CAMBODGE - ANNIVERSAIRE

Hun Manet, héritier en uniformes et en urnes

Né le 20 octobre 1977 à Mémot, dans l’ancienne province de Kampong Cham aujourd’hui Tbong Khmum, Hun Manet grandit dans un Cambodge qui se reconstruit lentement après les années de conflits et de pénuries. Il fête aujourd'hui ses 48 ans.

Aîné de Hun Sen et de Bun Rany, il naît dans une famille où la politique est d’abord une affaire de survie, puis d’organisation de l’État, et où l’école redevient l’outil central pour reprendre pied dans un monde ouvert. Son enfance se déroule entre des villes qui se repeuplent, des administrations qui s’installent de nouveau, des pagodes et des marchés qui retrouvent leur fonction de repères. Au cœur du foyer, la priorité va à l’étude, à l’apprentissage des langues et des sciences, à l’idée que la connaissance permet de dépasser la simple réparation pour penser un avenir plus stable. Ce cadre familial impose une discipline tranquille, une hiérarchie claire, un apprentissage de la loyauté et de la prudence, toutes qualités qui irrigueront plus tard sa carrière.

Adolescent, il voit Phnom Penh changer d’échelle et retrouver une forme de normalité. Les rues s’animent, l’économie de bazar cède par endroits la place à des circuits plus réguliers, et les écoles rouvertes accueillent des cohortes avides de savoir. L’anglais s’impose comme langue de circulation, les mathématiques et l’économie comme outils d’interprétation d’un pays qui passe de l’administration du manque à la gestion de la croissance. Cette jeunesse s’inscrit dans une sociabilité où la famille, les camaraderies d’étude et les premiers cercles du parti au pouvoir forment une trame de relations. Elle prépare des trajectoires individuelles qui devront tenir compte d’un environnement régional mouvant, de nouvelles dépendances commerciales et d’attentes sociales en hausse. Chez Hun Manet, le goût des sciences et des institutions prend le dessus, avec une curiosité marquée pour les méthodes, les procédures et les comparaisons internationales.

En 1995, il intègre l’Académie militaire de West Point, première admission d’un Cambodgien au sein de cette institution. Ce choix reflète une stratégie familiale et nationale : se doter de cadres capables de dialoguer avec les standards militaires et administratifs internationaux. L’école impose des réveils précis, une endurance quotidienne, des exercices tactiques et un apprentissage serré de la logistique et du leadership. Le diplôme obtenu en 1999 atteste d’une capacité à transformer la discipline en langage commun, à articuler l’obéissance et la décision. Il poursuit ses études à New York University en économie, puis soutient un doctorat à l’Université de Bristol, confirmant une double culture, militaire et analytique, qui façonnera sa manière d’aborder l’action publique. Cette formation produit un rapport particulier au temps : le court terme des opérations, le moyen terme des politiques publiques, le long terme des trajectoires structurelles.

Sa vie privée s’inscrit dans ce mouvement d’étude et de responsabilité. Il épouse Pich Chanmony, pharmacienne et spécialiste de santé publique. Elle développe une activité caritative et sanitaire soutenue, participe à des programmes de prévention, d’éducation et de formation de personnels médicaux, et s’implique au sein de la Croix-Rouge cambodgienne. Le couple a trois enfants. Dans le contexte cambodgien, la famille fonctionne comme un pôle de stabilité, un lieu où se conservent et se redistribuent des ressources sociales et symboliques. La conjugalité devient ainsi une scène de coordination entre l’action gouvernementale et le registre philanthropique, un moyen d’incarner une protection attendue, notamment envers les mères et les enfants. La visibilité des engagements de Pich Chanmony souligne la continuité d’une forme de gouvernement où l’État, le parti et les réseaux associatifs se tiennent de près.

