nécessité d’une nouvelle cohésion sociale. Ils rappellent les grandes bases du système politique local : présidence élue au suffrage universel à deux tours, rôle déterminant d’un tribunal électoral indépendant, et fonctionnement bicaméral du Parlement.
Mais la crise a atteint toutes les couches de la société. Les files pour l’essence témoignent chaque jour de l’urgence à mener des réformes, tandis que les jurés électoraux, peu impliqués, laissent planer un doute sur la mobilisation démocratique. Plus encore, les promesses des candidats au second tour s’inscrivent dans une gestion quasi quotidienne des pénuries et du renchérissement du coût de la vie. L’espoir d’une alternance politique, perçu par certains comme une relance, est pour d’autres un pas vers l’inconnu et la précarisation accrue. Les voix dissidentes, issues principalement des bastions ruraux de Morales et des syndicats miniers, avertissent que la mobilisation sociale ne s’éteindra pas après le 19 octobre.
Pour de nombreux Boliviens, cette élection constitue une « fête civique », selon la conférence épiscopale, mais aussi un test national révélateur des faiblesses institutionnelles et démocratiques. Les médias s’accordent sur le constat d’une démocratie sous tension mais également sur une dynamique nouvelle où le débat politique s’ouvre à une pluralité de voix. Le prochain président – qu’il s’agisse de Paz ou de Quiroga – héritera d’un pays à reconstruire sur les plans économique, social et institutionnel. La société attend des actes forts pour rétablir la confiance, redonner de la stabilité et éviter le spectre de nouvelles crises.
L’incertitude domine, la fragmentation est profonde. Le second tour, plus qu’un verdict politique, est le miroir d’une société en chantier, dans l’attente d’une restauration démocratique et sociale urgente.