ALLEMAGNE - ANNIVERSAIRE
Dietmar Woidke, la patience brandebourgeoise au pouvoir

Né le 22 octobre 1961 à Naundorf près de Forst, Dietmar Woidke grandit en Lusace, dans le Brandebourg oriental, au cœur d’un paysage de forêts, d’étangs et de mines. Il fête aujourd'hui ses 64 ans.
Enfant d’un pays socialiste, il apprend tôt la valeur d’un travail régulier et d’un horizon mesuré. L’école et le service rendu à la collectivité organisent le quotidien. La frontière polonaise, toute proche, forme une ligne familière. Les saisons de la ferme, les trains vers Berlin, les visages réservés des bourgs impriment un style de patience plus que d’emphase. Cette enfance d’entre-deux, où la nature et l’industrie se frôlent, fonde une conscience des distances, des réseaux, des temporalités longues qui gouverneront plus tard ses choix.
À la majorité, il accomplit son service dans l’armée nationale populaire. Puis il gagne la capitale pour étudier. À la Humboldt-Universität zu Berlin, il choisit l’agronomie et la physiologie de la nutrition, où l’on mesure, calcule, expérimente. De 1982 à 1987, il prépare et obtient le diplôme d’ingénieur agronome. Il demeure ensuite à l’université comme assistant scientifique à l’Institut de physiologie de l’alimentation. L’effort est appliqué, sans éclat. En 1990, au moment où l’ordre ancien se défait, il passe à l’entreprise, dirige la recherche d’une société d’aliments minéraux, puis retrouve l’administration de proximité comme responsable de l’agriculture et de l’environnement dans le district de Spree-Neisse. Il soutient en 1993 un doctorat en agronomie. La bascule politique de l’Allemagne se double pour lui d’une conversion professionnelle : la science appliquée devient une méthode de gouvernement.
La vie privée demeure sobre. Marié, père d’un enfant, protestant, il reste fidèle au Brandebourg. On le voit rarement s’exposer hors de la fonction. Quelques apparitions mondaines rappellent le rituel social d’un chef d’exécutif régional, mais l’essentiel se déroule loin des projecteurs, sur les sites industriels, les gares régionales, les mairies. Ce choix de discrétion préserve une frontière nette entre service public et intimité, et nourrit une image d’homme posé, peu tenté par les exaltations.
L’entrée en politique accompagne la réunification. En 1993, il adhère au SPD. En 1994, il est élu au Landtag du Brandebourg, mandat qu’il conservera sans interruption. Les premières années le placent au travail patient des commissions : agriculture, environnement, aménagement du territoire. Il y porte une attention constante aux transformations du bassin du lignite, ossature énergétique et salariale de la Lusace. De 2004 à 2009, il devient ministre du Développement rural, de l’Environnement et de la Protection des consommateurs, où il négocie l’équilibre fragile entre préservation des paysages, santé publique et réalités industrielles. Le dossier énergétique, déjà, exige de mesurer le temps long des reconversions et de composer avec des intérêts locaux et des normes fédérales.
Après un bref passage à la tête du groupe SPD au Landtag en 2009-2010, il prend, d’octobre 2010 à août 2013, le ministère de l’Intérieur du Land. Il y pilote une réforme de la police et de l’administration, rationalise des structures héritées d’époques différentes, et défend une présence étatique forte dans les zones éloignées. Cette expérience, mêlant sécurité, budget et organisation, le prépare au niveau supérieur.
En août 2013, à la suite de la démission de Matthias Platzeck, le Landtag l’élit ministre-président du Brandebourg. Il reçoit un territoire vaste, boisé, ceinturant Berlin, mosaïque de villes moyennes et de campagnes. Depuis 1990, la social-démocratie y gouverne ; il s’inscrit dans cette durée avec une méthode d’horloger : peu de rhétorique, beaucoup d’arbitrages locaux. Les coalitions traduisent les recompositions de l’électorat. Après une alliance avec la gauche post-communiste, il conduit une coalition dite « Kenya » avec la CDU et les Verts, preuve d’un pragmatisme centré sur la stabilité. L’objectif demeure constant : réparer les réseaux, soutenir l’emploi, ajuster l’école et la formation aux besoins d’un tissu productif qui se recompose.
Sa présidence du Bundesrat, de novembre 2019 à octobre 2020, lui a donné la profondeur fédérale. Au sommet de la chambre des Länder, il traverse le début de la pandémie et pratique l’art de la coordination entre territoires. Son mandat de coordinateur fédéral pour la coopération germano-polonaise, de 2014 à 2022, complète le tableau. La frontière n’est pas pour lui une ligne d’arrêt ; c’est un système de circulations où se gèrent hôpitaux, ponts, écoles, crues et emplois. Cette longue familiarité avec l’Est européen affermit sa lecture des interdépendances et sa vigilance sur les infrastructures critiques.
