IRLANDE - PRESIDENTIELLE DU 24 OCTOBRE

Campagne sous tension : logement, neutralité, identité

Horizon 2025 : l’enjeu d’une élection irlandaise

La dernière semaine d’octobre 2025 verra l’Irlande élire un nouveau chef d’État. Le 24 octobre, les électeurs se rendront aux urnes pour choisir un président ou une présidente afin de succéder à Michael D. Higgins, qui a effectué deux mandats. Le rôle du président est largement cérémoniel mais chargé de symboles : il représente l’unité nationale, nomme le Taoiseach, promulgue les lois et peut les renvoyer devant la Cour suprême. Cette élection passionne car elle survient dans un contexte de crises multiples : le logement, le coût de la vie, la défense et l’unité irlandaise. Les candidats doivent offrir des visions différentes de cette fonction pour répondre aux attentes d’un électorat exigeant. Heather Humphreys, actuelle ministre de l’Inclusion sociale et du Développement rural, se présente pour Fine Gael. Catherine Connolly, avocate et psychologue de formation, est députée indépendante et porte les espoirs de la gauche. Jim Gavin, ancien pilote de l’armée de l’air et manager légendaire de l’équipe de football de Dublin, était soutenu par Fianna Fáil avant de quitter la course en septembre après un scandale de loyer. L’absence d’autres figures illustres accentue la polarisation autour des deux premières candidates, dont les programmes et les tempéraments diffèrent profondément.

L’Irlande traverse une grave crise du logement, conséquence d’années de sous?investissement après le krach immobilier de 2008. La pénurie de logements et l’envolée des loyers frappent les classes moyennes et les jeunes, tandis que le sans?abrisme atteint des niveaux record. Parallèlement, l’invasion de l’Ukraine par la Russie oblige le pays à réexaminer sa neutralité militaire et à débattre de sa participation aux missions européennes. La triple lock, un mécanisme imposant l’accord du gouvernement, du Parlement et des Nations unies pour déployer des troupes, s’invite dans la campagne : Humphreys et Gavin souhaitent la réformer pour permettre une participation plus souple aux opérations de maintien de la paix, tandis que Connolly la défend comme garantie de neutralité. Les débats sur une éventuelle réunification de l’île se multiplient également depuis le Brexit ; chaque candidate propose une approche différente de cette question sensible. Dans ce climat, la maîtrise de l’irlandais, langue nationale, est devenue un marqueur identitaire. Une enquête du Irish Examiner révèle que seule Connolly est parfaitement à l’aise pour s’exprimer en gaélique. Cette compétence lui vaut un fort soutien parmi les étudiants et les défenseurs de la culture, tandis que Humphreys promet de retourner au Gaeltacht pour améliorer son niveau.

Les controverses n’épargnent pas cette campagne. Jim Gavin a été accusé d’avoir gardé un trop?perçu de loyer de 3 300 € versé par un ancien locataire ; une enquête du Irish Times a montré que le paiement avait été oublié alors que Fianna Fáil examinait sa candidature. Face au scandale, Gavin s’est retiré, laissant la place à un duel entre Humphreys et Connolly. Cette rivalité incarne deux visions de l’Irlande. L’une, issue de la droite au pouvoir, promet stabilité et représentation officielle tout en s’adressant aux habitants des campagnes. L’autre, issue de la gauche indépendante, veut faire de la présidence une tribune pour la justice sociale, la neutralité et les droits humains. La fonction présidentielle est honorifique mais dotée d’un fort pouvoir moral. Michael D. Higgins a montré qu’un président pouvait influencer le débat public en dénonçant les inégalités et en renonçant à sa pension ministérielle. Conscients de cet héritage, Humphreys promet de donner sa pension à l’État, Connolly envisage d’utiliser son indemnité pour financer des projets sociaux, et Gavin, avant son retrait, voulait incarner la rigueur militaire. Le chef de l’État représente l’Irlande à l’étranger et dispose du pouvoir symbolique de renvoyer les lois devant la Cour suprême, conférant à la fonction un poids moral inattendu. Le 24 octobre 2025, les citoyens devront donc décider quelle voix portera le mieux leurs espoirs et quelle vision de l’Irlande présidera à leur avenir.

Un sujet imprévu s’est également invité dans les discussions : l’avenir de la diaspora irlandaise, forte de millions de personnes, dont beaucoup réclament un droit de vote élargi à la présidentielle. Les candidats évoquent des pistes pour associer ces voix éloignées, rappelant que la diaspora joue un rôle économique et culturel majeur. La question illustre aussi la profondeur des enjeux soulevés par cette élection et la manière dont elle interroge l’identité irlandaise dans un monde incertain.