Le retour de Hun Manet au Cambodge s’opère par l’institution militaire. Il rejoint les Forces armées royales cambodgiennes, progresse rapidement et occupe des fonctions d’état-major, de planification et de coordination. Les années de tension avec la Thaïlande autour du temple de Preah Vihear lui fournissent une scène d’apprentissage : il faut négocier, temporiser, tenir compte à la fois des cartes, des reliefs, des perceptions nationales et des équilibres régionaux. Les promotions successives consacrent un officier polyglotte et familier des standards internationaux. À partir de 2018, sa prise de responsabilités au sommet de l’armée renforce l’idée d’une succession préparée, d’une transmission du pouvoir où la légitimité militaire s’ajoute à la socialisation partisane. Il s’agit moins d’une rupture que d’un glissement mesuré, de la caserne vers le cœur gouvernemental.

Dans l’intervalle, l’ancrage partisan se précise. Au sein du Parti du peuple cambodgien, Hun Manet travaille sur les questions d’organisation et de jeunesse, s’expose aux congrès et aux comités, apprend la liturgie des décisions collectives et l’art des messages internes. En décembre 2021, il est désigné futur candidat au poste de Premier ministre, signal clair d’une transition de génération. Ce geste n’est pas seulement une décision politique ; il est un dispositif symbolique qui cherche à rassurer l’appareil, à retenir les soutiens économiques et à signifier au pays que la continuité se fera sans improvisation. Le parti, fort d’une implantation territoriale ancienne, avance par procédures, cumule des fidélités longues, prend soin d’intégrer des héritiers au sein d’équipes ministérielles expérimentées. Cette mécanique vise à maintenir le cap dans un environnement international plus compétitif.

L’année 2023 valide ce scénario. Les élections législatives confirment la domination du parti au pouvoir, et le 22 août 2023, Hun Manet est investi Premier ministre. La scène est celle d’un passage de relais ordonné : Hun Sen devient président du Sénat, de nombreux ministres chevronnés demeurent en fonctions, des figures issues des familles dirigeantes entrent au gouvernement. Les premiers discours mettent en avant la stabilité macroéconomique, la poursuite des grands travaux, la modernisation administrative par le numérique, la formation technique, l’élévation de la productivité et une plus grande attention aux services de base. Le ton reste sobre, procédural, appuyé sur des plans d’action où l’évaluation et la communication occupent une place croissante. Il s’agit d’aligner les promesses et les calendriers, de montrer des chantiers, des livraisons, des inaugurations.

Le pays réel impose cependant ses contraintes. L’économie dépend encore du textile, du bâtiment, du tourisme et d’un flux d’investissements venus d’Asie, en particulier de Chine. Les salaires minimums, l’inflation, le prix de l’électricité, la logistique et l’accès au crédit balisent l’humeur sociale. Phnom Penh se verticalise, étire ses rives, multiplie les zones en chantier, mais les services doivent suivre : eau, déchets, transport public, sécurité. Dans les provinces, l’irrigation, les routes secondaires, les marchés agricoles et l’accès au soin demeurent décisifs. Les familles modulent leurs stratégies entre l’agriculture, les ateliers, l’auto-entreprise et les migrations. La politique gouvernementale tente de stabiliser ces trajectoires par des infrastructures régionales, des zones économiques spéciales, des programmes de formation et une digitalisation des procédures administratives.

Les interdépendances extérieures structurent l’agenda diplomatique. La relation avec la Chine apporte capitaux, infrastructures et marchés, mais appelle des assurances de souveraineté et des garde-fous en matière d’endettement. Avec le Vietnam, le voisinage mêle commerce transfrontalier, énergie, sécurité et mémoire historique. La Thaïlande reste à la fois un partenaire et un compétiteur, un débouché pour la main-d’œuvre et un voisin dont les incidents exigent une diplomatie calme. L’ASEAN fournit le cadre de la médiation, de la logistique et de l’intégration aux chaînes régionales, tandis que les liens avec les États-Unis et l’Europe sont entretenus par l’éducation, le commerce et une coopération technique sélective. La ligne cherchée par Hun Manet consiste à diversifier sans rompre, à afficher une stabilité politique et une prévisibilité réglementaire capables d’attirer des investissements de plus haute valeur.