Au présent de l’action, trois chantiers structurent sa gouvernementalité. D’abord la transition énergétique et industrielle. La sortie du charbon, longue et coûteuse, commande reconversions, dépollutions, créations de lacs sur d’anciennes excavations, et surtout investissements nouveaux. Le Brandebourg attire des sites d’assemblage automobile, de batterie, d’aéronautique, des centres de recherche appliquée. Il faut des voies ferrées rapides, des zones logistiques, des formations professionnelles solides. Ensuite, le défi démographique. Le Land vieillit, mais capte des familles chassées par les loyers berlinois. Les politiques de logement, de santé et d’école doivent suivre. Enfin, la sécurité publique et la cohésion sociale. Il défend une police visible, des procédures claires et une coopération judiciaire efficace, dans un climat national traversé par les crispations et les colères politiques.
Ses prises de parole tracent une ligne ferme contre l’antisémitisme et contre toute violence politique. Il promet des protections concrètes aux communautés juives, défend la mémoire des victimes, et rappelle l’autorité de l’État. Interrogé sur la place de militants de partis classés extrémistes dans la fonction publique, il renvoie aux procédures, à l’égalité de traitement, et à la nécessité de décisions juridiquement irréprochables. Le juriste n’est pas son métier, mais l’administrateur connaît la portée d’une décision mal assise. Sa prudence revendiquée est une manière de protéger l’appareil public et de tenir un centre démocratique malmené.
Le rapport à Berlin est l’autre tension structurante. Le Land ceinture la métropole sans s’y dissoudre. La stratégie est double : profiter de l’aimant économique et tenir une autonomie. D’où la défense d’un maillage ferroviaire cadencé, de pôles universitaires et d’instituts techniques en dehors des quartiers centraux, d’une politique de logement qui stabilise les villes moyennes. Les liaisons avec la Pologne ouvrent à l’Est des circuits de travail et d’échange. Les décisions sur le fret et les corridors européens requalifient des villes naguère en marge. Dans cette géographie mouvante, l’exécutif régional ne cherche pas l’exploit, mais l’endurance.
L’homme ne joue pas la singularité. Sa haute silhouette, son phrasé sans effets, ses conférences de presse à phrases courtes lui valent l’étiquette de responsable austère. Ses partisans y lisent une force : tenir le centre dans un temps d’angles vifs. Ses critiques y voient un gestionnaire qui manque de souffle. La réponse se trouve dans la texture du Brandebourg lui-même : peuplé de travailleurs frontaliers, de techniciens, d’infirmières, de retraités, de jeunes couples installés au-delà du périphérique de Berlin, ce Land demande moins un tribun qu’un organisateur. Les succès politiques y sont mesurés à la fiabilité des trains, aux carnets de commandes, au maintien d’une école de proximité, à la présence d’un médecin. Cette métrique, modeste et concrète, structure ses arbitrages.
Son parcours dessine une continuité. De l’enfant de la RDA à l’ingénieur, du cadre local au parlementaire, du ministre sectoriel au chef de gouvernement régional, il n’a cessé de pratiquer le temps long. Il a intégré les contraintes de budget, de personnel, de compétences partagées entre Land, fédération et communes. Il sait la puissance des trajectoires démographiques et des inerties techniques. Il a appris que l’acceptabilité d’une réforme se construit en réunions, en visites, en réponses chiffrées plutôt qu’en proclamations. Cette économie patiente de la décision, qui semble parfois terne, épouse la structure du pays qu’il gouverne.
Le privé et le public se répondent sans se confondre. La maison et la foi ordonnent un rythme. La fonction autorise l’autorité sans théâtralité. On le voit tôt le matin sur un chantier, tard le soir à une réunion d’habitants, entre les deux dans un train régional. Ce quotidien sans éclat produit une responsabilité enveloppante, ferme avec les débordements, ouverte à la coopération transfrontalière et métropolitaine, attentive aux compromis possibles avec des partenaires différents.
Au bout du compte, l’itinéraire de Dietmar Woidke est celui d’un pays de lisière qui se modernise sans rompre. Les mines deviennent des lacs, les friches en zones d’activités, les gares en hubs de mobilités, les administrations en services resserrés. Le Brandebourg s’ajuste à Berlin et à l’Europe centrale, au véhicule électrique et aux chaînes d’approvisionnement, aux crises de sécurité et aux pressions migratoires. Peu de gestes spectaculaires, mais un faisceau de décisions reliées. Dans ce tissage, il ajoute une pièce : en 2019-2020, la présidence du Bundesrat lui apporte l’expérience des arbitrages fédéraux ; à partir de 2014, la coordination avec la Pologne lui donne une profondeur frontalière qui dépasse la symbolique. Ainsi se consolide un pouvoir régional d’équilibre.
En septembre 2024, les urnes ont tranché au terme d’une campagne tendue par les crispations nationales. La liste qu’il conduit obtient 30,9 pour cent des voix et 32 sièges sur 88, devant l’AfD à 29,2 pour cent. La CDU recule, les Verts sortent du Landtag, le nouveau BSW entre avec 14 sièges. Après des semaines d’exploration, un accord est signé le 10 décembre 2024 ; le 11 décembre, un quatrième cabinet est formé avec le BSW. Il est réélu ministre-président au second tour, majorité courte mais suffisante pour gouverner.