 

Heather Humphreys : du Monaghan aux hauteurs de la présidence

Originaire du village frontalier de Drum dans le comté de Monaghan, Heather Humphreys est née en 1963 dans une famille protestante. Elle se rappelle avoir franchi la frontière nord?irlandaise dans son enfance pour acheter du carburant et des marchandises, une expérience qui a façonné sa compréhension des tensions entre les deux juridictions. Elle est cooptée en 2003 au conseil du comté de Monaghan puis élue députée Fine Gael en 2011. Au fil des gouvernements, elle a occupé plusieurs portefeuilles : Arts et Patrimoine, Culture et Gaeltacht, et plus récemment Développement rural et Inclusion sociale. Ministre influente de Leo Varadkar, elle supervise les commémorations du centenaire de l’insurrection de 1916 et se forge une réputation de gestionnaire pragmatique. Mère de deux filles, elle raconte que son mari et sa famille l’ont encouragée à entrer en politique malgré ses réticences initiales. Elle souligne qu’elle est la première candidate originaire de Monaghan à briguer la présidence et y voit un symbole d’équilibre régional. Ses partisans rappellent qu’elle a veillé à l’inclusion des communautés protestantes et catholiques, prônant un patriotisme civique qui transcende les identités religieuses. Elle rappelle son expérience budgétaire pour défendre la Constitution comme gardienne de l’institution fidèlement.

Humphreys affirme qu’elle ne sera pas la présidente de Fine Gael mais la présidente de tous les Irlandais. Elle place la crise du logement au cœur de son discours, reconnaissant que le gouvernement a été trop lent à agir après le krach de 2008, mais soulignant les augmentations d’allocations pour les personnes handicapées et les aidants obtenues sous sa houlette. Elle promet d’utiliser la présidence comme une plateforme d’écoute et de réconciliation. En tournée dans les comtés de Louth et de Meath, elle échange avec des agriculteurs, des étudiants et des retraités, rappelant ses racines rurales et son travail sur le développement communautaire. Elle reçoit un soutien transpartisan : des électeurs de Fianna Fáil affirment qu’ils voteront pour elle, séduits par sa capacité à défendre les campagnes. Elle insiste sur l’importance de rassembler les communautés nord et sud avant de discuter de la réunification de l’Irlande et se décrit comme une fière Ulster woman dans la tradition républicaine de Wolfe Tone. Lors des commémorations de 1916, elle a supervisé des centaines d’événements et a gagné l’estime des descendants des insurgés.

Sur la défense et la neutralité, Humphreys adopte une position qui diffère de celle de Connolly. Lors du débat télévisé, elle soutient l’augmentation des dépenses militaires et l’intégration européenne face à la menace russe ; elle estime que la triple lock entrave l’envoi de soldats en mission et souhaite la réformer. Elle affirme pourtant rester attachée à la neutralité historique et veut préserver la réputation de l’Irlande comme médiatrice. Pour répondre à la montée du gaélique dans la campagne, elle promet de passer du temps dans un Gaeltacht afin d’améliorer son niveau et rappelle qu’elle a soutenu les arts et la culture dans ses fonctions ministérielles. Consciente du poids symbolique des gestes, elle s’engage à renoncer à sa pension ministérielle en cas d’élection et à verser les fonds à l’État, suivant l’exemple de Michael D. Higgins.

La candidate fait face à des critiques. Certains rappellent qu’elle a été impliquée dans un scandale de nomination au conseil des arts, remettant en question son impartialité. D’autres estiment qu’elle porte une part de responsabilité dans la crise du logement et qu’elle ne maîtrise pas suffisamment la langue irlandaise. Malgré ces reproches, la réception chaleureuse de ses tournées montre qu’une partie de l’électorat apprécie son expérience et sa proximité. Son discours sur l’unité, ses origines rurales et son engagement à respecter les limites constitutionnelles rassurent les électeurs modérés qui souhaitent une présidente stable mais empathique. Humphreys soutient que son identité protestante et son attachement à l’Ulster peuvent aider à construire des ponts entre communautés, ouvrant la voie à une conversation apaisée sur l’avenir de l’Irlande. Elle insiste aussi sur sa conscience des réalités transfrontalières, racontant comment sa famille franchissait souvent la frontière pour faire du commerce. Pour elle, cette expérience forge sa volonté de construire une paix durable et de renforcer les relations avec l’Irlande du Nord et l’amitié entre peuples. Elle souhaite également promouvoir l’emploi des jeunes et appuyer les familles dans les zones rurales sans les marginaliser et l’écologie.