La question des libertés publiques et du pluralisme reste le point de friction. Les organisations de défense des droits soulignent la faiblesse du débat contradictoire, la pression sur des médias critiques, la judiciarisation d’opposants et les contraintes pesant sur la société civile. Le pouvoir répond par l’impératif d’ordre, la lutte contre les manipulations, la priorité donnée à la sécurité et à la croissance. Le style de Hun Manet se veut plus procédural, parlant de transparence administrative, de numérique, d’évaluation, de services. Mais l’architecture politique héritée, solide et centralisée, limite les évolutions rapides. L’enjeu, pour lui, est d’inscrire des marges de manœuvre dans un cadre stable, de montrer que la stabilité peut se convertir en mobilité sociale, en amélioration du quotidien, en institutions plus fiables.

Son rapport à l’économie publique privilégie les chaînes de valeur industrielles et la montée en gamme. Les zones économiques spéciales, la formation professionnelle, l’enseignement supérieur, la qualité de l’électricité, la connectivité logistique et la simplification des procédures sont mis au premier rang. Les priorités sanitaires, portées aussi par Pich Chanmony, associent prévention, maternité, enfance, et formation des soignants, dessinant un registre de protection sociale qui cherche à dépasser la seule logique de l’assistance. Le numérique devient à la fois symbole et outil : plateformes de services, identification, paiements, suivi statistique. Il s’agit de réduire les frictions, d’abaisser les coûts de transaction, d’offrir aux entreprises et aux ménages un État plus lisible.

La famille demeure un ressort politique. L’action caritative de Pich Chanmony inscrit la figure du Premier ministre dans une tradition de protection visible, au croisement de l’État et de réseaux philanthropiques. Les enfants sont tenus à l’écart de la scène, selon un usage local de discrétion. Autour, la constellation de frères, de sœurs et d’alliés compose une géographie de loyautés et de compétences qui irrigue administration, partis et armée. La présence de Hun Sen, désormais institutionnelle au Sénat, reste un facteur d’équilibre et de rappel, notamment dans les moments de tension. Dans ce cadre, Hun Manet doit prouver que l’autorité se renforce par la gestion et par la mesure des résultats, non par la seule continuité familiale.

Dans la longue durée, la trajectoire de Hun Manet illustre un basculement : du temps de la réparation au temps des exigences de qualité. Les décennies 1990 et 2000 ont remis le pays sur pied, les années 2010 ont consolidé la croissance et l’intégration régionale, les années 2020 doivent transformer l’essai en productivité, en diversification, en services publics fiables. La politique cambodgienne, prudente et graduelle, avance par cercles. Le Premier ministre assume cette logique tout en cherchant des gains concrets : écoles mieux équipées, hôpitaux plus efficaces, électricité stable, transports fluides, justice accessible. Il tente de faire entrer dans les pratiques l’évaluation, la documentation des actions, l’explicitation des calendriers.

Né un jour d’octobre, formé dans des académies lointaines, revenu commander puis gouverner, Hun Manet incarne une tentative de normalisation d’un pays longtemps placé sous le signe des exceptions. Sa biographie épouse l’histoire nationale : famille, armée, parti, État. Son style se veut sobre, procédural, attentif à la stabilité et à l’efficacité. Mais la stabilité n’est une ressource que si elle se traduit pour les Cambodgiens par une mobilité sociale réelle, par des services au rendez-vous et par des horizons partagés. La suite de sa vie publique dépendra de sa capacité à convertir la succession dynastique en gouvernance mesurable, à faire que les chantiers inaugurés deviennent des usages enracinés, que les promesses d’investissement se transforment en emplois qualifiés, et que la sécurité, sans laquelle rien ne tient, s’accompagne d’une prévisibilité de droit et de pratiques.