 

Catherine Connolly : militante du peuple et voix de la gauche

Catherine Connolly, née en 1957 à Galway, est la seule candidate indépendante à l’élection. Avocate et psychologue, elle a été conseillère municipale puis députée et se revendique féministe et socialiste. Connolly est la seule candidate à parler couramment l’irlandais, ce qui lui confère un avantage symbolique dans une campagne marquée par la question linguistique et lui vaut le soutien des jeunes et des défenseurs de la culture gaélique. Elle se présente comme la voix des sans?voix et affirme que le président doit écouter ceux que le système ignore. Pour elle, la crise du logement et la pauvreté ne sont pas des fatalités même si la présidence ne peut pas construire de maisons. Elle s’engage à être une porte?voix pour les personnes en situation de handicap, les locataires, les jeunes précaires, et promet de dénoncer les inégalités économiques.

La neutralité et la paix sont des thèmes centraux de sa candidature. Connolly s’oppose à l’augmentation des dépenses militaires et à la suppression de la triple lock, estimant que ce mécanisme protège l’indépendance de l’Irlande. Elle dénonce le complexe militaro?industriel européen et soutient que les ressources doivent aller aux écoles et aux hôpitaux plutôt qu’aux armes. Elle critique les discours anti?immigration et rappelle que l’Irlande est un pays d’émigrants. Pour l’unification de l’île, elle insiste sur un processus démocratique basé sur le consentement et le respect de toutes les identités.

Connolly mène une campagne participative. Elle visite des Youth Reach et des Women’s Sheds, discute avec des électeurs malvoyants et s’engage à améliorer l’accessibilité des bulletins de vote. Elle rencontre des habitants de quartiers populaires et écoute les préoccupations sur le coût de la vie et l’accès aux services publics. Cette approche de terrain et son style direct attirent l’attention des partis de gauche : Sinn Féin, Social Democrats et People Before Profit appellent à voter pour elle. Ils voient en elle la meilleure garante de la neutralité et de la justice sociale. Les électeurs séduits par son indépendance apprécient sa capacité à parler sans filtre et à poser des questions qui dérangent.

Comme toute personnalité politique, Connolly est confrontée à des controverses. Il a été révélé qu’elle avait recruté une femme condamnée pour détention d’arme ; elle explique qu’elle croit à la réhabilitation et au droit à une seconde chance. On lui reproche également d’avoir nommé en 2018 la journaliste Gemma O’Doherty à un poste local : elle affirme qu’elle défend la pluralité des voix même lorsqu’elle est en désaccord. Ses positions sur le conflit israélo?palestinien, où elle condamne fermement les bombardements à Gaza et parle de génocide, lui valent des attaques du gouvernement, mais renforcent sa réputation d’humaniste auprès de ses soutiens. Pour financer des initiatives sociales, elle envisage d’utiliser symboliquement une partie de son indemnité présidentielle.

Connolly met également l’accent sur le changement climatique et la démocratie participative. Elle souhaite que le président utilise son influence morale pour encourager des politiques ambitieuses en matière d’environnement et soutenir les communautés affectées par la transition énergétique. Elle propose de créer des assemblées citoyennes sur l’environnement et sur l’avenir constitutionnel de l’Irlande, afin que la population participe directement aux débats nationaux. Si certains estiment qu’elle est trop militante pour un rôle protocolaire, d’autres louent son courage et sa constance. Connolly espère transformer la présidence en plateforme d’espoir pour ceux qui se sentent laissés de côté et prouver qu’une voix indépendante peut galvaniser la nation.

Connolly a grandi dans une famille engagée à Galway et a étudié la psychologie clinique avant de se tourner vers le droit. Elle a travaillé comme psychologue et avocat tout en menant des campagnes locales pour protéger les services publics. Ses partisans rappellent qu’elle a mené la campagne pour l’abrogation du huitième amendement interdisant l’avortement et qu’elle a défendu les personnes LGBT bien avant que ces causes ne deviennent majoritaires. Elle siège au bureau de la Ceann Comhairle et a acquis une réputation d’impartialité lors des débats parlementaires. Dans le quartier de Ballyfermot, elle a débattu avec Enoch Burke, un professeur opposé à l’utilisation des pronoms neutres, illustrant la polarisation autour des questions de genre. Elle insiste sur la place des femmes et des minorités dans la vie publique. Son slogan est « Écouter et agir », tout simplement.

 

Jim Gavin et les enjeux d’une campagne fracturée

Jim Gavin représentait un troisième courant dans la campagne présidentielle avant son retrait. Pilote et officier supérieur de l’Armée de l’air puis cadre de l’Irish Aviation Authority, il s’est fait connaître du grand public en entraînant l’équipe de football gaélique de Dublin vers cinq titres consécutifs. Cette trajectoire lui valait une image de technocrate discipliné et compétent. Il déclarait vouloir apporter à la présidence un sens de l’ordre et de l’efficacité, affirmant que, s’il ne pouvait pas construire de maisons, il mettrait en lumière les crises de la société comme le logement, le coût de la vie et l’exode rural. Fidèle à sa formation militaire, il plaidait pour un investissement accru dans les Forces de défense et pour la suppression de la triple lock afin de permettre à l’Irlande de participer plus facilement aux missions de maintien de la paix, tout en affirmant rester attaché à la neutralité. Sur la réunification, il se disait favorable à un processus fondé sur le consentement démocratique.

Malgré ces positions, sa campagne peinait à convaincre. Des journalistes ont noté qu’il avait du mal à expliquer les raisons de sa candidature et qu’il donnait des réponses vagues. Il a commis des erreurs de communication, notamment l’usage d’un drone en zone restreinte et la divulgation du nom d’un officier des Forces de défense. Ses partisans voyaient en lui un homme sérieux et poli, mais ses détracteurs jugeaient qu’il manquait de vision. Originaire de Clare, il mettait en avant ses racines rurales et visitait des fermes et des casernes pour écouter les préoccupations locales, promettant de collaborer avec toutes les formations politiques pour promouvoir l’unité nationale.

Le 20 septembre 2025, un scandale a mis fin à sa campagne. Une enquête du Irish Times a révélé qu’un ancien locataire lui avait versé un trop?perçu de loyer de 3 300 € qui n’avait pas été remboursé, et Gavin s’est retiré pour ne pas nuire à Fianna Fáil. Son départ a transformé la course en un face?à?face entre Heather Humphreys et Catherine Connolly. Les électeurs se sont alors concentrés sur leurs visions opposées du rôle présidentiel. Humphreys, candidate de gouvernement, reconnaît que le logement est la principale crise et promet d’unir les communautés. Connolly, militante de gauche, s’engage à défendre la neutralité et à porter la voix des sans?abris et des personnes marginalisées. La question de la triple lock est devenue un clivage majeur entre elles, tout comme l’importance accordée à la langue irlandaise et aux symboles culturels.

Au?delà des personnalités, la campagne révèle les préoccupations profondes des Irlandais. La pénurie de logements et l’augmentation des loyers suscitent l’angoisse, tandis que la neutralité militaire, remise en cause par la guerre en Ukraine, divise l’opinion. La maîtrise de l’irlandais, la place de la diaspora et le projet de réunification témoignent d’une réflexion plus large sur l’identité nationale. L’élection du 24 octobre 2025 marque un moment charnière : après le retrait de Gavin, les citoyens doivent choisir entre continuité et changement. S’ils confient la fonction à Heather Humphreys, ils optent pour une présidence prudente, proche du pouvoir en place mais soucieuse d’écoute. S’ils élisent Catherine Connolly, ils donneront leur voix à une présidente qui veut transformer la fonction en tribune pour la justice sociale et la paix. Dans les deux cas, cette campagne aura montré que les Irlandais attendent de leur président qu’il incarne des valeurs fortes et qu’il parle des défis qui les touchent.

Gavin vantait régulièrement son expérience en matière de leadership d’équipe, comparant la présidence à la direction d’un groupe sportif où la coordination et la confiance sont essentielles. Il rappelait qu’en tant que commandant dans l’Armée de l’air, il avait participé à des missions humanitaires et qu’il avait dirigé des opérations de sauvetage, ce qui lui avait appris à rester calme et à agir avec prudence. Ses soutiens, souvent issus du milieu sportif et de la communauté des anciens combattants, affirmaient qu’il comprendrait mieux que quiconque les besoins des vétérans et des familles de militaires. Ils soulignaient qu’il apportait une perspective nouvelle grâce à sa carrière. Après son départ, certains ont regretté la disparition de cette option centriste, estimant que son profil aurait pu réconcilier des électeurs lassés de la polarisation entre droite et gauche.